• Les délires de Velikovsky

    Deux ans après la publication de « Mondes en collision », le fameux ouvrage de Velikovsky, parut aux Etats-Unis, un livre satirique intitulé In The Name of Science. L’auteur : Martin Gardner, un journaliste du Scientific American. Dans cet ouvrage fort divertissant, il tourne en dérision les thèse pseudo-scientifiques le plus célèbres. Celle de la Flat Earth Society (Société de la Terre creuse), par exemple, ou celle de l’orgone, chère à Wilhem Reich.

    Voici comment Garder juge l’oeuvre de Velikovsky : « Le docteur Velikovsky est un cas typique. Se spécialisant dans une discipline où il s’est instruit par lui-même, il mène seul ses recherches. Il est convaincu de la portée révolutionnaire de ses idées, fruit d’une inspiration plutôt que d’une déduction scientifique. Aucun critique ne l’arrête dans son travail. »

    Gardner précise que Velikovsky n’apporte pour preuve que des mythes dont il fait les « rêves », souvenirs des catastrophes inscrits dans l’inconscient collectif des peuples du monde entier. Quand à la nouvelle interprétation de l’histoire orientale que propose Velikovsky dans « Age in Chaos », parue en 1952 , Gardner la compare à un récit de science-fiction sur lequel il se refuse à faire tout autre commentaire.

    Comment juger objectivement une oeuvre aussi démesurée ? Il faut bien admettre que la logique de la démarche de Velikovsky nous échappe parfois. Le lien entre une comète détachée de Jupiter et les sept plaies d’Egypte ne semblent pas a priori évident. Sans parler du partage des eaux de la mer Rouge, les murs de Jéricho et de la victoire sur les armées de Sennacherib, le roi assyrien qui osa s’attaquer à la ville de Juda. S’il est regrettable que Gardner se permette de juger « Ages in Chaos » sans même l’avoir lu, il faut aussi reconnaitre que son exaspération n’est pas sans fondement.

    Velikovsky est mort en novembre 1979 sans avoir eu le temps d’achever le troisième volume « d’Age of Chaos ». C’était une personnalité puissante, dévoré par une passion unique à laquelle il consacra sa vie entière. Pour bien le comprendre, il est essentiel de rappeler qu’il était un disciple de Freud. C’est la lecture de  « Moïse et le monothéisme » qui décida de sa vocation et qui le lança à la recherche de l’histoire de son peuple. Freud, son père spirituel, bâtit toute une théorie sur la « révélation » de l’origine sexuelle des névroses. Il fallut des années avant que les psychiatres osent remettre en question l’interprétation freudienne et en estiment les limites.

    Semblable en cela à Freud, Velikovsky était obsédé par la théorie et en voyait partout la confirmation. Puisque les textes anciens décrivaient Vénus comme une planète menaçante et imprévisible qui déversait des pluies de feu sur la terre, Velikovsky en vint à se poser la question suivante : n’était-ce pas Vénus, alors qu’elle n’était encore qu’une comète, qui était responsable des catastrophes mentionnées dans la Bible ?

    Tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Antiquité savent que certains mystères n’ont jamais été résolus. Que penser, par exemple, de la soudaine disparition de la civilisation minoenne, vers 1500 avant notre ère ? Faut-il l’attribuer, comme certains le pensent, à l’éruption du volcan de l’île de Santorin, situé au nord de la Crète, qui aurait fait l’effet d’une bombe atomique ? Quelque auteurs font de l’île de Santorin le continent mythique de l’Atlantide ; d’autres prétendent que l’explosion détruisit le civilisation minoenne. C’est une hypothèse plausible. 

    Il existe cependant une contradiction majeure : Phaïstos, située en Crète du Sud, fut détruite à la même époque. Or, il est impossible que les vagues d’un raz de marée aient franchi la chaine de montagne qui sépare les deux endroits. L’hypothèse de Velikovsky – le passage de la comète trop près de la Terre – est plus vraisemblable…

    Malheureusement, Velikovsky eut tort de faire référence à l’Atlantide, ce qui lui enleva immédiatement la considération du monde scientifique. Il s’attira d’autre part les foudres des historiens en changeant sciemment la chronologie communément admise de l’Antiquité du Moyen-Orient.

    Selon la thèse que Freud développe dans Moïse et le monothéisme, l’exode aurait eu lieu pendant le règne du pharaon Akhenaton. Ce dernier serait mort assassiné pour avoir voulu imposer la nouvelle religion solaire monothéiste. C’est par Moïse qu’elle se serait transmise au peuple juif. D’abord d’accord avec cette thèse de Freud, Velikovsky en vint à la rejeter complètement. Un des grands mystères de l’Antiquité méditerranéenne est de comprendre la destruction de l’ancienne Crète et l’émergence de la Grèce d’Homère – Puis celle de Socrate. C’est comme si l’histoire s’était soudain arrête.

    Fidèle à lui-même, Velikovsky n’hésita pas à remettre tout en question. Selon lui, la réponse était évidente : les historiens se trompaient tout simplement dans les dates. Les événements importants auxquels ils faisaient allusion s’étaient passé six cents ans plus tard qu’ils ne le prétendaient. Ce qui résolvait le problème des années vides. Velikovsky entreprit alors une étude comparée des histoires égyptiennes, juives, assyriennes et babylonienne. Age in Chaos est le résultat de ce titanesque travail de compilation et reste d’un abord très difficile.

    Prenons l’exemple ce de que l’on a appelé les « tablettes d’Ammizaduga », retrouvées sur le mont Kuyunjik, site de l’ancienne Ninive, parmi d’autres documents de la grande bibliothèque du roi Assurbanipal. Les informations qu’elles nous donnent sur Vénus ne coïncident pas avec ce que nous savons des mouvements actuels des planètes. Les anciens astronomes se seraient-ils trompés dans leurs observations et dans leurs calculs ? Non, répond Vlikovsky. Ces tablettes prouvent tout simplement que la trajectoire de Vénus n’était pas régulière à l’époque des babyloniens !

    L’American Association for the Advancement of Science organisa, en 1974, une réunion spéciale dont l’objectif était de démontrer une fois pour toutes que les thèses de Velikovsky étaient erronées. A cet effet, la mathématicien Peter Huber assura qu’il suffisait d’effectuer quelques corrections mineures pour retrouver la trajectoire actuelle de Vénus. Toutefois, le professeur Lynn Rose et Raymond Vaughan, démontrèrent que pris à la valeur nominale, les chiffres fournis par les tablettes indiquaient une orbite différente. Et ce, en ne tenant compte que d’un pourcentage minimal d’erreurs d’écriture. Ce qui n’était pas le cas des calculs effectués par Peter Huber. Pour retrouver l’orbite actuelle de Vénus, il avait corrigé « 30% d’erreurs d’écriture » Rose et Vaughan affirmaient quant à eux que c’était 60% d’erreurs qu’il fallait admettre pour effectuer le réajustement.   

    Velikovsky triompha aussi dans un autre domaine. Les bouleversements qui, selon lui, avaient agité notre système solaire faisaient entrer en ligne de compte de puissantes forces électro-magnétiques qui, d’après les hommes de science de l’époque, n’existaient pas. La découverte dans les années 1960 des ceintures de Van Hallen donna raison à Velikovsky.

    Avec les années, les défenseurs de Velikovsky se firent de plus en plus nombreux. Au moment de sa mort, en 1979, le public avait de lui l’image d’un savant brillant et courageux à qui on pouvait simplement reprocher sa trop grande curiosité intellectuelle. En 1972, le magazine américain Pensée lui consacra plusieurs numéros qui furent plus tard rassemblés et publiés sous le titre « Velikovsky reconsidered ». En 1966, un livre intitulé « The Velikovsky Affair », lui avait déjà rendu justice en révélant au public la bassesse des méthodes utilisée contre lui. Vers la fin de sa vie, il fit de nombreuses conférences et participa à de nombreuses émissions télévisées. Réussit-il à faire admettre ses idées ? Vraisemblablement non. Du moins rassura-t-il le public sur sa bonne foi et son sérieux.

    Comment, en conclusion juger son oeuvre ? Bien qu’il soit difficile de trancher, il semble que sa thèse ne soit pas fondée. A l’étude des prétentions géologiques de Earth in Upheaval et ses arguments historique de « Ramses the Second and His Time », les commentaires ironiques de Martin Gardner reviennent à l’esprit. La plupart des hommes de science ne rejettent pas l’idée de grandes collisions, mais il est tout simplement impossible qu’elles aient pu se produire si récemment. Les géologues n’ont jamais trouvé la moindre preuve d’une catastrophe naturelle qui se serait produit il y a quelques millions d’années.

    Une chose est certaine : malgré son immense travail de compilation, Velikovsky n’apporte aucune preuve définitive à l’appui de sa thèse. L’avenir lui donnera peut-être raison. Son oeuvre constituera alors un très bel exemple d’inspiration scientifique.    

     


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    Nous l’avons vu : ce n’est ni par hasard ni par caprice que Versailles « au Val de Gallie » devint la résidence royale. De la part de Louis XIV, une telle décision répondait à tout un courant d’idées dont Guillaume Postel et Tommaso Campanella, entre autres, furent les théoriciens, et l’on doit à des hommes tels que Richelieu, ce redoutable prince de l’Eglise d’avoir traduit ces aspirations sur un plan concret : aussi bien guerrier que diplomatique.

    Car, pour utopique qu’elle paraisse, la Cité du Soleil de Campanella est sans conteste un manifeste théologico-politique de la monarchie absolue et de l’illuminisme gallican issu de la Contre-Réforme. Quant à Versailles, cet ensemble architectural et paysager unique au monde, il en sera la réalisation artistique, la concrétisation symbolique. Le Vau, F. d’Orbay, Mansart, Le Brun, Marsy, Tuby, Girardon, Le Nôtre, Le Hongre, Coysevox, parmi maints autres artistes du siècle, y exprimeront le meilleur d’eux-mêmes.

    A l’examen, en effet, la demeure du Roi-Soleil se révèle tout autre chose que la manifestation de la rationalité triomphante et de l’esprit géométrique. Outre l’esthétique baroque dont parfois ils témoignent, les bâtiments, les allées, les jardins, les bassins, les fontaines nous donnent à lire ce qui fut leurs raisons d’être véritables : une mythologie à la mesure de celui qui y avait élu séjour, et comme un condensé de l’idée que le roi se faisait de sa mission et de son pouvoir.

    C’est ce qu’à fort bien vu Talleyrand, lorsqu’il déclarait : « La gloire de Louis XIV a resserré toutes ses idées dans les limites de Versailles. »

    A Versailles, la moindre décoration est devise, tout se fait « armes parlantes ». Ainsi bien sûr, des mascarons qui ornent le linteau des portes, et où l’on retrouve la figure solaire.

    Toutefois, certains emblèmes sont moins évidents, quoique tout aussi nombreux. Pourquoi , par exemple, tant de lyres ? Et ce dès l’entrée du château, sur les grilles qui bordent la place d’Armes. Comme on le sait, la lyre est l’attribut d’Apollon, dieu solaire des Arts, auquel Louis XIV, en tant que mécène, ne pouvait que s’identifier. Mais cet instrument de musique est aussi une invention d’Hermès, le gardien des portes, le messager, celui qui, dans la tradition ésotérique, est chargé de préserver le secret, et tout à la fois de le révéler à quiconque s’en montre digne. Secret ou symbole aux multiples facettes, d’ailleurs, dans lequel l’initié puise à sa convenance, mais surtout selon la pénétration et la profondeur de son savoir.

    Cette idée n’était pas du tout étrangère au maitre des lieux, qui, tel Hermès, dispense à ses sujets, ses lumières à proportion de ce qu’ils peuvent en comprendre et en fonction de ce qu’ils sont, le souverain détenant seul la compréhension intégrale de tous les signes et de tous les mystères.

    Aussi, comme l’a remarqué M. Hautecoeur, le roi quand il se trouve en présence d’un visiteur de marque versé dans les belles-lettres, prend-il soin d’expliquer telle particularité de son palais par les Métamorphoses d’Ovide. Mais, lorsqu’il a affaire à un marin ou à un guerrier, il met l’accent sur les enseignement fournis par les allégories relatives à Neptune ou à Mars. Devant les gens du négoce, il en appelle à Mercure. Quelqu’une des personnes de son entourage a-t-elle besoin d’être encouragée dans ses pratiques religieuses ? Ainsi que le rappelle le R.P. Guillou dans son essais intitulé Le Palais du Soleil, Louis XIV ne dédaigne pas de commenter pour elle les symboles de la chapelle, ayant trait à la Résurrection et à la toute-puissance de Dieu…

    Versailles, cependant, ne se signale pas seulement par la valeur didactique de ses allégories, ou du moins ce n’est que d’une façon tout à fait secondaire, dans la mesure où le palais et ses dépendances sont à l’image du royaume, où ils sont le signe de cette monarchie idéale annoncée par Postel et Campanella. A ce titre, Versailles est bel et bien, certes, un microcosme dans le macrocosme, mais il tel que pour autant que le Roi-Soleil y habite et en est le centre. De là la disposition qu’affectent les appartements royaux eu sein de l’ensemble.

    Les auteurs du « Guide de Versailles mystérieux » notent à juste titre que « la disposition des sept salons de 1673 est rigoureusement astrologique ». « On entre, ajoutent-ils, sous le signe de la Lune, mère des générations, d’abord dans le salon de Diane ; on passe ensuite dans la salle des gardes, consacrés à Mars, dieu de la Guerre, puis dans le salon de Mercure, l’antichambre. La grande chambre du roi est consacrée à Apollon. Vient ensuite le cabinet de Conseil, sous le signe de Jupiter. On traverse enfin la petite chambre du roi, dédié à Saturne. Ma dernière pièce, Dont les fenêtres sont orientées vers l’appartement de la reine est décorée des symboles de Vénus.

    Remarques judicieuses, au reste ratifiées par l’historiographe des bâtiments lui-même André Félibien des Avaux, qui écrit : « Comme le Soleil est la devise du roi, l’on a pris les sept planètes pour servir de sujets de tableaux aux sept pièces de cet appartement, de sorte que dans chacune on y doit représenter ls actions des héros de l’Antiquité qui auront rapport à chacune des planètes et aux actions de Sa Majesté. »

    Le symbolisme est clair. L’appartement royal, dans sa répartition, est le reflet exact du système des valeurs, de leur hiérarchie, mis en oeuvre par Louis XIV. Le roi entend s’inscrire dans la lignée de ses ancêtres ; en accordant la préséance à la déesse des nuits, il reconnait sa filiation . De même, place est faite à ce qui lui permet de régner : la force des armes avec Mars, la diplomatie avec Mercure, le commandement avec Jupiter. Mais il n’oublie ni la sagesse réflexive ni la méditation solaire, non plus que le devoir de s’assurer une descendance.

    En somme, le parcours de pièce en pièce est à la fois logique et chronologique. Le premier salon représente le passé et rappelle que Versailles fut d’abord un pavillon de chasse. Le dernier est tourné vers l’avenir.

    Mais, ce qui apparaît comme beaucoup plus significatif encore, c’est la place qu’occupe la grande chambre du roi par rapport aux autres pièces. On s’aperçoit que cette pièce se situe au centre, entre, d’une part, Diane (ou la Lune), Mars, Mercure, et de l’autre, Jupiter, Saturne et Vénus.

    Cette place ne doit rien au hasard. En voici une preuve supplémentaire : à la suite des remaniements successifs dont Versailles fut l’objet, au cours des années, la grande chambre du roi ne se trouvait plus au centre du palais. Louis XIV la fit donc transférer assez tardivement, il est vrai ; mais, comme nous le verrons, non sans qu’il y ait là quelques- autre raison encore. 

    « Le transfert de la chambre de Louis XIV, écrit l’historien Pierre Verlet dans son essais Versailles, était presque inévitable. Selon une très ancienne tradition, le roi longeait au centre même de son château. Il était le cœur du château : lorsqu’il dormait, la vie semblait s’arrêter. Par les cérémonie du coucher et du lever, entre lesquelles le sommeil du roi libérait les courtisans de leur service, la chambre du roi fixait, plus encore que le cour du soleil, les limites des jours et des nuits de Versailles, et l’on peut noter comme un symbole que Louis XIV désigna pour la dernière chambre non seulement le milieu de son château, mais le plein est, l’axe même sur lequel le soleil se lève sur ses terres. »

    La nouvelle chambre donne en effet sur le grand canal, dans les eaux duquel le souverain peut voir se refléter, du levant au couchant, d’Orient en Occident, la course de l’astre du jour.

    Du fait du transfert de l’appartement royal, cependant, les salons planétaires disparaissent, et Louis XIV, très intentionnellement, ne fera rien pour conserver l’ancienne disposition. Désormais, Apollon gouverne et règne seul, roi des roi, monarque absolu. L’atteste d’ailleurs sa devise nouvelle : Nec pluribus impar, qui succède à la devise de sa jeunesse : Foecundis ignibus ardet. Après avoir brûlé de feux multiples, féconds, mais quelques peu désordonnés, Louis le Grand se déclare unique, incomparable, et toutes choses à Versailles répètent inlassablement ce qui en est devenu le dogme, aussi bien le rituel du lever et du coucher, les fêtes, l’habit de cérémonie du souverain constellé de pierreries, que les motifs ornementaux du palais, les immenses miroirs de la galerie des Glaces, l’alignement des statues et des plans d’eau, les dimensions de l’ensemble architectural et paysager…

    Versailles s’étend, en effet, sur quelque 7 milliers d’hectares, le canal mesure plus de 1 kilomètre et demi de longueur, sans compter ses branches perpendiculaires, qui totalisent plus de 1000 mètres ; et le tout à l’avenant !

    Devant tant de démesure, on serait tenté de croire que Versailles ne doit son existence qu’à la célébration du culte royal et qu’aucune place n’est laissée à autre chose qu’à cette autoglorification perpétuelle. Qu’on se détrompe, cependant : la demeure du Roi-Soleil recèle aussi sa part d’ombre, de nuit, de doute.

    Dans les métamorphoses, Ovide relate en effet l’infortune de Phaéton. Ce dernier passait généralement pour le fils du Soleil et de Clymène, une Océanides. Quelqu’un lui ayant soutenu le contraire, Phaéton se rendit au palais du Soleil pour apprendre de sa bouche la vérité sur sa naissance. Il supplia Phébus (alia le Soleil) de lui donner la permission de conduire son char, rien qu’une fois seulement, ce qui suffirait à prouver à tout l’Univers qu’il était bien son fils. Phébus tenta de détourner Phaéton de cette périlleuse entreprise. En vain.

    Le jeune homme prit donc les rêne, mais ne reconnaissant plus la main de leur maitre, les chevaux fougueux du Soleil se détournèrent de leur chemin habituel, tantôt s’élevant trop haut, descendant trop tantôt près de la Terre, et semant la désolation. Ce que voyant, et afin de limiter le désastre, Jupiter décida de précipiter Phaéton et son attelage dans le fleuve Eridan, où le jeune homme trouva la mort.

    Ce mythe doit se comprendre à la lumière de l’histoire personnelle de Louis XIV, dont on disait qu’il n’était pas le fils de Louis XIII, soupçonné d’impuissance. Il était d’autre part de notoriété publique qu’Anne d’Autriche avait été une femme volage. On comprend aisément quelle leçon Louis XIV pouvait tirer de ce mythe : en tenant fermement les rênes du char de l’Etat, ne prouvait-il pas à lui-même, que sa royauté n’était pas usurpée ?    


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    Terre brûlée par le soleil nécessaire à la croissance des plantes aromatiques, la péninsule Arabique a fourni au monde antique les parfums précieux et recherchés dont l’Antiquité a fait une consommation importante. Hérodote rappelle dans le troisième de ses Histoires que l’Arabie est « le seul pays du monde qui produise l’encens, la myrrhe, la cassie, le cinnamome et le laudanum ». Le légendaire « pays des aromates » se situait, pense-t-on, au Yémen. Ils produisaient l’encens et l myrrhe que transportaient vers Damas et Alexandrie les caravanes de chameaux. La « route de l’encens » longeait la lisière intérieure du haut plateau yéménite, aux confins du désert, là où le relief ne s’oppose pas au passage des chameaux. Partie du Dhofar, elle traversait le Hadramaout, puis se dirigeait vers le nord, parallèlement à la mer Rouge.

    Pline l’Ancien raconte dans son « Histoire naturelle » que 3 000 familles des Minéens d’Arabie possèdent un droit héréditaire d’exploitation des forêts d’encens. Au moment de la récolte, les collecteurs considérés comme « sacré » doivent de façon impérative éviter tout contact avec les femmes et les mort. L’incision à la hachette de l’écorce des arbres à myrrhe et à encens fait jaillir une écume visqueuse qui s’épaissit et se coagule et qu’on recueille ensuite sur une natte de palmier, ou sur une aire battue alentour. L’encens et la myrrhe se présentent sous l’aspect de boulettes irrégulières que forme en se solidifiant un suc blanchâtre.

    Dans son « Histoire des Plantes », le botaniste grec Théophraste décrit le caractère rituel de ces récoltes : « Toute la récolte d’encens et de myrrhe est rassemblée dans le Temple du Soleil, qui est l’endroit le plus sacré du pays de Saba. Des Arabes armés y montent l garde. Chacun porte sa récolte, entasse son lot d’aromates et l’abandonne à la surveillance des soldats, après avoir pris soin de placer sur son lot une tablette indiquant le nombre de mesures qu’il contient et le prix demandé pour chacune. Quand les marchands viennent s’approvisionner, ils examinent les inscriptions et chacun fait mesurer la quantité qui lui convient, tandis qu’il dépose le prix à l’endroit où il a prélevé la marchandise. Arrive ensuite le prêtre du Soleil, qui prélève le tier de la somme pour le dieu. Le reste demeure là jusqu’à ce que les propriétaires reviennent le prendre.

    La récolte des aromates est entourée de merveilleux. Les Histoires d’Hérodote rapportent l’étrange cueillette de la cassie : « C’est après s’être enveloppés de peaux de bœufs et autres le corps entier et le visage à la seule exception des yeux qu’ils vont la chercher ; elle croit dans un lac peu profond ; sur ce lac et autour séjournent, parait-il, des animaux ailés ressemblant fort à des chauves-souris, qui poussent des cris terribles et opposent une vaillante résistance ; il faut les tenir à l’écart de ses yeux et cueillir la cassie dans ces conditions. Quant au cinnamome, les Arabes le récoltent d’une façon plus étonnante encore. Où il nait, quelle est la terre qui le nourrit, on ne peut pas le dire, à cela près que certains, dont l’opinion n’est pas sans vraisemblance, prétendent qu’il pousse au pays où Dionysos fut élevé. Ce sont, dit-on, des oiseaux de grandes tailles qui apportent ces copeaux que, d’un nom appris des Phéniciens, nous appelons cinnamome ; ils les apportent pour la confection de leur nids, qu’ils attachent en les formant de boue contre des roches escarpées où l’homme ne peut aucunement accéder. En face de cette situation, voici donc l’artifice dont usent, dit-on, les Arabes : ils découpent en morceaux aussi gros que possible les membres des bœufs, ânes et autres bêtes de somme qui viennent à périr, les transportent dans la région des roches, les déposent à proximité des nids et se retirent à l’écart ; les oiseaux descendent aussitôt et remontent les quartiers de viande dans leurs nids qui, ne pouvaient en supporter le poids, se rompent et tombent à terre ; eux surviennent alors et recueillent ainsi le cinnamome, qui arrive de là dans d’autres pays »

    Produits du soleil, les aromates ne peuvent pousser que sur une terre brûlante et sèche comme la péninsule Arabique, d’où s’exhale, rapporte Hérodote, « une odeur merveilleusement suave » que sentit la flotte d’Alexandre au large des côtes de l’Arabie. Les Sabéens qui habitaient le sud de la péninsule Arabique, au Yémen, utilisaient les précieux aromates dans leurs cultes.

    De per fumare, le parfum établissait une médiation verticale entre les hommes et les dieux, d’où l’origine culturelle du parfum dans toutes les civilisations. Les parfums furent connus en Egypte dès l’Antiquité la plus reculée. Ils étaient utilisés dans les rites sacrés, pour l’embaumement et la conservation des morts, ainsi que pour la toilette. Dans les grands temples égyptiens, comme deux d’Edfou et de Médinet-Abou, existaient des laboratoires affectés à la fabrication des parfums dont les formules étaient inscrites sur les parois des sanctuaires. Sur les murs du temple de Médinet-Abou sont gravés le calendrier des fêtes religieuses et la liste des « parfums de fête » utilisés pour chacune d’elles. Certains étaient brûlés dans des encensoirs ou servaient à parfumer les statues divines. Les techniques d’embaumement des morts consistaient à vider la tête et le corps et à les remplir de Myrrhe, de cinnamome, et d’autre parfums à l’exclusion de l’encens. Le corps après avoir été plongé dans un bain de natron pendant soixante-dix jour, était enveloppé dans des bandelettes de lin enduites d’un onguent aromatique.

    Pendant longtemps, les aromates ne s’employèrent que pour les cérémonies religieuses et les embaumements, mais, à mesure que la civilisation se développait, les riches Egyptiens achetèrent aux prêtres des parfums fabriqués dans les laboratoires des temples. Les onguents parfumés étaient employés pour enduire tout le corps afin de conserver l’élasticité des membres. On les mettait dans des vases de pierre et de métaux précieux, parfois de terre émaillée ou de verre irisé. Les parfums servaient également à embaumer les salles de festin où ils brûlaient dans des cassolettes richement ornées.

    Pendant leur captivité en Egypte, les Hébreux apprirent l’art de la parfumerie. Rentrés en Judée, fertile en fleurs et plantes odoriférantes, ils brûlèrent des parfums en hommage à leur dieu, conformément à l’ordre que Moïse avait reçu lorsqu’il ramena son peuple de captivité . L’autel à parfums devait être en bois d’acacia, de forme carrée, entièrement plaqué d’or pur, avec des cornes à chaque angle, entouré d’une moulure et muni de barres pour le transporter. Aaron devait y faire brûler chaque matin et chaque soir le « parfum perpétuel ». Sur cet autel ne devait être offerts ni parfums profane, ni holocauste, ni libation. L’huile d’onction sainte, composée de myrrhe, de roseau, de cassie, servait à oindre la tente de la rencontre, l’arche de la charte, la table et l’autel de l’holocauste, la cuve et les grands prêtres, Aaron et ses fils. Le parfum sacré contenait du storax, le l’ambre, du galbanum, de l’encens, en partie égales. Ni le parfum ni l’huile ne devaient être imités ou utilisés pour des usages profanes sous peine de retrancher le coupable de sa parenté. L’Ancien Testament donne les formules de l’huile et de l’encens sacrés, mais leur fabrication pose des problèmes qui restent sans solution.

    L’utilisation de parfums dans un but de séduction est rapportée par de nombreux exemples tirés de la Bible. C’est ainsi qu’Esther, avant de comparaitre devant le roi Assuérus qui était un ennemi de son peuple, oint son corps « pendant six mois avec de l’huile de myrrhe, puis pendant six mois avec des baumes et des crèmes de beauté » De même Judith, pour séduire Holpherne dans le dessein de le tuer, « quitte ses habits de veuve, lave son corps, avec de l’eau, et l’oint d’une épaisse huile parfumée » Les aromates étaient également utilisés pour parfumer le vin, la maison, les vêtements.

    Les parfums d’Arabie ne furent pas seulement connus des Egyptiens et des Hébreux, mais de toutes les grandes civilisations antiques. Quoique l’Arabie fournit aux Athéniens la myrrhe, l’encens et les essences les plus recherchées, les Athéniens, qui de tous les Grecs étaient ls plus renommés pour leurs talents de parfumeurs, accrurent considérablement la liste des plantes odorantes en usage. Ils introduisirent dans la parfumerie les essences d’iris, de rose, de crocus, de marjolaine et fabriquèrent le meilleur nard. Les boutiques des parfumeurs étaient alors un lieu de rendez-vous comparable au café. On s’y réunissait pour y discuter politique, affaires privées et publiques. Les Athéniens disaient « aller au parfum » comme nous disons « aller au café ». La Grèce fit des parfums un usage considérable. Pour rendre honneur aux dieux et aux morts, mais aussi pour le bien-être des vivants qui raffolaient des huiles parfumées, des vêtements odorants, des onguents contenus dans des vases d’onyx et des boites d’albâtre. Les Grecs allaient jusqu’à parfumer abondamment les salles de banquets et les vins. Le luxe des parfums fut poussé si loin chez les Grecs qu’une loi de Solon en défendit l’usage aux Athéniens, mais en vain.

    Les Romains aimèrent les parfums jusqu’à l’excès, quoique leur vente fut d’abord rigoureusement interdite. Ils en faisaient venir leurs colonies d’énormes quantités. Ils les employaient avec une profusion inégalée pour parfumer leurs bains, leurs chambres, leurs lits. Ils en avaient, de même que les Grecs, pour les différentes parties du corps. Ils en versaient dans leur vin et en répandaient sur les têtes des convives sous forme de pluie. Lors des funérailles de sa femme Pompée, Néron fit bruler plus d’encens que l’Arabie ne pouvait en fournir en une année.

    L’avènement de la religion chrétienne va correspondre à une proscription de la parure, des fards, du luxe et bien sûr des parfums, symbolisant la frivolité du monde païen. Les textes des pères de l’Eglise, tel que Tellurien ou saint Cyprien, condamnent tous les artifices de la beauté et exaltent les parfums de la vertu. Ces reprochent répétés furent, semble-t-il, de peu d’effet. Bien plus que les exhortations puritaines, c’est l’abandon progressif des pratiques funéraires liées aux parfums et la disparition des antiques réseaux commerciaux avec l’Orient qui provoquent, en Europe, une diminution de la consommation des produits parfumés. L’empire d’Orient conservera les techniques de la parfumerie grâce à Byzance, où se perpétuent les modes de vie gréco-romains. En Europe, l’usage des parfums décline pendant six siècles. Les substances parfumées ne sont plus liées aux habitudes sociales comme dans l’Antiquité. Elles sont couteuses et réservées à une catégorie sociale puissante. C’est avec les croisades et la reprise des échanges commerciaux avec l’Orient, par l’intermédiaire de Venise et de Gênes, que renaît le commerce des produits aromatiques.

    Les parfumeurs vont alors former des corporations jusqu’à la Révolution. En 1190, Philippe-Auguste octroie aux parfumeurs des statuts qui furent confirmés par Jean le Bon, le 20 décembre 1357, et par lettre royale de Henri III le 27 juillet 1582. Sous Louis XIV, les parfumeurs, appelés aussi parfumeurs-gantiers, prennent une grande importance. Leur corporation obtient des patentes enregistrées au parlement. Leurs armes sont « d’argent à trois gants de gueules au chef d’azur chargé d’une cassolette antique d’or ». En qualité de gantiers, ils avaient le droit de vendre gants et mitaines de toutes matières, ainsi que les peaux employées pour les gants, et comme parfumeurs, ils avaient le privilège de parfumer les gants et de vendre toute espèce de parfums. Les gants parfumés étaient alors forts à la mode. Ils sentaient le musc ou l’ambre. Les plus estimés étaient ceux de Frangipane et de Néroli. A la Révolution, les parfums portent des noms inspirés par les événements. Sous le Directoire et l’Empire, Napoléon et Joséphine aimant beaucoup les parfums, la parfumerie se transforme en s’appuyant sur la science. L’usage des parfums liquide à base d’alcool, technique qui suppose la maitrise de la distillation en alambic, se généralise. Avec cette technique, oubliée en Europe depuis la fin du monde romain et qui réapparait à la Renaissance avec la redécouverte de l’alambic, la parfumerie va prendre son visage moderne.

    Venus à l’origine d’Arabie, les parfums, n’eurent pas seulement une utilisation cultuelle et érotique, mais aussi, comme nous le verrons par la suite, ils furent liés à la prophylaxie des épidémies et à la magie.      

            


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