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    Dès leur publication, les légendes de Saint Malachie sont étudiées par les savants et les théologiens les plus illustres de l'époque. En 1601, le dominicain Giannini en publie deux commentaires, en latin et en italien. Le bénédictin Henriquez, le jésuite Cornelius et Lapide et beaucoup d'autres citent le précieux document, qu'ils considèrent déjà comme ayant une autorité indiscutable.

    A côté des savants, les plus saints personnages saluent avec respect la mystérieuse prophétie. C'est la cas du Vénérable Holzhauser, qui l'invoque dans son Commentaire sur l'Apocalypse. Un jésuite, Engelgrave, parle même de " monument mémorable ", de "symboles obscurs qui trouvent toujours leur application lumineuse". Et, de fait, l'oeuvre attribuée au saint évêque d'Irlande s'impose de plus en plus à la confiance publique, car la réalisation des sentences devient de plus en plus frappante.

    En Italie, les différentes éditions se succèdent presque sans interruption. A Rome même, les autorités religieuses témoignent d'un grand respect pour la fameuse révélation. En 1670, lors de l'élection de Clément X, des inscriptions triomphales saluent dans le nouveau pontife celui qui réalise la légende De Flumine magno (du grand fleuve). Clément X naquit en effet à Rome, sur les bords du Tibre, le 13 juillet 1590, à un moment où cette rivière avait tant débordée "qu'elle entra dans sa maison et fit flotter son berceau". C'est tout au moins ce que rapportent les contemporains. Toutefois, cette histoire (qui rappelle celle de Moïse) est peut-être trop belle pour être vraie.

    Les fêtes du couronnement firent néanmoins allusion à la prophétie. 

    " Le 8 juin, écrit un historien, le pape se rendit à la basilique de Latran, accompagné d'un cortège pompeux et solennel. Au Capitol, le peuple romain lui avait dressé un arc de triomphe dont le plan était dû au chevalier Raynald. Cet arc était décoré de deux statues représentant la Noblesse et la justice ; deux autres statues, placées au sommet, soutenaient un vaste écusson où resplendissaient six étoiles avec l'épigraphe De flumine magno, que la foule croit avoir formulée autrefois par le bienheureux Malachie dans un sens prophétique. On voulait signifier que le pape Clément était originaire de la ville de Rome, traversée par le grand fleuve du Tibre. "

    L'historien ajoute que, sur un autre arc de triomphe, on pouvait lire, entre autres " Du grand fleuve des cieux (De fulmine Caeli magno), les astres cléments feront dériver sur la terre un fleuve de paix. "
    C'était une allusion à l'autre interprétation de la devise du pape.
    Les armes de sa famille représentaient en effet six étoiles, c'est-à-dire la constellation de Cassiopée, qui est traversée par la Voie lactée ; en latin, cette immense traînée lumineuse est désignée par l'expression Magnum flumen (le grand fleuve). Très souvent les devises des papes firent l'objet de deux interprétations.

    Dès lors, à chaque élection pontificale, des démonstrations semblables attestèrent la faveur prolongée dont jouissait la prophétie. Fait remarquable, ce ne sont pas seulement les catholiques qui la scrutent, mais les protestants s'y intéressent également, comme le savant Théodore Crüger, Graff ou Daniel Moller, qui la tiennent pour authentique.

    Cette opinion reçut une confirmation supplémentaire en 1689, lors d'une élévation au souverain pontificat du pape Alexandre VIII. Sa devise Poenitentia gloriosa (la Pénitence glorieuse) fut immédiatement rapprochée de la fête que l'on célébrait le jour de son élection (6 octobre), celle de saint Bruno, fondateur de l'ordre très sévère des Chartreux adonnés à une pénitence perpétuelle. Ce pape fit même graver dans les premières années de son pontificat des médailles sur lesquelles saint Bruno était représenté entouré de la sentence de Malachie : Poenitentia gloriosa.

    On est même en droit d'affirmer qu'n une occasion au moins la prophétie de saint Malachie a contribué à faire un pape. Déjà, en 1644, l'élévation d'Inoncent X sur le trône de saint Pierre pose un problème curieux, celui de savoir si les cardinaux ne se laissèrent pas influencer par la 82è légende, Jucunditas crucis (la beauté de la croix), au  point de procéder  l'élection de ce pape le jour de l'Exaltation de la Croix, le 14 septembre. 

    Mieux encore, en 1667, au conclave dans lequel le pape Clément IX fut l'élu, il occupait la "chambre des cygnes", ainsi nommée à cause d'une peinture qui représentait ces oiseaux. Voici, à ce sujet, le témoignage d'un contemporain, Coulon, d'autant plus probant qu'il date des premiers mois du pontificat de Clément IX époque où il n'aurait pas manqué d'être contredit si ce témoignage s'était avéré faux.

    " Aussitôt après que le Sacré-Collège eut été convoqué dans toutes ses formes ordinaires, le partage seul que le sort lui avait marqué au conclave de la Chambre des Cygnes, où ces oiseaux était peints, fut un préjugé secret que ce cardinal serait l'astre qui en était mystérieusement promis. En effet, par une union merveilleuse de toutes les volontés et par le consentement universel de tous les suffrages, il fut exalté au souverain pontificat. " La devise de Clément IX était Sidus olorum (l'astre des cygnes). Or ce pape était natif de Pistoia, arrosé par la rivière Stella (étoile).

    Au XVIIè siècle, les confirmations de la prophétie de saint Malachie ne manquèrent donc pas pour ancrer l'opinion dans sa créance? C'est seulement  la fin de ce même siècle que les premières voix discordantes se firent entendre, dont celle d'un célèbre Menestrier, qui accrédita la thèse que le texte tout entier pourrait bien avoir été fabriqué en 1590, au conclave où fut élu Grégoire XIV. Cette tendance à la critique allait être celle de tout le XVIIIè siècle, qui s'attaqua d'ailleurs aux textes mêmes de l'Ecriture sainte. Le père Menestrier fit école et ses idées furent reprisent par de nombreux auteurs...

     

     


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  • Le plus célèbre, le plus connu des alchimistes des provinces belge fut sans conteste Jean-Baptiste Van Helmont, qui mourut à Vilvorde en 1644. Il émerge de la cohorte de ses contemporains qui ne sont plus que des noms sur les tablettes des siècles enfuis : Tassin de Bruxelles, Gilbert de Landen, Ewald Vogel, guillaume Mennens...

    Si René de Cerclaires échappa à l'oubli, ce fut grâce à la place que son protecteur, le comte de Hornes, se ménagea dans l'histoire. Celui qui, aux côté du comte d'Egmont, paya de sa vie l'orgueilleux défi qu'il lança à l'occupant espagnol, avait installé un laboratoire dans son château de Weert et avait confié à Cerclaires cornues et alambics. Hornes fut si enthousiasmé par le savoir-faire de son alchimiste qu'il lui offrit son comté. Après sa décapitation , son héritière contesta cette donation. Cerclaires devança d'éventuelles poursuites judiciaires et pris la clé des champs. Quelques années plus tard, en 1618, on le retrouve au service de l'archiduc Albert. Étonnant ? Que non ! Les transmutations intéressaient les princes pour des raisons évidentes. Le très catholique et tèrs sceptique roi Philippe II n'avait-il pas financé les recherche de Tiberio Della Rocca, qui obtint à Maline 6 onces d"un bel argent ? Van Helmont, lui, fit mieux : 9 onces et 6 gros de mercure se changèrent en or en présence de témoins.

     

    Qui fut au juste cet homme que ne bridèrent ni les remontrances de la raison ni le dogmatisme scientifique ? Un savant génial ? Un illuminé ? Un naïf pris au piège de ses propres miracles ? Tout cela sans doute.

    Issus de la noblesse, Jean Baptiste Van Helmont termina brillamment ses études de philosophie à l'université de Louvain, alors qu'il avait à peine 17 ans. Les conférences que Martin del Rio fit sur la magie, au collège des Jésuites de Louvain, captivèrent ce jeune homme qu'une foi ardente vouait déjà au mysticisme. Son esprit, jamais rassasié, engrangea si bien les connaissances médicales du temps qu'à peine avait-il été proclamé médecin à 22 ans, que s'ouvrait à lui la carrière professorale.

    L'apparition d'un ange l'éloigna de Louvain ! Considérant l'acte médical comme une oeuvre charitable, Van Helmont pérégrina pendant une dizaine d'années. Il perfectionna son art en France, auprès de Paré et de Palissy. En Bavière, il fut admis dans les rangs des Frères de la Rose-Croix qui peut-être éveillèrent son goût pour l’alchimie.

    Son long voyage s'acheva à Vilvorde ; il s'y installa, équipa un laboratoire et s'attela à la rédaction d'ouvrage. Son livre le plus fameux l'Ortus medecinae, ne fut achevé qu'à la veille de sa mort. Un Irlandais nommé Butler, libéré de prison grâce à son intervention, lui offrit en remerciement une pierre étrange que le savant baptisa Drif. Non content d'opérer des guérisons miraculeuses, il utilisa la pierre pour transmuter du mercure en or. Ses succès furent si retentissants que le prince-évêque de Liège, Ernest de Bavière, et l'empereur Rodolphe II voulurent s'attacher ses services d'alchimistes. En vain, Van Helmont demeura à Vilvorde et conjugua l'étude et l'expérimentation en laboratoire. Deux de ses fils furent emportés par une épidémie de peste. Cette fois, la pierre n'avait pas rempli son rôle ! Surmontant sa douleur, le médecin que les drogues du temps réduisaient à l'impuissance observa le fléau, fabriqua les potions qu'il jugeait adéquates et réunit la somme de ses analyses dans un Traité des Fièvres.

    Les avis de Van Helmont sur telle ou telle question différaient souvent de ceux qu'émettaient les facultés de Louvain. D'une manière générale, il tenait la médecine de son siècle pour une charlatanerie, contestant notamment la sacro-sainte théorie des humeurs, refusant la saignée, prescrivant des médications chimiques en lieu et place des drogues d'origine végétale qui prévalaient depuis l'Antiquité.

    Face à la redoutable Inquisition, il fallait du courage pour faire oeuvre originale. Van Helmont n'en manquait pas. Il endura la prison en 1621 pour avoir rédigé une sérieuse propositions sur le magnétisme animal, d'ailleurs publiées à son insu. Son fils François-Mercure, qui édita les œuvres paternelles, connut des affres identiques. Egalement médecin, également tenté par le mysticisme, il dut blanchir devant l'inquisition romaine, en 1662, des propos tenus pour hérétiques. Un curieux homme, lui aussi, que la lecture de la Kabbale inspira dans la mise au point d'une méthode d'éducation pour sourd-muets.

     Il ne convient pas ici de s'étendre sur la carrière scientifique de Jean-Baptiste Van Helmont, mais il importe d'en souligner l'aspect encyclopédique, universel, qui caractérise d'ailleurs les préoccupation des savants de la Renaissance. On doit à Van Helmont d'avoir découvert et mis en évidence le suc gastrique. C'est également lui qui, dans le domaine de la chimie, cerna la notion capitale d'état gazeux, le terme même de "gaz" étant de son invention. L'occultisme fut curieusement à la base de cette découverte, puisque celle-ci combine la théorie de Paracelse sur l'archè (l'esprit vital) à celle du blas (la force impulsive).

    Tout l'attrait qu’exerça l'alchimie sur Van Helmont s'explique par la fascination profonde dont le surnaturel entachait cet esprit par ailleurs critique et éminemment logique. Son adhésion à la philosophie hermétique, très répandue parmi les humanistes, se renforçait d'un mysticisme pour le moins extravagant. Ne prétendait-il pas avoir vu son âme lui apparaître sous la forme d'un cristal resplendissant ? 

    La croyance en la réalité de la transmutation alchimique s'ensemençait donc dans un terrain idéal, et les alliages obtenus en laboratoire, considérés par des yeux pleins de ferveurs, brillaient comme de l'or pur. Pénétré de l'excellence des pratiques magiques et de l'alkaest, le remède universel, Van Helmont poursuivit son "oeuvre de sagesse" auprès de l'athanor, le fourneau des alchimistes

    Il conserva jusqu'à son dernier souffle la certitude d'avoir trouvé la pierre philosophale, se gardant bien d'en révéler la recette et la nature, car, disait-il en se recommandant  Dieu, il ne fallait pas jeter des roses aux pourceaux

     


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    Avec le roi Louis-Philippe, magie et initiations occultes atteignent-elles le plus haut représentant du pouvoir en personne ? On peut le penser. Dans la famille d'Orléans, on s'est toujours passionné pour la sorcellerie, même lorsqu'il fallait pour cela "pratiquer de la main gauche", comme on dit en ésotérisme, c'est-à-dire ne pas hésiter à recourir aux "services" de la magie noire pour faire aboutir ses desseins...

    Le souverain n'échappe pas à son hérédité. Pendant son exil en Angleterre, il a beaucoup fréquenté les cabalistes, rose-croix et autres spécialistes du monde de l'étrange. On sait qu'il connait sur le bout des doigts les grande conjurations léguées par les initiés du siècle précédent.
    Il aurait lui-même pratiqué plus d'une évocation de nécromancie. 
    Quant aux divers procédés d'envoûtement, que ce soit d'amour ou de haine, il les maîtrise sans conteste, bien qu'il répugne à donner dans une magie opérative.

    Entre l'attentat de Fieschi, le 20 juillet 1835, et le coup de fusil manqué de justesse du garde Lecomte à Fontainebleau, en avril 1846, on a beaucoup essayé de l'assassiner. Nul n'a réussi.

    Chaque fois, le roi en a réchappé comme par miracle. Et cela fait jaser. On prétend à la Cour comme à la ville que le souverain à quelque pacte avec l'invisible, à moins qu'il ne dispose d'une autre forme de protection magique. Sinon, pourquoi serait-il aussi insouciant de risquer sa vie, aussi plaisamment détendu alors qu'une balle vient de se loger à quelques centimètres de son front, dans un panneau de sa voiture, et que la bourre de la charge est encore prise dans sa perruque...

    Le pacte ne doit pas entendre sa famille dans ses clauses... En 1842, le roi est inquiet. Son fils, le duc d'Orléans, a revu une ancienne maîtresse qui, nul ne l'ignore, s'adonne elle aussi à la magie d'amour et de haine. On a séparé jadis le prince de cette femme, par ailleurs mariée et donc peu susceptible d'entretenir avec lui quelque liaison que ce soit. Au cours de la scène de retrouvailles, le prince s'est blessé au doigt et la personne a soigneusement conservé le mouchoir plein de sang...

    " Je n'aime pas que ce mouchoir ensanglanté soit resté entre ses mains ", ne cesse de répéter Philippe Egalité à ses proches.

    Il craint une chose qu'il connait bien par sa culture ésotérique ; l'envoûtement de sang. C'est l'un des plus terribles. Tous les grimoires assurent que l'on peut conduire quelqu'un à la mort grâce à lui, pour peu qu'on applique convenablement le rituel. Et il y a des centaines de gens à Paris qui sont capables de la faire.

    Le 13 juillet 1842, le duc d'Orléans part pour Neuilly dans une calèche à deux chevaux. Au bout de la route des Ternes, les chevaux s'emballent sans raison aucune. Le prince est protégé hors de la voiture et il se fracture le crâne. Il meurt presque sur le coup.

    Est-ce le maléfice du sang qui a fait son oeuvre ou simplement le
    hasard ? Le roi penche pour la première hypothèse et sans doute a-t-il ses raisons. Il fait soigneusement laver les tâches de sang qui maculent le pavé. L'initié craint qu'on utilise à nouveau cette précieuse substance pour porter préjudice criminel à toute la famille royale cette fois...

    Le reste du siècle, nous le disions ne dédaignera ni la magie noire, ni l'astrologie, ni toutes les autres sciences occultes. Napoléon III s’intéresse à la voyance et il fréquente en particulier cet étonnant personnage, aujourd'hui complètement méconnu que fut Edmond Billaudot. L'homme est un magiste dans la plus grande tradition du terme. Il se vêt d'une longue robe aux motifs cabalistiques pour aller en consultation avec l'empereur. Il prédit la défaite de Sedan et voit dans le ciel d'un de ses rêves les combats de Verdun avec une incroyable précision. Mais le plus étrange est certainement une séance de "somnambulisme", comme on disait à l'époque, au cours de laquelle il prend la main d'un mort et vit en transe la séparation de l'âme et du corps.

    Entre 1860 et 1900, l'engouement pour l'occultisme, qu'il soit ou
    non "de la main gauche", gagne encore. On dit des messes noires aux quatre coins de Paris, Rue du Cherche-Midi, le ténébreux Huysmans pratique d'incroyables cérémonies sataniques. Il s'en défendra par la suite, mais sa connaissance de certains détails du rituel diabolique est beaucoup trop précise pour qu'il n'ait été mêlé de près à ses applications opératives.

    Hyppolyte Rivail un petit comptable, devient Allan Kardec et donne tous les moyens d'évoquer les morts dans ses deux ouvrages qu'il dit inspirés de l'au-delà, le Livre des médiums et le Livre des esprits. Le spiritisme est né. Il va devenir une véritable mode dès 1890. Et, aujourd'hui encore, on peut remarquer que la tombe de son fondateur est toujours la plus fleurie au cimetière du Père-Lachaise !

    Le chanoine Docre, l'un des inquiétant héros de Là-bas, n'est nullement un personnage imaginaire. Huysmans l'a carrément calqué sur l'une des plus terribles figures du satanisme de l'époque, l'abbé Boullan. C'était un excellent prêtre, docteur en théologie par surcroît, ancien supérieur d'une communauté religieuse, fort prisé de ses supérieurs... jusqu'à ce qu'il se découvre des dons de guérisseur- sorcier et qu'il tombe dans les grimoires et les rituels de la magie satanisante.

    Huysmans n'a rien inventé. Le prêtre maudit qui célèbre une messe noire dans une cave parisienne devant une image caricaturale du Christ, nu sous ses vêtements sacerdotaux, avec une chasuble rouge ornée d'un bouc noir et d'un pentagramme renversé, a existé en la personne de Boullan. Moyennant une certaine somme versée à des organisateurs très discrets, on pouvait toujours en 1981 se rendre à pareille cérémonie.

    Il s'en dit dans le VIè arrondissement, près de la rue Mouffetard où l'on va toujours recueillir de la terre sacrée sur la tombe du diacre Pâris à saint-Médard, voire, certaines nuits, dans le cimetière du Montparnasse ou au Père-Lachaise. Messes noires ou messes d'or, où est la différence ?
    La seconde est peut-être plus orgiaque, c'est tout. Mais au cours de l'une ou l'autre, on demande au Diable de réaliser occultement certains desseins peu avouables que l'on caresse.

    Au temps d'Huysmans, l'abbé Boullan proposait par exemple ses services et ceux, très particuliers, des religieuses de son diabolique harem pour aider dans les affaires. Rien n'a changé. Si vous désirez "être envoûte de fortune", selon la formule consacrée par des spécialistes, rendez-vous dans certain débit de boisson de la rue Mouffetard. C'est, dit-on encore, l'un des points forts de la géographie secrète de la capitale. 
    Ainsi, quand il y a des exécutions, le bourreau vient s'y recueillir avant d'aller mettre en train la célèbre machine de ce bon docteur Guillontin.
    Il est vrai qu'il a aussi affaire pour sa part aux magiciens. Un tueur officiel leur est, parait-il, du plus grand secours pour certaines opérations très précises et nécessitant certaines connaissances et certains ingrédients...

    Dans l'arrière-boutique de cet établissement, où vous ne pénétrerez d'ailleurs qu'en montrant patte blanche, vous rencontrerez  le pourvoyeur des cérémonies sataniques. On dit au Diable des messes comme à Dieu, avec des intentions, et l'on verse son obole. Pour quelques bonnes centaines de francs, il vous fera réussir dans certaines affaires délicates vous tenant à cœur. Il n'a pas son pareil pour éliminer les concurrents ou pour circonvenir le hasard à votre avantage.

    Rien n'a vraiment changé depuis les terribles messes de l'abbé Boullan. Rien et surtout pas le danger qu'il y a à fréquenter ce genre de compagnie. Un danger occulte bien entendu, puisqu'on ne tient pas compte d'une éventuelle descente de police qui pourrait s’intéresser de près de près à ce qui se passe lors des conjurations sataniques. Le pacte de Faust, on s'en souvient, comportait certaines clauses à l'avantage du bailleur. De même la cérémonie noire.

    Boullan est mort d'un envoûtement jeté sur lui par les ennemis de ses pratiques, les rose-croix, représentés en particulier par le grand ésotériste Stanislas de Guaïta. Ce dernier n'a jamais fait qu'utiliser le choc en retour, l'énergie psychique ou surnaturelle mise en oeuvre par le prêtre maudit au sourd de ses rituels.

    " ... j'étais à Lyon, écrit Huysmans, le 3 janvier 1893, lorsque parvint chez l'abbé une lettre de la rose-croix, signée Guaïta, condamnant à mort par les fluides celui qui vient de mourir... "

    Vers 1856, tous les amateurs d'occultisme et de science secrètes fréquentent le 120 du boulevard du Montparnasse, où s'est installé Eliphas Levi. Il s'appelle en fait Alphonse Louis Constant, et c'est un ancien séminariste vivant de sa plume et de son crayon. Il a hébraïsé son non quelques années auparavant après avoir étudié la cabale et les doctrines ésotériques. De ces recherches, il a tiré plusieurs traités de science occulte et, en particulier, le célèbre Dogme et rituel de haute magie.

    Levi n'est pas un sataniste. Il s'en défend. Pour lui, la magie, avec ses conjurations et ses pactes, peut procéder d'entités autre que diaboliques. Il pense très sérieusement qu'elle constituera l'un des champs privilégiés d'investigation dans l'avenir. Il estime être personnellement appelé par son itinéraire spirituel, propre à justement empêcher que les forces ténébreuses d'un certain ésotérisme ne prennent le pas sur le véritable occultisme de l'adepte.

    C'est pour cela qu'il se méfie de ce jeune prêtre à la fois insolent et timide, aux yeux étrangement hallucinés, qui, au début de cette année 1856, vient lui demander conseil. L'homme voudrait emprunter au maître le célèbre Grimoire d'Honorius, l'un des plus dangereux recueils de recettes noires jamais publié. Lévi lui demande ce qu'il veut en faire, et l'autre, énigmatique, répond simplement :

    " J'ai une certaine mission à remplir. "

    Un an plus tard, dans la nuit du 1er au 2 janvier, une voix réveille le magiste.

    " Viens voir ton père qui va mourir ", dit-elle à son oreille.

    Il sursaute, croyant dans un premier temps à une hallucination. Puis il se persuade que la voix mystérieuse venait effectivement de quelque part, de ce monde incertain peut-être, se dit-il, dont il s'occupe dans ses livres et ses opérations magiques. Une étonnante intuition l'oblige à errer tout le jour dans Paris et à se retrouver à l'église Saint-Etienne-du-Mont, où l'archevêque de la capitale inaugure en grande pompe la neuvaine de sainte Geneviève.

    Là, il assiste horrifié à l'assassinat du prélat par le jeune homme venu jadis chercher chez lui le fatidique grimoire. Louis Verger n'avait sans doute pas réussi à découvrir le texte maudit dans lequel se lisent plusieurs envoûtements de mort dont la tradition sataniste vante l’efficacité. Il avait choisi le couteau. Dans la petite chambre qu'il avait louée, rue de Seine, on découvrira tout un arsenal de sorcier, des poupées de cire transpercées de clous, un cœur de bœuf en décomposition, des herbes maléfiques...

    De nos jours, il y a, dans la capitale, plusieurs " fournisseur en chambre " de ce genre de matériel. Bave et sang de crapaud se vendent fort bien, tout comme les ouvrages de magie d'Eliphas Lévi, qui constituent toujours pour leur éditeur d’excellents succès de librairie.

    Le siècle de l'atome n'a jamais mis en péril le destin mystérieux d'un certain Paris. Il ne l'a même pas  marginalisé. Sectes et sorciers passent des annonces dans les médias et l'on parle très sérieusement de mettre l'alchimie au programme à la Sorbonne !

    Et toutes les deux semaines, dans les caves de cette dernière, qui communiquent toujours avec deux des grands souterrains traversant la capitale, une étrange association réunit ses membres. Ils accèdent par une arrière-boutique de la rue Saint-Jacques à un étroit boyau voûté qui les conduit au lieu de prédilection de leur culte, une immense salle basse dont l'administration des Carrières de la ville ne connait pas la destination initiale. Là, on adore le Baphomet du Temple. On lui sacrifie un coq et non plus un enfant, comme cela se faisait, parait-il, par le passé...

    L'histoire du Paris des mystères continue.

     


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