• Le mythe du pays de Cocagne fait son apparition en plein essor de la société médiéval. L'historien brésilien Hilârio Franco-Junior, qui a consacré une étude passionnante au mythe médiéval, date sa gestation dans la tradition orale du XIIè siècle et son apparition sous sa forme littéraire du milieu du XIIIè siècle. C'est Li Fabliau de Coquaigne, rédigé dans le nord de la France, qui, s'inspirant de nombreuses sources plus anciennes, propose la première et la plus complète description du monde à l’envers.

    Alors que l'Etat, de plus en plus présent, et l'Eglise dont le pouvoir ne cesse de croître, cherchent à réglementer et à encadrer tous les aspects de la vie, ce pays imaginaire émerge par réaction aux carcans sociaux, économiques et moraux qui figent la société. Le fabliau, en s'inscrivant pleinement dans la tradition carnavalesque, prend le contre-pied des valeurs qui s'imposent dans la société occidentale  le travail, le calendrier chrétien avec son rythme soutenu de fêtes et de jours ouvrables, de jeunes et de jours gras, la sexualité maîtrisée en vue de la seule procréation, la modération.

      Or, le pays de Cocagne est un haut lieu de l’inversion de ces valeurs. Ici, le travail, avec son lot d'efforts physiques et d'injustices dans la distribution, est banni à tout jamais. Au contraire, c'est le plus paresseux qui gagne le mieux sa vie. La sexualité débridée y est de rigueur et les sexes ont les même droits : Tout en chacun est libre de choisir le ou la partenaire qu'il souhaite. L'orgie permanente n'aboutit pas à la procréation. Mais celle-ci n'est pas nécessaire car, si personne ne naît dans le pays, personne n'y meurt. Le rythme naturel qui va de la naissance à la maturité, au déclin et à la disparition n'existe pas : il suffit de boire à la fontaine de Jouvence pour rester éternellement imberbe, au seuil de la maturité. Le pays de Cocagne ignore le temps ou, plutôt, il fait fi du temps exigeant : le fête permanente y est de mise et les plaisirs de la bouche font la loi.

         C'est la présence obsessionnelle de la nourriture qui permet à Jacques Le Goff de définir cette utopie médiéval comme le " mythe de la ripaille ". Si le Moyen Âge souffre d'une double frustration, le pays de Cocagne jouit d'une abondance sans limites. Et l'abondance est avant tout alimentaire. Ce n'est pas un hasard si l'on croit reconnaître dans le mot cocagne et ses analogue toute sorte de friandises, par exemple le provençal coca ou le néerlandais cockaenge (gâteau).

    La nature généreuse offre à l'homme tout ce dont il a besoin et bien davantage. Mieux encore, la nature se substitue à la culture. Les paysans et les cuisiniers n'ont pas à s'échiner : le vin coule en rivières, les broches et les côtelettes servent d'enclos aux champs de blé, les flans tombent en pluie trois fois par semaine. Les cerfs et la volaille, cuits sur la braise et en marmite, ne demandent qu'à être mangés ou emportés gratuitement. Les maisons mêmes sont comestibles : les toits sont faits de jambon et d'esturgeons et les poutres de saucisses. Les tables dressés font partie du paysage et n'attendent que les convives de tout état. La nature est si prolifique qu'elle fait pousser dans les champs des bourses pleines de sous - mais personne ne les ramasse car l'argent n'a pas cours. Et les drapiers et les cordonniers, ces rares travailleurs, imitent la nature en distribuant gracieusement des robes et des chaussures qui s'adaptent toutes seules aux clients. En homme du nord, l'auteur du fabliaux, un trouvère ou un goliard, exalte le chaud : la nourriture chaude, les vêtements chauds et le printemps éternel qui berce par sa douceur les habitants bienheureux du pays.    

     

     

     


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    Selon la théorie de l'évolution, plantes et animaux descendent des espèces qui les ont précédés. C'est la thèse du transformisme, avancée par Erasmus Darwin, Jean-Baptiste Lamarck et, bien sûr, Charles Darwin, dont l'ouvrage De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle, paru en 1859, eut le retentissement que l'on sait.

    Lamarck puis Darwin avaient dans un premier temps défendu la théorie de la fixité des espèces, théorie que prônaient Aristote et d'autres grands philosophes de l'Antiquité et que confirmait l'interprétation classique du récit de la Genèse : Dieu aurait créé directement plantes et animaux. Et cela dans leur forme définitive.

    On comprend donc que les " fondamentalistes " se soient violemment opposés aux idées révolutionnaires de Darwin. De nos jours, l'évolution des espèces est un fait acquis. Ses causes et ses modes restent cependant sujets à controverse.

    Dans " L'origine des espèces ", Charles Darwin propose des théories explicatives de l'évolution. En définissant le mécanisme de la sélection naturelle, il fit progresser l'idée du transformisme. Toutefois, bien que ces deux théories nous semblent désormais inséparables, il est important de savoir qu'il n'en est rien. On peut admettre l'idée de l'évolution sans pour autant se satisfaire de l'explication qu'en donne Darwin.

    Rappelons dans un premier temps les principaux fondements de la thèse Darwinienne . C'est en observant les rapports des fossiles avec des espèces vivantes que le biologiste anglais conçut l'hypothèse d'une évolution graduelle des espèces. Les fossiles montrent, en effet, que la plupart des animaux et des plantes qui ont existé sur terre ont maintenant disparu. L'exemple le plus connu reste celui des reptiles , entre autres les dinosaures, dont 'espèce s'est éteinte il y a 70 millions d'années.

    Puisque, dans de nombreux cas, les nouvelles espèces ressemblent à celle qui les précèdent, le lien de descendance semble évident. Oiseaux et mammifères apparurent, par exemple, vers la fin du règne des reptiles. Or, il y a des ressemblances anatomiques certaines, notamment deux paires de membres terminés par cinq doigts. Malgré les modifications d'espèces, le même modèle se répète dans les ailes des oiseaux, dans les doigts des hommes et dans les nageoires des baleines.

    Animaux domestiques et plantes cultivées nous donnent une autre preuve de l'évolution. Qu'un lévrier et un pékinois appartiennent à la même espèce, qu'ils soient le produit d'une sélection artificielle démontre clairement que les caractères d'une espèce ne sont pas fixes, qu'ils peuvent évoluer avec le temps.

    La distribution géographique des plantes et des animaux constitue un autre facteur en faveur de l'évolution. Lors de son voyage à bord du Beagle, Darwin avait observé aux îles Galapagos des espèces distinctes de pinsons qui avaient toutes un type de nourriture particulier. Pourtant tous ces oiseaux vivaient très près les uns des autres. Fait d'autant plus curieux que les pinsons de la côte voisine d'Amérique se ressemblaient tous. C'est le facteur géographique qui explique ce phénomène. A un moment donné certains pinsons migrèrent du continents vers les îles. En s'adaptant aux conditions locales ils se différencient de plus en plus et constituèrent peu à peu de nouvelles espèces. Les exemples de ce genre sont assez fréquents.

    Enfin, c'est l'évolution progressive des espèces qui explique que l'on puisse les classer facilement. La hiérarchie semble en effet évidente. L'espèce humaine ainsi que les singes appartiennent par exemple au groupe des primates, les primates à celui des mammifères et les mammifères à celui des vertébrés. C'est parce qu'ils ont les mêmes ancêtres que ces groupes ont des caractéristiques communes.

    Bien que l'évolution soit un fait acquis, certains n'en continuent pas moins à affirmer que les espèces ont été créée à intervalles fréquents, d'une matière non vivante et sur une longue période de temps. Ce qui expliquerait que les nouvelles espèces ressemblent à celles qui vivaient auparavant au même endroit. Raisonnement pour le moins compliqué et difficile à défendre, mais qu'adoptent tous ceux qui veulent à tout prix réconcilier leur interprétation de la Genèse avec la réalité.

    On admet de nos jours que l'univers est né d'une gigantesque explosion. Après ce "big bang" commença la période de refroidissement. Le plasma incandescent se condensa peu à peu sous la forme d'atomes et d'immenses nuages de gaz donnèrent naissance aux galaxies. Des corps relativement petits de matière en fusion furent attirés dans le champs gravitationnel des étoiles et devinrent des planètes. L'une était la planète Terre.

    Avec le refroidissement, la vapeur d'eau se condensa et donna naissance aux océans. La vie naquit dans l'eau. Parmi les premiers organismes vivants on trouve des plantes capables de photosynthèse. Des animaux sortirent des océans et colonisèrent la terre sèche. L'homme est le dernier maillon de cette longue chaîne de l'évolution.

    Le  premier chapitre de la Genèse observe le même déroulement. Premièrement la séparation de la lumière et de l'obscurité où, en d'autres termes, des radiations et de la matière. Ensuite, la séparation de la terre et des cieux, ainsi que celle des océans et de la terre sèche. Puis l'origine des plantes, celle des animaux marins, celle des animaux terrestres et enfin celle de l'homme. 

    Une première différence saute aux yeux : la chronologie. La science parle en millions d'années, la Bible en jours. Le symbole est, bien sûr évident. D'ailleurs, la division en jour et nuit n’apparaît qu'au quatrième "jour". Ce qui prouve bien que le terme "jour" ne doit pas être pris dans son sens littéral. Cette symbolique du temps est assez fréquente dans la Bible. N'est-il pas dit : " Un jour est au Seigneur comme mille ans et mille ans ne sont qu'un jours.

    A l'étude, la querelle entre les tenants de la version biblique de la Création et les évolutionnistes ne tiens pas.

    D'autres points plus essentiels restent sujets à débat. L'un des plus importants concerne l'origine des nouvelles espèces. Les mutations sont-elles les conséquences de brusques changements ou sont-elles au contraire progressives ? Les partisans de ces deux courants de pensées le "gradualisme" et le "ponctualisme" se sont affronté pendant plus d'un siècle.

    Même avant la parution de De l'origine des espèces..., certains auteurs avaient fait remarquer que la thèse de l'évolution ne s'opposait pas forcément à l'idée d'une création divine. Plutôt que de procéder à partir du vide, Dieu pouvait tout aussi bien créer une nouvelle espèce en transformant une espèce préexistante. Ce qui expliquait du même coup l'apparition soudaine de nouvelles espèces.

    Confrontés au même problème, les matérialises n'avaient aucun moyen de le résoudre aussi facilement. Comme ces brusques virages de l'évolution semblaient à première vue en contradiction avec les lois de la matière. Ils cherchèrent tout simplement à les nier. Darwin, par exemple, opta pour une vision progressive de l'évolution, car, selon ses propres termes, l'idée de brusques changement "semblaient tenir du miracle et s'éloigner de la science ".

    Ces deux conceptions de l'évolutions continuent de s'opposer, ce qui est dommage. On ne voit pas pourquoi, en effet, le fait de croire en Dieu entraîne le refus systématique de la transformation des espèces. Mais, de la même façon, les matérialistes rejettent un peu trop facilement les "sauts" de l'évolution.

    Certains ont d'ailleurs tenté de réconcilier ces deux positions, peut-être moins contradictoires qu'il n'y parait à première vue. Selon quelques théologiens, les différentes formes de la vie seraient inscrites dans la création de l'Univers et des lois de la nature. Dieu aurait ainsi pensé l'évolution exactement de la façon dont la conçoivent les néo-darwinistes. D'un autre côté, certains matérialistes en sont venus à reconnaître l'existence des brusque virages de l'évolution. Toutefois, ils en ont fait le produit du hasard.

    Laissant ces questions philosophiques, tournons-nous maintenant vers les faits. C'est en étudiant l'influence de l'homme sur des espèces d'animaux domestiques, sur les chiens, les pigeons, les lapins et sur les variétés de plantes que Darwin eut l'idée d'une évolution graduelle. Les éleveurs ont réussi à améliorer les animaux en choisissant les meilleurs spécimens pour la reproduction. De la même façon, à l'état de nature, les parents les mieux adaptés à leur milieu laissent plus de descendants que les parents moins bien adaptés. L'adaptation de la race à son environnement s'améliorerait donc progressivement. Cela par voie de la sélection naturelle. 

    Cependant, le véritable débat n'est pas de savoir comment les races s'adaptent à l'intérieur d'une espèce, mais d'arriver à déterminer comment naît l'espèce elle-même. Bien que ce soit le titre de son ouvrage De l'origine des espèces..., Darwin n'apporte aucune réponse satisfaisante à ce sujet. Il pose seulement comme a priori que, sur de longues périodes de temps, la sélection naturelle amène progressivement à la différenciation des races et à leur transformation en de nouvelles espèces. Cela est sans doute vrai en partie. Mais les détracteurs du darwinisme font remarquer que de nombreuse espèces semblent apparaître d'une façon beaucoup plus soudaine, à la suite de brusques transformations.

    Ce qui semble se produire, effectivement, chez les animaux domestiques. Alors que certaines espèces sont le produit d'une longue sélection, d'autres sont nées d'une anomalie que l'on a ensuite cultivée. De nombreux arbres fruitiers se sont développés de cette façon.

    C'est sans doute ce qui se produisit au cours de l'évolution. Certaines nouvelles espèces ne serait que des écarts anormaux par rapport à l'espèce d'origine. Il semble que ce soit le cas pour le teleoceras, dont on a retrouvé le fossile. Ces rhinocéros nains ressemblent à des moutons à pattes courtes. Il semble que, comme ces derniers, ils soient le produit d'une mutation génétique affectant le cartilage des terminaisons osseuses. Ce que l'on désigne sous le nom d'achondroplasie. Si cette hypothèse est correcte, on ne trouvera jamais de types intermédiaires entre le teleoceras et l'espèce de rhinocéros dont il descend.

    Il faut admettre que les preuves paléontologiques de l'évolution graduelle manquent. Le scénario semble souvent être le suivant : de nouvelles espèces apparaissent ; pendant des millions d'années, elles ne varient guère, puis, soudain, elles disparaissent. Darwin espérait que la paléontologie vérifierait un jour ses idées. Aujourd'hui, cette science a bien avancée, mais les preuves manquent toujours.

    En outre, d'après le calcul qu'on a effectués à partir de fossiles de chevaux ou d'autres animaux, il ressort qu'une évolution progressive ne peut à elle seule  expliquer l'apparition de tous les êtres vivants. Cela, bien que la terre soit vieille de millions d'années. Les néo darwinistes répondent alors que le rythme de l'évolution a pu parfois s'accélérer. Mais, ce faisant, ils se rapprochent des positions de leurs adversaires.

    Les adeptes de la discontinuité de l'évolution reconnaissent bien entendu que la sélection naturelle se charge d'éliminer la plupart des organismes anormaux. Mais, à l'échelle de millions d'années, il suffit qu'un nombre infime d'entre eux survivent et se reproduisent pour que se créent de nouvelles espèces. Les néo-darwinistes eux-mêmes admettent cette hypothèse.

    Chacun reste donc sur ses positions. Et il reste difficile de trancher dans ce débat finalement plus philosophique que scientifique.

      

       

     

     

     


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  • Richard de Normandie face au diable

    Le duc Richard de Normandie - il règne avant l'an mil - est le héros d'un épisode étonnant ; Wace, dans le Roman de Rou, rapporte quelques exploits du duc, après nous avoir rappelé qu'il aimait " les clercs et le savoir, les chevaliers et la chevalerie ".

    Richard avait l'habitude de circuler de jour comme de nuit, sans jamais avoir peur de quoi que ce soit ; il a rencontré plusieurs fantômes, mais ne s'en est jamais effrayé. Les gens disaient de lui qu'il voyait aussi clair de nuit que de jour : deux éléments qui le rattachent à la nuit et au monde des morts, qui lui donnent certes une puissance, mais également un caractère inquiétant. Wace ajoute que dès qu'il voyait une église, il y entrait pour y prier, et si elle était fermée, il priait à l’extérieur.

    Une nuit, il passe devant une église ; il s’arrête et entre ; il y trouve un cercueil et passe devant pour s’agenouiller devant l'autel, posant ses gants sur un lutrin. Après avoir baisé le sol, il se met en prière, mais il entend bientôt grince le cercueil  et bouger le corps : Reste couché, ne bouge pas, que tu sois bon ou mauvais, reste tranquille et repose en paix. " A la fin de sa prière, il fait le signe de croix  " Par ce signe de la sainte Croix, libère-moi des mauvais, Seigneur Dieu mon salut. " Il met la main à son épée , se retourne et le diable se dresse, se jette sur la porte, les bras étendus , comme s'il voulait l'empêcher de sortir et s'emparer de lui. Richard tire son épée, lui tranche le corps en deux, et l'abat dans le cercueil. Retourné à son cheval, il pense à ses gants. Il revient sur ses pas, s'approche du chœur et les reprend : il y a peu de gens qui auraient osé rebrousser chemin. Dès lors, il commanda aux églises et fit proclamer sur les marchés la défense de laisser seuls les morts jusqu'à ce qu'ils soient ensevelis. 

    Ces éléments font de Richard un faé (synonyme de fée), ce qui expliquerait alors sa capacité à ne pas s'émouvoir des fantômes et des créatures nocturnes. Être de la nuit presque plus que du jour, Richard est cependant profondément chrétien : sa victoire contre le diable vient sans doute de sa pratique de prier dès qu'il rencontre une chapelle, et de prier qu'il soit à l'intérieur comme à l'extérieur.

    Le récit qui nous est proposé a une double fonction : étiologique, il nus explique d'où vient l'usage de veiller les morts, de les entourer des prières qui les empêcheront de révéler leur maléfique ; apologétique, il propose une figure idéale du souverain duc de Normandie, à la fois courageux et savant, guerrier capable d'affronter un revenant/un diable. Placé au sein d'une série de quatre récits, il contribue à souligner le rôle fondateur du duc : c'est à lui que l'on doit la mise en ordre administrative de la Normandie, et l'équilibre savant entre culture scandinave et culture chrétienne ; il ne craint pas les revenants, il participe du monde de la nuit, mais il prie dans les églises ; il aime chevaliers et clercs, édictes des lois, et sera enfin le premier seigneur à prendre pour épouse chrétienne celle qui avait été longtemps sa concubine. 

        

     

     

     


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  • Les sorciers psi du Kremlin

    Paradoxalement, c'est dans les pays de l'Est, pourtant matérialistes par idéologie, que la recherche est la plus intense dans les domaines du paranormal. Depuis longtemps, en effet, les soviétiques paraissent avoir compris que le contrôle scientifique des facultés secrètes de la nature humaine serait sans doute le meilleur moyen de s'assurer une hégémonie militaire et politique à l'échelle de la planète tout entière...

    Le premier pays au monde à avoir manifesté un intérêt officiel pour les phénomènes inexpliqués fut la Russie présoviétique. Vers la fin du siècle dernier se multiplièrent en Occident des sociétés savantes pour l'étude du paranormal : Society for Psychical Research en Angleterre et aux Etats-Unis, Société métapsychique en France, etc... Malgré l'engouement d'un public que les sursauts postérieurs du rationalisme n'avaient pas encore conditionné au scepticisme systématique, ces cercles demeurèrent cependant privés, l'Université attendant plus d'éléments contrôlables en matière de parapsychologie.

    Dès 1891, la Russie tsariste, sous l'influence de quelques esprits éclairés, admit que l'on devait soutenir officiellement ce genre de travaux. Le gouvernement donna sa caution à l'installation de la Société de recherche en psychologie expérimentale de Saint-Petersboug. On y étudiait dans les conditions les plus sérieuses les manifestations de télépathie et de clairvoyance, la vie après la mort, le spiritisme...

    Tout le monde aurait pu penser que la jeune révolution bolchevique allait mettre un terme à ce genre de recherches, paraissant bien éloignées des vrais problèmes d'un pays exsangue et affamé. Dès 1922, pourtant, des crédits furent débloqués pour une investigation scientifique du paranormal. Le célèbre académicien Vladimir Bekhterev, un condisciple de Pavlov, prend la direction de l'Institut de recherches sur le cerveau, à Leningrad, et il y ouvre un département spécifique consacré à l' "étude de la suggestion mentale".

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    Vladimir Bekhterev

        Bekhterev a été conquis par les performances d'un des plus grands dompteurs de tous les temps, Vladimir Durov, qui peut être en quelques sorte considéré comme l'initiateur de toute la parapsychologie soviétique moderne.

    Durov entraîne des animaux de toutes espèces, réunissant particulièrement avec les plus rétifs au dressage, comme les loups ou les renards. Il parait en effet doué d'un pouvoir très spécial, celui de suggérer mentalement à ses protégés les exercices à effectuer sans passer par les techniques de conditionnement du comportement animal traditionnellement utilisés par les dompteurs.  

    En fait, Vladimir Durov a découvert de lui-même, sans doute parce qu'il était un remarquable télépathe spontané, certains procédés de l'hypnose animal. Devant Bekhterev, sidéré, il parvient par exemple à donner des ordres mentaux à un chien dont il connait les réactions.

    " Supposons, écrira-t-il, le travail suivant à effectuer : suggérer au chien d'aller jusqu'à une table et de se saisir d'un livre qui s'y trouve... Je prends la tête du chien dans mes mains, comme si je voulais lui inculquer profondément l'idée qu'il est entièrement en mon pouvoir... Je fixe mes yeux sur lui... "

    Le dresseur visualise alors très exactement la nature de l’exercice. Il se "voit" en train de prendre le livre lui-même à la place du chien. Il essaie de pénétrer toutes les réactions et toutes les sensations possibles de ce dernier. 

    " Je me représente avec force, dit-il, la partie du plancher qui conduit jusqu'à la table, puis la nappe elle-même. Ensuite, je visualise le livre... "

    A ce moment, le dresseur télépathe envoie une forte induction mentale et le chien exécute l’exercice ainsi recommandé!

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    Vladimir Durov

    Le professeur Bekhterev parvint à réaliser facilement cette expérience sur son propre chien. Ajoutons d'ailleurs qu'avec un minimum d'entrainement et une bonne connaissance des techniques inductives de base, à peu près n'importe qui peut en faire autant.

    Dans le cadre de la Commission pour l'étude de la suggestion mentale, qu'il a créée, il reproduit le phénomène sur des sujets humains choisis pour leur extrême sensibilité. Puis il passe très vite à des expériences de télépathie propre entre un émetteur et un récepteur. Souvent, lui-même envoie le message. On demande au sujet de faire le vide dans son esprit et de dessiner sur une feuille de papier ce qui lui vient en tête au moment où l'expérimentateur se concentre. On commence par des dessins géométriques : un cercle inscrit dans un triangle, un carré avec une série de points distribués dans sa surface, etc...

    La commission pour l'étude de la suggestion mentale est enthousiaste devant les résultats. A peu près tous ses membres s'avèrent capable en présence d'un bon sujet récepteur, d'imprimer ce qu'ils visualisaient avec force sur "l'écran" de ce dernier.

    Cette situation sera déterminante pour l'avenir de la parapsychologie soviétique. Le grand Bekhterev a démontré la réalité des phénomènes de suggestion inductive. Il est possible d'agir sur le comportement d'autrui par ce biais. Dans un régime plus que tout autre fondé sur une intensive propagande idéologique, l'importance d'un éventuel contrôle mental des populations est immense. Et à cette époque, la jeune Union soviétique ne cache pas son ambition d'exporter ses principes sur toute la planète.

    Au congrès de psychoneurologie qui se tient en 1924, le célèbre mathématicien K.I. Platonov fait une démonstration de contrôle télépathique. Il a demandé à une jeune fille de l'accompagner à la session sans lui préciser ce qu'il attend d'elle. Elle est tellement suggestible qu'il se dit " capable de l'endormir à distance alors qu'elle est en train de danser une valse ", donc à mille lieues de ce genre d’exercice. 

     Platonov procède exactement comme le dresseur Durov et son chien. Il se concentre fortement en se transportant en pensée dans les structures psychologiques de sa jeune patiente. Mentalement, il effectue les suggestions nécessaires au sommeil hypnotique. Il visualise " de l’intérieur " le sujet en train de s'endormir et fait, à ce moment-là, un gros effort de volonté pour l'amener à lui obéir.

    L'expérience réussit au-delà de tout espoir devant une pléiade de scientifiques consternés. La jeune fille s'endormit avec une facilité extraordinaire après seulement quelques minutes de concentration de la part de Platonov.

    Les sorciers psi du Kremlin

    Vladimir Platonov

    Et quand elle s'éveilla, elle se souvenait tellement peu de tout ce qui venait de se passer qu'elle posa ingénument la question :
    " Eh bien ! professeur. Quand vont donc commencer les mystérieuses expériences pour lesquelles vous m'avez amenée là ? "

    Parallèlement à ces spectaculaires démonstrations, l'équipe du professeur Bekhterev se mit à l'étude d'une foule de manifestations de télépathie dite " spontanée " dont on récolta systématiquement des témoignages à travers le pays tout entier. L'un d'entre eux, présenté avec toutes les garanties voulues au Congrès de 1924, est resté dans les annales de ces temps héroïques de la psi des pays de l'Est.

    C'est l'histoire d'un jeune homme qui vit soudain apparaître une brillante luminosité sur le mur de sa chambre. Peu à peu se dessina un visage de jeune fille, et il reconnut son amie Nadejda. Elle esquissa un sourire et prononça quelques mots dont il ne put saisir que le dernier : " ruine ". Puis le visage disparut et le mur de la chambre redevint normal.

    L'étudiant nota la curieuse vision dans son journal intime. Six jours plus tard, il apprit que son amie était morte quelques minutes après qu'il eut fait cette étrange expérience. Et la mère de la jeune fille révéla aux chercheurs que les derniers mots de l'agonisante étaient destinés à son ami : " Il n'y a ni poussière ni ruine ", avait-elle dit, reprenant une formule rituelle de l'office des morts orthodoxe.

    On prit au congrès de 1924 la décision d'étudier ce genre de phénomènes " dans une optique rigoureusement scientifique ". Un jeune savant, qui assistait aux sessions et travaillait déjà avec Bekhterev, Leonid L., Vassiliev, décida alors de consacrer sa vie à la recherche paranormale et de découvrir une base physiologique aux manifestations inexpliquées du psychisme.

    Il ne réussit pas sur ce dernier point, qui occupe toujours des savants comme le professeur Ynioutchine, spécialiste de l'aura à l'université d'Alma-Ata, et bien d'autres derrière le " rideau de fer ", mais il allait jeter les bases de la parapsychologie scientifique au pays de Lénine.

    Vassiliev avait lui-même fait une expérience de télépathie avec sa mère lorsqu'il était enfant. Il avait failli se noyer alors qu'il se trouvait à 1 300 km d'elle. Ne voulant pas l'effrayer, il garda pour lui toute l'histoire en rentrant à la maison. Mais elle lui raconta la scène dans ses plus dramatiques détails. Elle l'avait vécue en rêve au moment même où elle se produisait.

    Dès 1926, toujours utilisant l'induction hypnotique, comme ses maitres, Vassiliev réalisa une série d'expériences de suggestion mentale à distance. Le succès fut retentissant, au point que le savant tenta et réussit à contrôler un sujet préalablement conditionné sur une distance de 1 600 km !

    On ignore souvent que Staline, l'ancien séminariste qui avait opté pour un farouche et cruel athéisme, s’intéressait de près à la parapsychologie. Il testa personnellement un médium très connu après la guerre, le juif polonais Wolf Messing. Ce dernier lui démontra par exemple qu'il était capable de contrôler les perceptions d'un caissier de banque au point de lui faire prendre une vulgaire page de carnet pour un billet à ordre de 100 000 roubles.

    Les sorciers psi du Kremlin

    L. Vassiliev

    Pourtant, le professeur Vassiliev ne connut pas que des beaux jours. De violentes campagnes de presse s'attaquèrent périodiquement à ses travaux. On le dénigra dans les milieux scientifiques en le traitant de " victime consentante de l'obscurantisme occidentale et papiste ".

    Les autorités soviétiques avaient, dès 1950, mis au point leur étonnante stratégie en matière de recherches paranormales. Hypnose, télépathie, contrôle mental... pouvaient et devaient devenir des armes redoutables. Quels meilleurs moyen de protéger les investigations faites à leur propos que de leur denier tout intérêt, que de les traiter de misérables réminiscences de la superstition et de l'impérialisme religieux ? Pendant ce temps-là, tandis que leurs adversaires d'Occident méprisaient ces recherche, Moscou pouvait prendre de l'avance et s'assurer la maîtrise de ces techniques prodigieuses.

    Milan Ryzl, un parapsychologue tchèque émigré aux Etats-Unis, assure que de cette manière on a pu garder sous secret militaire les plus grandes découvertes de Vassiliev et des autres. Il n'a certainement pas tort. Tandis qu'une certaine presse traîne dans la boue les scientifiques les plus sérieux qui s'occupent de psi, ces mêmes personnes travaillent d'arrache-pied à la domination psychique de la planète dans les laboratoires de l'Armée rouge et du K.G.B...     

      


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  • " Tout est nombre " affirmait il y a bien longtemps le sage de Samos, le mage de la géométrie, Pythagore. Pour lui, l'harmonie de l'Univers était contenue dans les nombres qui en constituaient les forces vitales. Parmi eux, le nombre 7 était tenu pour celui de la perfection et de fait, il occupa une place de choix dans le message sacré de la plupart des religions indo-européennes. 

    Bruxelles, à l'instar de la cité biblique de Jéricho entretint d'étranges rapports avec le chiffre 7. Pour plus d'un amateur de mystère, le plan et les édifices de la ville médiévale en témoignent délibérément. Jugez-en plutôt. Tout comme Rome, la cité étale ses quartiers sur 7 collines qui ont noms Mont-Saint-Michel, Coudenberg, Montagne-aux-herbes-potagères, Botanique, Mont des Arts, Sablon et Mont-Saint-Pierre. Egalement confondantes apparaissent les 7 routes et donc les 7 portes fortifiées par lesquelles la ville s'ouvrit au monde dès
    le XIIème siècle : portes Sainte-Catherine, Noire, Sainte-Gudule, Coudenberg, Saint-Jacques, Warmoepoort et Steenpoort. Pareillement, les 7 rue (Tête d'Or, Beurre, Etoile, Chair et pain, Hareng, Colline, Chapeliers) qui débouchent sur la Grand-Place la divisent en 7 blocs de bâtiments.

    Au cours du Moyen-Age, 7 lignages patriciens présidèrent aux destinées économiques et politiques de la capitale, détenant à la fois les 7 sièges scabinaux et les 7 clés de la ville. Ils comptèrent dans leur rangs plusieurs dizaines de membres et, comme les gentes de la Rome antique, étaient unis par les liens endogamiques. La propriété du sol urbain et la richesse liée au commerce furent indubitablement les agents constitutifs de cette caste très fermée, aux privilèges exorbitants, qui fut en quelque sorte la noblesse de la bourgeoisie. D'autres corrélations avec 7 existent encore, si bien qu'on peut difficilement nier que ce chiffre soit de près ou de loin lié au passé de Bruxelles.

       Hasard, coïncidence ou volonté délibérée, là réside toute la question. Si volonté il y eut, faut-il voir l'ombre portée de l'alchimie à qui  7 opérations sont nécessaires pour découvrir le secret de la pierre philosophale et de la transmutation du métal vil en or ? Ou, plus simplement, faut-il se souvenir que depuis les temps les plus anciens le chiffre 7 a tenu in rôle primordiale dans la pensée magique ? Il y a des millénaires que les hommes fascinés par leur place dans l'univers, observent le mouvement des planètes voisine de la Terre. Les astronomes de Mésopotamie semblent avoir été à la source du nombre 7 en dénombrant 5 des 8 planètes connues auxquelles, ils ajoutèrent le Soleil et la Lune. En fait, ce qui troubla profondément Chaldéens, Sumériens et Babyloniens, ce fut l"harmonie du mouvement de ces planètes par rapport aux étoiles fixes. De là à défier ces astres il n'y eut qu'un pas que franchit toute la tradition religieuse de l'Antiquité jusque et y compris le christianisme et l'Islam. Nos jours de la semaine perpétuent le souvenir du plan divin de la Création : ils furent dédiés aux 7 divinités planétaires. Aux derniers siècles de la splendeur médiévale de Bruxelles, Paracelse croyait que 7 était le nombre de la spiritualité agissante, la vibration harmonique du monde des anges et de celui des hommes. Tout comme le croyaient sans doute les architectes de Bruxelles qui placèrent leur ville sous l'égide de ce nombre bénéfique.   

     

     


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