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    Au cours d’une bataille contre les Turcs, Médard de Terralba, chevalier génois, est coupé en deux par un boulet de canon. Ses deux moitiés continuent de vivre séparément, l’une faisant le bien, l’autre mutilant tout sur son passage...

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    Le vicomte pourfendu

    Depuis son horrible blessure, acquise pendant la guerre avec les Turcs, le vicomte Médard de Terralba est animé d'une furie pourfendeuse. A son image, il coupe en deux tout ce qui croise son chemin. Par ce geste barbare, il fait oeuvre bienfaisante, estimant que la moitié restante est « mille fois plus profonde et précieuse que la partie perdue » . Mais bientôt, certains témoignent avoir vu celui qui sème le mal partout agir avec bonté, puis revenir à ses anciens penchant. Seule  la jeune bergère dont il est amoureux est la seule à avoir compris la double nature de Médard.

    Tout comme le docteur Jekyll et Mister Hyde, Italo Calvvino traite du bien et du mal qui se cache en chacun d'entre nous, les deux cohabitant au sein du même corps. L'homme possède en lui le bien et le mal qui l'équilibre, l'un n'allant pas sans l'autre : c'est ainsi que le "mauvais vicomte" récolte la haine des villageois pour sa méchanceté et son injustice, tandis que l'autre moitié crée des tensions. L'homme n'est ni blanc, ni noir, il est gris. Il est capable de bonté comme de cruauté et il faut apprendre à maîtriser les deux pour vivre réellement heureux et en accord avec le reste du monde. 

    Italo Calvino - Le vicomte pourfendu

    Un conte philosophique et poétique dont l'humour n'est pas absent.
    Le fantastique et le merveilleux sont omniprésent. Un monde imaginaire de Calvino où des doigts coupés indiquent la route à suivre, où les lépreux vivent heureux et pourtant tout cela a les couleurs du réel.

    L'écriture est légère et grave à la fois, le rythme est rapide, on va vite au cœur du sujet. Un petit livre qui tout comme Stevenson avec son Docteur Jekyll et Mister Hyde fait mouche et nous fait réfléchir sur notre dualité

     


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    Peu de livres auront accédé à une telle universalité, et aussi durablement, que les Aventures de Pinocchio. Et pourtant, rien ne prédestinait leur auteur à l'immortalité : c'est du reste à peu près le seul ouvrage qu'on lui connaisse aujourd'hui, et les circonstances qui l'on amené à prendre la plume pour donner naissance à l'un des personnages les plus célèbres de toute la littérature féerique sont rien moins que retentissantes.

    Il s'est trouvé simplement qu'un journaliste italien nommé Carlo Lorenzini, qui écrivait sous le pseudonyme de Collodi, avait de grosses dettes de jeu à éponger. Il s'est trouvé également que les directeurs du Giornale per i bambini désespéraient de le compter parmi les collaborateurs de ce magazine enfantin qu'ils venaient de fonder à Florence.

    Alors, le très dilettante Collodi dut se résigner : sans enthousiasme apparemment, mais motivé par l'espoir d'une substantielle rémunération, il envoyait bientôt le premier épisodeb de la Storia di un burattino, avec ce petit mot à l'attention de Guildo Biagi : " Je t'envoie cet enfantillage. Fais-en ce que tu voudras. Mais si tu l'imprimes, paie-moi convenablement afin de me donner l'envie de continuer. "

    Le premier épisode parut donc le 7 juillet 1881 et ce n'est qu'en 1883 que l'ensemble devait être réuni en volume, sous son titre définitif.

    Qui était donc cet écrivain toscan né en 1826 à Florence, et dont la personnalité s'est totalement effacée, aux yeux de la postérité, derrière sa créature ? Collodi appartenait à la génération des intellectuels italiens qui avaient lutté les armes et la plume à la main pour l'indépendance et l'unité de leur patrie, et qui avaient foi en une Italie généreuse et libérale.

    En 1848, Collodi avait témoigner d'une remarquable indépendance d'esprit en fondant un journal satirique, Le Lampion, expérience qu'il allait recommencer en 1853 avec le Scaramouche. Mais son tempérament frondeur et aussi un certain penchant à la paresse faisaient qu'à cette époque où il écrivait Les Aventure de Pinocchio, il ne se sentait guère à l'aise dans une Italie qui avait certes conquis définitivement indépendance et unité, mais qui étouffait quelque peu sous le carcan du moralisme réactionnaire et bourgeois.

    Aussi n'est-ce pas sans raison que l'on a pu considérer ses Aventures de Pinocchio comme un adieu nostalgique et amer à sa propre enfance et à ses idéaux trahis, et même comme une subtile et malicieuse invitation à la révolte et à l'anarchie... Collodi devait mourir en 1890, sans avoir eu conscience d'avoir donné au monde un impérissable chef-d'oeuvre.

    Récit féerique et conte moral, Les Aventures de Pinocchio illustrent parfaitement, selon Jacques Lourcelles, l'idée que se faisait Henry Miller du livre idéal, à savoir " Une oeuvre condensée, limpide, alchimique, mince comme une gaufre et absolument Hermétique ".

    Les péripéties tour à tour burlesques et terrifiantes que subit la marionnette de Collodi contée dans une langue précise, lumineuse et véritablement toscane, ont un effet de quoi séduire les amateurs d'énigmes structuralistes ou freudienne. Et certains ne se sont pas privés de gloser autour de cette oeuvre beaucoup plus étrange qu'elle peut paraître de prime abord, tel Gérard Genot, à qui l'on doit une fort intéressante Analyse structurelle de Pinocchio

    Rappelons pour mémoire quel est le principe narratif des Aventure de Pinocchio : un morceau de bois doué de vie et de parole est taillé en marionnette par un vieux bonhomme qui lui donne le nom de Pinocchio. Mais la marionnette fait montre d'un caractère singulièrement rebelle, et au terme de multiples aventures initiatiques, souvent cruelles, que Pinocchio acquiert une forme humaine. Le récit se termine ainsi "Comme j'étais drôle quand j'étais un pantin ! Et comme je suis content maintenant d'être un enfant comme il faut ! " Toute l’ambiguïté du conte "moral" de Collodi se trouve ramassée dans cette dernière phrase terriblement ironique.

    Car Collodi, qui écrivait pour les enfants de la bourgeoisie de Florence, ne s'était manifestement résigné qu'à contrecœur à faire un petit garçon "comme il faut" de son impertinente marionnette. Il y a en effet dans Les Aventures de Pinocchio une savoureuse apologie de la fantaisie enfantine, et tous les malheurs qui s'abattent sur la marionnette sont moins l'effet de son "incorrection" que de la méchanceté des adultes.

    A cet égard, Collodi s'inscrit bel et bien parmi les maitres de l'éducation libertaire, ce que le cinéaste italien Luigi Comencini a admirablement compris dans sa délectable adaptation cinématographique (1972) dont il convient de dire quelques mots. 

    Infiniment plus intelligent et plus profond que celui de Walt Disney, le Pinocchio de Comencini se distingue en premier lieu par l'originalité de la transposition à l'écran. Procédant à une astucieuse inversion du principe narratif, le cinéaste transforme Pinocchio en petit garçon, celui-ci redevenant marionnette chaque fois qu'il passe les bornes de la "bienséance" : "Grâce à ce petit stratagème, explique Comencini, j'ai pu faire appel à un gamin qui n'a rien de l'enfant compassé, prétentieux, de la fin du livre, à un vif-argent effronté, sympathique, comme le Pinocchio marionnette. Et j'ai conservé telle quelle sa lutte contre la fée qui veut le dresser pour faire de lui un petit garçon bien sage, alors qu'il voudrait simplement être un petit garçon tout
    court. "

    Ajoutons pour finir que le Pinocchio de Comencini fait revivre avec une exactitude bouleversante le très dur monde rural toscan auquel appartiennent les personnages, un monde que Collodi n'avait fait, mais sans aucune équivoque, que suggérer.

     


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    A Naples, le jeune Don Alvare mène une vie de libertin : le jeu, le vin, les femmes seuls l'occupent. A la faveur d'une rencontre de café, il se laisse mener aux ruines de Portici dans l'intention d'y dialoguer avec les esprits. D'abord effrayé par l'apparition d'une tête de chameau affreuse, il parvient à soumettre les forces maléfiques, qui prennent alors la forme d'un page qu'il ne peut cependant congédier. Ce page, c'est Biondetta, jeune femme de grande beauté, qui séduit Alvare, d'abord rétif, puis tout à fait docile. Ensemble, ils vont à Venise, où ils vivent fastueusement grâce au conseils de Biondetta. Alvare résiste aux séductions de celle-ci, mais décide de l'épouser. C'est pourquoi il l'emmène en Espagne, afin de la présenter aux siens. Mais, sur la route, les obstacles sont si nombreux qu'Alvare est envahi par le doute : les caresses et les promesses de Biondetta ne suffisent plus à le convaincre. Le diable prend alors la place de la belle pour exiger, mais en vain, une soumission totale du jeune homme, puis disparaît. Alvare, qui croit d'abord sortir d'un songe, comprend qu'il a défié le Malin.

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    Auteur d'oeuvre badines et fantaisistes, et à ce titre considéré comme un "petit maître" du XVIIIè siècle, Cazotte innovait en écrivant en 1772, Le Diable amoureux, court roman ambitieux, dont le ton léger d'abord, est très vite dominé par une atmosphère lourde de mystère. Jusqu'aux derniers moments, l'incapacité de faire part du songe et de la réalité laisse le lecteur dans une indétermination inquiétante : au jeu du diable se superpose un jeu littéraire ambigu. Étrange, surnaturel, le roman de Cazotte est aussi "moral". Don Alvare, qui a commis l'erreur de jouer avec les esprits maléfiques, est soumis à la triple tentation de la beauté, de la fortune et de la gloire promises par Biondetta. Les forces du Malin sont vaincues cependant, la foi catholique et le souvenir maternel demeurant constants chez Alvare. 

    Roman fantastique, roman d'analyse, conte moral, Le Diable Amoureux, écrit à la première personne, se présente ainsi comme une confession.

    Nouvelle galante et roman d'analyse, Le Diable amoureux est aussi une allégorie morale et, plus profondément, l'expression d'un engagement philosophique et religieux. Il n'est guère besoin de dépasser le sens littéral du texte pour y voir figurer en clair l'histoire d'une tentation et, à travers elle, l'expression allégorique de toutes les tentations. Alavre représente l'humanité moyenne et ses faiblesses. En se laissant aller à la curiosité pour le surnaturel, Alvare ne fait que céder à la première d'une série de tentation successives et s'engage dans une voie qui lui fera perdre peu à peu toute volonté et toute clairvaoyance.

     

     

     


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  • Non ! L'ennemi ne pouvait raisonnablement pas arriver par ce désert. C'était absurde ! Depuis des siècles, le fort Bastiani ne gardait que le vide et l'absence. Et pourtant... Et pourtant Giovanni Drogo, fraîchement promu lieutenant voulait y croire ! Il allait engager toute sa vie dans ce pari insensé. Et le temps allait passer...

    Tout comme il passait dans la salle de rédaction du Corriere della Serra où Dino Buzzati était journaliste, affecté à l'équipe de nuit, il recevait les dépêches à trier et à arranger pour le matin. Travail monotone : " J'avais constamment l'impression que les années passaient sans que j'aie rien fait. "

    De là est né Le Désert des Tartares, publié en 1940, son chef-d'oeuvre, traduit dans toutes les langues, reconnu comme un livre important de la littérature européenne et porté brillamment à l'écran.

    Né à Belluno, dans le nord de l'Italie, en 1906, buzzati n'abandonnera jamais son premier métier, le journalisme. Correspondant de guerre en Ethiopie en 1939, il terminera sa carrière comme critique d'art. Le journaliste a nourri de ses expériences une oeuvre mise presque totalement sous le signe du fantastique, explicite ou implicite.

    En effet, le monde de Buzzati est un monde de l'angoisse et de l'inquiétude. Et de la peur. Celle qui vous surprend au cœur du quotidien, au détour d'une vie sans histoires. Ses recueils de nouvelles, tels Le K, Les Nuits difficiles ou Le Rêve de l'escalier, témoignent tous de cette mise à nu des faiblesses, des angoisses et des obsessions et des obsessions humaines.

    Ainsi dans Crescendo, les phantasmes d'une vieille fille transforment l'arrivée d'un simple notaire en celle d'un monstrueux animal érotique. Et un ascenseur - dans la nouvelle du même nom - s'enfonce dans les entrailles de la terre pour permettre la déclaration d'amour d'un homme à une jeune femme. Nombre de ses récits font intervenir, dans le monde du vraisemblable et de la logique traditionnelle, un événement extraordinaire qui perturbe la sérénité quotidienne.

    La vision que Buzzati a du monde contemporain est profondément pessimiste et inquiétante. Dans l'Arme secrète, il décrit un gaz qui ne tue pas : il  convainc ! Les fusées intercontinentales s'abattent sur leurs cibles respectives. Les Etats-Unis deviennent communistes, et l'U.R.S.S. se convertit au capitalisme. Et la guerre reprend... Boomerang montre comment un petit chien renversé par une voiture peut être à l'origine de la première guerre atomique et Elephantiasis  présente les métaphores monstrueuses et imprévues du plastique dont sont faits certains objets.

    Angoisse donc, devant un monde aux mutations dangereuses et imprévues.

    L'une des grandes passions de Buzzati, avec l'écriture et la peinture, est la montagne. La montagne appelle l'homme à un contact plus étroit avec la nature. Il peut y découvrir une vérité plus intense et plus profonde.

    Cette recherche d'une vérité essentielle imprègne les thèmes majeurs d'une oeuvre : le temps et l'attente, la maladie et la mort. Le temps s'enfuit inexorablement et l'homme, abusé par son attente, s'aperçoit que sa lutte se révèle finalement inutile, sinon dérisoire. Telle est peut être la grande leçon de Buzzati. Pessimiste sans aucun doute, mais lucide. Le temps est bien le véritable ennemi de l'homme. Et son point de convergence est la mort.

    Ainsi, dans La Tour, Giuseppe Godin guette pendant des années du haut de sa tour l'arrivée des Saturniens. A la fin de sa vie, il découvre que ces êtres mystérieux, envoyés par le temps, sont déjà arrivés : c'est à l'intérieur de chacun d'entre nous qu'ils font leurs ravages.

    Tel est aussi le sujet du Désert des Tartares, où des hommes, à la volonté étrangement abolie, fascinés mystérieusement par le désert et l'atmosphère déprimante du fort, oublient qu'en attendant un hypothétique ennemi c'est en fait leur propre mort qu'ils attendent.

    Si le sentiment de menace et d'angoisse domine dans la réflexion de Buzzati sur la vie humaine, il en va de même pour ses toiles, car il est aussi un peintre, et de talent. Sa peinture et ses illustrations qu'il a conçue pour certains de ses propres ouvrages reflètent un monde tourmenté, hallucinant, angoissant : pics isolés, cimes inaccessibles et sévères, être difformes et monstrueux.

    Le deuxième livre de Buzzati, Le secret du Bosco Vecchio, en 1935, n'annonçait-il pas déjà, sur le monde du merveilleux, la présence d'une réalité au double visage : la nature est animée, les animaux parlent, les génies d'un petit bois s'agitent.

     Dans Douce nuit, un couple qui s'est rendu dans sa maison de campagne s'extasie, au clair de lune, du silence, de la quiétude et de la paix profonde qui règne sur le lieu. Mais, à quelques centimètres sous leurs chaussures, ce n'est que barbarie, atrocité, agression et violences chez les animaux de l'humus...

    La réalité a bien deux faces. Celle des apparence, de la vie quotidienne, organisée, banale, et celle cachée, qui se trouve derrière. Là règnent l'angoisse et le mystère.

     Dino Buzzati a choisi d'éclairer la seconde. Pour notre plaisir. Et notre quiétude.

     

     

     

     


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    "La scène se passe en Lithuanie. On y parle sanskrit presque pur. Une grande dame du pays étant à la chasse a eu le malheur d'être prise et emportée par un ours dépourvu de sensibilité, de quoi elle est restée folle; ce qui ne l'a pas empêchée de donner le jour à un garçon bien constitué qui grandit et devient charmant; seulement il a des humeurs noires et des bizarreries inexplicables."
    Telle est, au dire même de l'auteur, la trame du récit limpide et troublant qu'on va lire.
    Jusqu'où le jeune comte Michel se laissera-t-il emporter par la singularité de sa nature? Qu'apprendrons-nous sur les secrets de sa naissance et sur la force de ses penchants? D'où lui vient cette étrange familiarité avec le peuple primitif des forêts, ses mystères et ses rites, ses terreurs et ses enchantements?

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    Dans cette nouvelle, plane l'étrangeté absolu. Cette ambiance mystérieuse est renforcé par la culture balte et folklorique de la Lituanie. Mérimée nous montre les coutumes folkloriques et les légendes entourant cette contrée, où la superstition et les présages y dominent, où son folklore est proche du folklore slave avec son rapport avec les animaux. 

    La grande force de ce récit réside dans la réserve de chaque mot, la concision du texte, qui laisse au lecteur le soin de combler les dissimulations, les éléments suggérés avec une maîtrise superbe par Mérimée tout au long du récit. Le lecteur est emporté, progressivement, par un sentiment d'étrangeté et se trouve, jusqu'à la fin, de plus en plus embourbé dans l'hésitation fantastique 

    Cette petite nouvelle de 60 pages est considérée comme l'une des plus belles de la littérature française du XIXè siècle.


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