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Les Rose-Croix*
En 1622, est placardé un peu partout en Europe, et en particulier sur les murs de Paris, le manifeste de la " Fama ", ou Fraternité Rose-Croix.
Tout le monde s'interroge pour savoir qui sont ces rose-croix. D'où viennent-ils, et comment peut-on entrer en rapport avec eux ?Sont-ils une confrérie de bâtisseurs médiévaux groupés en loges et détenteurs de secrets initiatiques liés aux " métiers ". Continuent-ils la tradition antique des alchimistes œuvrant au fourneau et au creuset, en l'amplifiant jusqu'à l'alchimie spirituelle ? Ou bien s'agit-il tout simplement d'imposteurs qui, sous le voile de l'anonymat, tentent de " déstabiliser l'Europe " en propageant des doctrines " subversives " anticatholiques, se parant de l'auréole de l'ésotérisme et du désintéressement ?
Toutes ces thèses circulent à l'époque et, pour y voir un peu plus clair, il est plus utile de se pencher sur les auteurs présumés des textes diffusés entre 1614 et 1649, sous le symbole de la croix surchargée d'une rose.
On peut aujourd'hui identifier avec une quasi-certitude l'auteur des divers manifestes de la Fama, notamment du plus important d'entre-eux : Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz (1614).
Ce mystique allemand de confession protestante a une bien curieuse histoire. Né en 1586 dans le Wurtemberg, Johann-Valentin Andrea, il devint pasteur et toutes ses activités furent tournées, tout au long de sa vie, à la fois vers les études alchimiques et le désir de "rénover le christianisme" par un retour à la pureté de l’Évangile.
Pour arriver à acquérir quelques influences dans le monde et faire triompher ses désirs en vue du " grand dessein " qu'il caressait avec un certain groupe d'amis.
Cette tentative tardive de restauration du "vaste monde" placée sous les auspices du Saint-Esprit ne visait à rien de moins que la reconstitution de la synarchie templière dominant au début du XIVè siècle.
Son but : faire une Europe économiquement et sociologiquement unie autour d'un " christianisme rénové " placée sous l'autorité suprême du Saint Empire romain germanique acquis aux idées nouvelles et gagné par la Réforme luthérienne.Sur le plan politique concret, ce projet ne pouvait aboutir sans le soutien actif des principaux souverains ouvert à ce courant d'idées : à savoir l’Électeur palatin et le duc de Wurtemberg, déjà gagné à la cause, mais encore le roi d'Angleterre.
Nous verrons comment ce plan échoua.En attendant, il est passionnant de se reporter au texte lui-même attribué à Christian Rosenkreutz, car il nous révèle les préoccupations, profondes de son auteur, ainsi que sa vision du monde et les moyen occultes mis en oeuvre afin de parvenir au but final, au terme d'une " quête mystérieuse " dont les ramifications s'étendent jusqu'à l'époque où nous vivons.
Comme leur auteur présumé, Jean-Valentin Andreäe, les Noces Chymiques nous présentent Christian Rosenkreutz comme un voyageur, ayant sillonné au cours de sa vie toute l'Europe et même le Proche-Orient. Comme Jean Valentin, le héros du livre est également un savant en mathématiques et en sciences naturelles.
Première divulgation publique de la Rose-Croix, l'ouvrage entendait apporter
" une commune et générale réformation de tout le vaste monde , suivie de la Fama Fraternitatis de l'ordre louable de la Rose-Croix, adressée à tous les savants et chefs de l'Europe. Ainsi qu'une courte réponse faite par M. Haselmayer qui, à cause de cela, a été arrêté et emprisonné par les jésuites et mis aux fers sur les galères. Présentement publié et imprimé et communiqué à tous les coeurs fidèles d'Europe".La Fama nous apprend la fondation de l'ordre par l’Allemand Christian Rosenkreutz, dernier descendant de la famille de Germelshausen au XIIIè siècle.
Le récit nous fait ensuite assister à la découverte du tombeau de Christian Rosenkreutz, 120 ans après la disparition du maître. Dans le sépulcre, les disciples trouvèrent un parchemin que le cadavre serrait encore dans sa main, et toutes sortes d'objets rituels : " des miroirs de diverses vertus " ainsi que des " clochettes ", des " lampes allumées " (les fameuses " lampes perpétuelles " de l'hermétisme alexandrin), de mystérieux " chants artificiels "....
C'est en tout cas par la seule filière du récit de Jean-Valentin que nous pouvons comprendre les clefs qui permettent d' " ouvrir " les textes " hermétiquement clos " et leur donner un sens, débouchant sur toutes les liaisons et interconnections possibles.
Si le texte dit vrai et qu'il existe à l'origine de tout cela une " antique fraternité ", quelle est-elle ?
On connait l'origine de la croix, bois supplice du Christ, instrument de la Passion et, en même temps, " arbre de vie " par où s'écoule le sang divin du Sauveur, fleuve qui s'épanche dans les quatre directions de l'espace, faisant refleurir en " verger " la terre vaste des romans du Graal. Mais quelle est l'origine de la rose ?
C'est la plus belle fleur que nous connaissons, tant par son éclat que son parfum. Les peuples de l'Antiquité connaissaient déjà la rose. En Egypte, on faisait venir des plantations d'Asie Mineure. Les roses d'Ispahan sont célèbres, et en Occident, la " rose de Provins " est une espèce fort appréciée, de couleur rouge, introduite dans nos pays par Thibaud V, à son retour de Terre Sainte où il avait fréquenté les Templier.
L'examen symbolique de la rose, en dehors de sa poésie naturelle inimitable, est chargé d'une triple signification : alchimique, géométrique et initiatique.
- Alchimique : dans la main de la Vierge elle symbolise la connaissance des mystères du Grand-Oeuvre. Rose rouge ou rose d'or, elle est synonyme de la " rubification ", ou " parergon ". Elle appartient originellement à la Vierge noire du Cantique des cantiques.
- Géométrique : elle a traditionnellement cinq, huit, douze ou quinze pétales, liés aux correspondances sacrées de Pythagore et aux mathématiques secrètes.
- Initiatique : symbole de connaissance intégrale, d'illumination par l'ouverture des centres vitaux, puisque les saints comme les yogis font " fleurir les roses ". C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'expression " découvrir le pot aux roses ".
Unies ensemble, la croix et la rose se complètent comme la lance et la coupe des récits arthuriens. L'une est symbole passif, féminin, liées la première au Soleil et la seconde à la Lune.
Lorsque le symbolisme universel, on n'utilise pas la rose ( inconnue dans certains pays ), on se sert alors du lotus, bien que cette fleur aquatique ne revête pas la même signification " angélique ".
En tout cas, si la connaissance sub rosa a bien appartenu à la fraternité Rose-Croix, rien ne dit cependant que l'état de rose-croix, fait d'amour et d'illumination intérieure, ne puisse appartenir à telle ou telle personne déterminée.
Quant aux sciences et connaissances attribuées à la Fama et à ses adeptes, certains n'ont pas hésité à les gratifier du savoir le plus étendu dans tout les domaines... ou peu s'en faut. Ainsi, pour F. Ribadeau-Dumas :
" Les rose-croix pratiquaient, en mécanique, les miroirs d'Archimède, en architecture les " sept merveilles ", les automates d'Archytas, de Bacon, de Maître Albert, les miroirs, le feu perpétuel. En arithmétique, c'était la rythmomachie, l'usage et le secret de la roue de Pythagore et de ses nombres s'élevant jusqu'à celui de Dieu. En musique, celle de la nature, la quadrature du cercle. "Même s'il ne vient pas en droite ligne de l'Egypte ancienne - on peut supposer que les relais furent nombreux : Grèce, Rome, Alexandrie, Naples, Venise, Lyon, Edimbourg, Nuremberg - , l'héritage rosicrucien, s'il apparaît nommément seulement au début des temps modernes, au XVIIè siècle, a des antécédents historiques infiniment vénérables, antérieurs à la Renaissance et que l'on trouve déjà constitués au Moyen Age, temps de renouveau prodigieux.
Ne trouve-t-on pas en 1410, en Italie, le mouvement de la " Fede Santa ", reliant les " fidèles d'Amour ", avec la rose héraldique pour emblème, cette même rose que Dante place au sommet de son Paradis. Dès 1570, Cornelius Agrippa et Paracelse, fondateur de Pansophie, deviendront officiellement des frères de la Rose-Croix d'or.
Un manuscrit du XVII siècle, de l'hermétiste Michel Maier, vient confirmer cette date comme étant celle de la " renaissance " de la Société des hommes sages.L'appartenance du grand médecin Paracelse ( fondateur de l'homéopathie) à la Fratum Rosae Crusis ne fait aujourd'hui aucun doute. Les œuvres du célèbre spagyriste helvétique ( 1493 - 1541 ) ne se présentent-elles pas sous la forme de volumes marqués de la lettre R ou d'une rose ?
Un autre trait qui range Paracelse parmi les rose-croix est le fait qu'il soignait gratuitement les malades ordinaires ( pauvres, paysans, artisans), attitude qui correspond au vœu exprimé de 1614 de la Fama afraternitatis.Dans le domaine du symbolisme rosicrucien, il existe en Europe un témoignage plus ancien et irréfutable, en l'espèce un graffiti dû à un certain frère Guyot du couvent des Carmes de Loudum, et qui fut répertorié avant la Seconde Guerre mondiale par le savant érudit L. Charbonneau-Lassay. Ce dessin se trouve dans l'escalier de la chapelle du monastère. Il montre une rose chargée du svastika, suivie d'une signature en écriture gothique décadente du XIV è siècle.
A cela, il faut ajouter un témoignage de poids, celui de
Luther ( 1483 - 1546 ). Le fondateur du protestantisme s'était réfugié dans le château de la Warburg avant de rompre définitivement avec Rome. C'est alors qu'il méditait dans sa chambre, que Martin vit soudain se présenter à lui un mystérieux personnage qui se disait mandaté par des puissances supérieures et lui confia la mission de " ramener le christianisme dans la voie de la pureté christique ".Le pas était franchi. Le " Docteur hyperbolique " rejeta désormais la tutelle papale et, rompant avec le catholicisme, fonda une Eglise allemande qui allait entraîner une partie de l'Europe dans la voie de la révolte spirituelle. En gage de son affiliation rosicrucienne, Luther blasonna son écu " d'un cœur percé d'une croix dans une rose ", ses armes étant accompagnées de la devise
Le cœur du Christ vient sur les roses
Quand la croix se trouve au milieu et en dessousIl faudrait encore citer dans l'illustre cohorte Jean Trithème, abbé de Spannheim, magicien et astrologue qui utilisait pour ses expériences un cristal magique ( comme John Dee ).
Jean Trithème a laissé une oeuvre considérable réunie en quatre volume. Sans un petit traité intitulé Les Causes secondes, il développe les thèmes qui seront reprit plus tard dans les Noces Chymique.Il est intéressant de noter que c'est par les alchimistes britanniques John Dee et Edward Kelley, que dès 1583, les idées qui devait plus tard connaitre un succès éclatant faisaient un cheminement souterrain dans les esprits, préparant les voies aux manifestations officielles du mouvement rosicrucien, né de contacts nombreux entre hermétisme allemands et anglais en milieu protestant.
Jean Trithème ne fut-il pas encore le professeur du grand Paracelse ?Après ce tour d'horizon des " constellations " rosicruciennes, revenons vers le personnage central qui est à l'origine des manifestes et livre de la Fama : Jean-Valentin Andrea ( 1586 - 1654 ).
Grand voyageur, acharnement au travail et recherche continuelles en philosophie hermétique, le caractérise.
Avant de mourir, il dicta une lettre où il nomme son bienfaiteur : le Soleil. Ne faut-il voir là quelques analogies plus ou moins marquées avec le travail d' " Elie Artiste " ?Dans ses manifestes, Andrea n'hésite pas à prôner d'étranges pratiques peu conformes aux vues de son temps : ascétisme, continence et renoncement sexuel, le tout se mêlant à des prophéties annonçant le retour de l'âge d'or comme prochain, en reprenant la prophétie de la Subille de Cumes, que Virgile avait fait connaître :
" La céleste Aurore va jaillir, qui apportera avec ses purs rayons le jour sacré vers lequel de nombreux cœurs pieux ont un désir maladif après la fin de la sombre nuit saturnales, au reflet de la Lune où des maigres étincelles de la sagesse céleste qui se rencontre encore parmi les hommes avec son éclat bien terni, et qui est un messager de l'aimable Soleil.
A la clarté de ce jour, tous les trésors célestes ainsi que tous les objets invisibles et cachés dans les secrets du monde pourront être reconnus comme vrais et vus suivant la doctrine des premiers prêtres. "Après cette première divulgation et la parution de la Confessio Fratum Rosae Crucis , adressée à tous les savants et dirigeants de l'Europe, le retentissement fut immense et n'alla qu'en s'amplifiant, suscitant nouveaux livres, attaques et controverses.
Le thème central des Noces chymiques, analogie des sept phases du
Grand-Oeuvre, transposée en voyage initiatique sous la conduite d'une femme très belle, incarnation de la Sagesse, guidant le néophyte d'étape en étape et d'épreuve en épreuve jusqu'à la réalisation finale, ce récit symbolique devait exercer une influence durable sur l'élite cultivée du XVIIè siècle. Dans sa Nova Atlantis, Françis Bacon s'inspire en partie des thèmes des Noces et laisse deviner un attrait pour la rose des sages tout en préfigurant l'idéal de la franc-maçonnerie écossaise qui s'exprimera un siècle plus tard. Qui plus est, Bacon poussa l'audace jusqu'à publier plusieurs traités sur les rose-croix.Dans la même veine, Robert Fludd (1594 - 1637), anglais lui aussi, appartint à la même mouvance rosicrucienne. Ce disciple est admirateur de Paracelse, hermétiste et néoplatonicien de talent, a laisser des œuvres superbement illustrées de gravures in folio.
Ses livres offrent un système complet des correspondances entre macrocosme et microcosme selon le schéma gnostique de l'émanation. Classé parmi les théosophes, Fludd fut à la fois un écrivain de talent et un esprit mystique tourné vers la méditation et la contemplation intérieure.
Extrait de " Inexpliqué " 1981
Tags : croix, rose, europe, confrerie, batisseurs
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Commentaires
2NEGRIERSamedi 18 Avril 2020 à 06:11Bonjour. Je me permets de vous informer de la parution, fin avril ou début mai, aux Editions de la Pierre philosophale, de mon prochain livre intitulé : "Culture Rose-croix et courants apparentés". Merci de votre attention. Patrick Négrier
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merciiii giovanni