• La bête du Gévaudan*

     

    La bête du Gévaudan 

    En juin 1764, une jeune femme est attaquée par la Bête dans la forêt de Merçoire, près de Langogne, alors qu'elle garde ses vaches. Au premier assaut de la Bête, les chiens s'enfuient. Sans les vaches qui, cornes en avant, tinrent le monstre en respect, la jeune femme aurait été dévorée. Repoussée, la Bête revenait à la charge, lançait sa gueule, tâchant d'attraper sa proie, mais elle finit par se décourager devant les cornes des bovins. La jeune femme s'en tira avec quelques coups de griffes, des vêtements déchirés et  une sainte frousse.
    Dans les mois qui suivent, l'horreur gagne la contrée : des enfants et des femmes sont dévorés, emportés par la Bête. On retrouve des membres, une tête ou un cadavre à demi rongé. Elle s'attaque aux femmes et aux enfants, proies d'autant plus faciles qu'ils opposent peu de résistance et que ce sont eux qui mènent paître le bétail en dehors des villages, à flanc de colline.

    Les caractéristiques assez monstrueuses de cet animal, qui s'apparente au loup sans en être tout à fait un, et ses massacres incessants en ont fait très rapidement une bête extraordinaire, diabolique et invulnérable.
    Dans les foyers, on commence à parler de la Bête, et la terreur se répand dans l'est du Gévaudan. La famille Denis sera douloureusement liée à son histoire, et nous la retrouverons plusieurs fois aux prises avec la tueuse. 
    Les Denis ne sont ni pauvres ni riches. Ils possèdent quelques vaches, quelques moutons et des chèvres, que les enfants ont la charge de mener au pâturage. Ils habitent à Saint-Privat-du-Fau, au pieds des monts de la Margeride, à 1 200 m d'altitude, un peu en retrait du village. A l'automne 1764, ils apprennent les ravages de la Bête dans le haut Allier, de l'autre côté des monts de la Margeride. Elle n'est pas encore chez eux, mais elle ne va pas tarder à se manifester.
    La bête du Gévaudan
    Des battues avec des centaines de paysans s'organisent. La Bête, traquée, traverse en une nuit les monts de la Margeride. Elle est maintenant tout près des terres de la famille Denis. Elle recommence ses carnages. La peur s'installe : on se barricade, on n'ose plus mener paître le bétail ni traverser seul les bois. Il faut dire que les paysans de l'époque n'avaient pas d'armes à feu.
    Quelques privilégiés, pourtant, les chasseurs attachés aux nobles de l'endroit, possèdent des armes à feu. On tire la Bête plusieurs fois, mais elle ne semble pas atteinte par les balles, ce qui conforte sa légende.
     
    Ainsi, le 8 octobre 1764, deux chasseurs voient la Bête et la tirent à dix pas. Elle tombe sur le coup, mais se relève aussitôt. Les chasseurs épaulent à nouveau. Elle tombe, se relève encore, entre dans un bois d'une course mal assurée, mais plus rapide que celle de ses poursuivants. Elle reçoit deux nouveaux coups de fusil, chute, se relève encore et s'enfuit. On croit la trouver morte le lendemain. Bien au contraire : non seulement on ne la trouvera pas, mais elle fera plusieurs victimes dans les jours qui suivront. D'où la légende selon laquelle elle "charmait" les armes à feu.
    La bête du Gévaudan
    En novembre 1764, le capitaine Duhamel et ses dragons (40 hommes à pieds et 17 à cheval) prennent les choses en main. Duhamel organise d'énormes battues avec des centaines de paysans. Sans succès. Tous les subterfuges sont inutiles. La Bête est beaucoup trop rapide et trop intelligente pour se laisser prendre au piège. Les dragons de Duhamel croiront bien des fois la tenir, sans jamais pouvoir l'abattre.
    On accorde de fortes primes pour la capture de l'animal. Des chasseurs, motivés par l'appât du gain, viennent de tous les coins de la France. Cette situation dure jusqu'en avril. La Bête massacre de plus belle au nez et à la barbe des dragons, décidément trop lourdauds. 
    Revenons à la famille Denis. En mars 1764, Jacques Denis garde des vaches, des chèvres et des moutons près de Malzieu, avec ses deux sœurs, Jeanne et Julienne. Il a allumé un feu à l'abri d'une roche. Soudain, Jeanne pousse un cri. La Bête est sur elle et lui happe la tête. Elle se débat et roule dans l'herbe dans un corps à corps avec la Bête. Jacques se précipite, fait lâcher prise à la Bête, la projette dans le feu et la maintient sur les braises. La Bête hurle et s'enfuit.
    Jeanne a deux trous sanglants derrière les oreilles, une déchirure à l'épaule. Julienne, qui s'était éloignée, accourt. Le frère et la sœur ramènent Jeanne à la maison. Celle-ci, folle de terreur, ne recouvrera jamais la raison et restera une épave gémissante, avec de soudains accès de terreur qui la feront hurler comme si les crocs de la Bête devaient indéfiniment se refermer sur elle. Julienne ne se pardonnera jamais d'avoir laissé sa jeune sœur seule. Elle dira : "Maintenant, c'est la Bête ou moi !"

    La réputation de la Bête s'étend non seulement à la cour de France mais aussi en Angleterre, en Allemagne et en Espagne. Le roi délègue Denneval, chasseur réputé pour avoir tué 1 200 loups dans le Gévaudan. Dès février 1765, Denneval est sur place avec six de ses meilleurs limiers.
    Jacques Denis, bouleversé par sa récente aventure, se joint à Denneval, qui le prend en amitié. Ce dernier change de méthode. Au lieu d'organiser, comme l'avait fait Duhamel, de grandes battues qui ne servent qu'à rendre la Bête de plus en plus méfiante, il préconise de laisser venir celle-ci, de la mettre en confiance et, dès qu'on la signale quelque part, de tenter un encerclement en la faisant pister par les chiens.
     
    Ce stratagème n'aura pas plus de succès que les méthodes de Duhamel. La Bête connaît très bien la région. La topographie accidentée lui permet de défier ses poursuivants. Elle brouille les pistes, entre dans un bois, se cache dans un ravin, traverse une rivière, réapparaît, se tapit dans une genêtière et entraîne à ses trousses, des jours durant, des meutes d'hommes et de chiens qui, épuisés par cette course folle sur un terrain impraticable, cherchent à la nuit tombante à loger chez l'habitant, alors que, de son côté, la Bête trouve encore assez d'énergie pour faire quelques kilomètres et distancer ses poursuivants. Et toujours en laissant sur son passage des enfants égorgés, des corps déchiquetés, des membres épars.

    Toutefois, un noble des environs, M. de la Chaumette, aperçoit la Bête le 29 avril, entre Rimeize et Saint-Chély, et la tire. La Bête guette un berger non loin de la maison de M. de Chaumette. Il la voit et appelle ses deux frères. Tous trois armés, sortent de la maison et vont s'embusquer au-dessous du pâturage. L'un des trois entre dans le pâturage et pousse la Bête vers ses deux frères. Elle se replie. Les deux frères aux aguets la tirent. La Bête s'abat sur le sol et roule deux ou trois fois sur elle-même. M. de Chaumette la tire à nouveau. Se relevant brusquement, elle roule contre un arbre et, cachée aux regards des assaillants, s'enfuit.
    D'énormes taches de sang maculent le sol et les buissons alentour, comme si l'on avait saigné un cheval !
    La Bête est touchée au col. On la croit morte. Mais ce n'est qu'une fausse joie. Elle ne tardera pas à recommencer ses sanglants exploits.

     La bête du Gévaudan
    Le 24 mai 1765, c'est la grande foire du printemps, à Malzieu. Bien entendu, on ne parle que de ce sanglant animal. Soudain, un cavalier arrive au grand galop. Il hurle "Marguerite a son compte ! Oui c'est la bête". Marguerite, une grande et forte fille de 20 ans, amie e Jacques Denis, gisait baignant dans son sang, la gorge ouverte. Ce jour-là, la bête fera trois victimes, qu'elle ne se donnera même pas la peine de dévorer, étant repue.
    Prit de rage et de désespoir, ils empoignent fourches et baïonnette et avec Jacques en tête ils se lancent une fois de plus à sa poursuite.
    Bientôt il se retrouve face à elle pour la deuxième fois. Il la harponne violemment e sa baïonnette : nullement impressionnée, la bête attaque, tous crocs dehors. Heureusement d'autre chasseur arrive et elle s'enfuit.

    A la Cour, le roi est furieux. Cette histoire ridiculise la France. Il charge son porte-arquebuse personnel, Antoine de Beauterne, d'aller mettre un terme à cette histoire.
    Donneval abandonne. Il a tué 19 loups mais pas la bête. Elle se rit de lui : le 16, elle se jette sur une petite fille qui sera sauvée in extremis. Le 21, elle tue et dévore une femme e 45 ans et enlève une petite fille. La mission de Donneval s’achève sur ce sanglant épisode.
    Dans leur prêche les curés font de la bête un envoyé du diable. Elle est la punition des pêchés des hommes. C'est de la sorcellerie. 
    Trois mois après son arrivée, Antoine de Beauterne reçoit 12 chiens et il organise une battue avec 40 chasseurs recrutés dans un villages voisins. Guidé par son intuition il fait encercler le ravin De Béal. Si la bête est là, elle devra passer par la clairière et se découvrir.
    Les tireurs, les nerfs tendus, s'impatientent. Soudain, les chiens lancent des aboiements furieux. La Bête est là.
    Les chiens sont lâchés. La bête n'a plus que 30 m d'avance. Elle cherche une faille dans le piège qui lui est tendu.
    L'envoyé du roi voit une masse énorme dévaler le sentier. Elle ralenti, hésite puis s'avance. Antoine de Beauterne épaule et tire. Il touche l'épaule droite de l'animal. Une autre lui traverse l’œil droit et le crâne. Elle tombe. Le tireur sonne l'hallali.
    Soudain, stupéfiant tout le monde, la bête se relève et vient sur Antoine. Un garde tire à son tour. La balle traverse la cuisse de la bête qui animée par une énergie fantastique, se détourne et repart en trottant, atteint la lisière, la dépasse et débouche dans une pâture. Elle a trouvé la faille dans le filet. Elle est sauvée.
     
    La bête s'écroule...enfin morte. D'une espèce peu ordinaire, énorme, 1,90 m de long et pesait 65 kg et des crocs de 3,3 cm.
    L'animal sera empaillé et ramené à la cour. Il sera conservé jusqu'au début du XXè siècle au Muséum d'histoire naturel de Paris. 
    "La bête est morte." Dans le village une explosion de joie. Mais beaucoup n'osent trop y croire.
    Pendant les deux mois qui suivirent la famille Denis n'entendit plus le sinistre tocsin annonçant une nouvelle tragédie.
    Mais bientôt on apprit que cette tranquillité n'était qu'apparente.
    La bête continuait à tuer. Seulement, sur ordre du roi, il était interdit d'en parler.
    Cette "résurrection" de la bête allait renforcer les superstitions. Ça ne pouvait être un loup mais un animal diabolique. Un envoyé de l'Enfer.
    Le mois de décembre fut atroce. On retrouva plusieurs victimes affreusement mutilées.
    Le jour de Noel Jacques était parti à la recherche e Julienne, que l'on n'avait pas revue depuis la veille. On ne la retrouva jamais. Dans la semaine qui suivit, on retrouva des restes méconnaissables, des lambeaux de chair, d'os et de vêtements , le long de l'étroit ravin du ruisseau.

    Tout l'hiver, le carnage va continuer. L'hiver 1766-1767 sera plus calme. Quelques personnes disparues seulement. Mais au printemps, la Tueuse recommence ses massacres. On ne sait pas exactement combien de victime elle fait. Beaucoup de familles ne déclarent plus les meurtres. On connait pourtant de mars à juin 1767, 14 victimes de la bête.
     Le 19 juin un noble des environs organise une grande battue. Trois cents chasseurs et rabatteur y participent.
    Jean Chastel père se poste dans le ravin du Béal. Il ouvre un livre de prière et lit.
    Soudain, un froissement de feuilles. Une ombre furtive. Chastel finit sa prière et lentement ferme le livre, ôte ses lunettes et les mets en poche. La bête attend immobile. Elle sait qu'elle va rencontrer son destin.
    Jean Chastel épaule, tire. La bête s’effondre. Il dit : "Bien ! Tu ne tueras plus".
    Là ou la bête tomba, on raconte que l'herbe ne repousse plus.
                                                                                                                                                                            Extrait de " Inexpliqué " 1981
     
     
    La bête du Gévaudan 
     

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