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Thomas de Quincey - De l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts
Le Roman noir anglais avait déjà plus d'un demi-siècle quand De Quincey s'avisa d'y ajouter l'Essai noir. Il imagina de considérer le meurtre sous un angle esthétique, inventant une société d'amateurs qui appréciaient la qualité esthétique des assassinats commis depuis Caïn jusqu'à Burke et Hare, qui attiraient les vagabonds chez eux pour les étouffer sous des oreillers et les vendre comme sujets anatomiques ; et jusqu'à Williams qui, tout dernièrement, avait terrifié Londres en anéantissant deux familles entières. Cette récapitulation meurtrière s'effectuait selon des variations drolatiques, sur un mode ironique et léger.
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Considéré comme un chef-d'oeuvre d'humour noir, cet essais publié en 1827 reste néanmoins une oeuvre a part et pas toujours facile à lire destinée à des lecteurs confirmés. La fin avec la description des crimes de Williams par le menu détail est particulièrement savoureuse ( si l'on peut dire ).
En effet, si le lecteur sourit et rit même de bon cœur durant les deux premiers textes du recueil, la chose devient impossible dès qu'il entame le " Post-scriptum" - la partie la plus longue du récit. Il se penche dès lors sur le cas de John Williams, assassin, en 1812, des membres de deux paisibles familles londoniennes.
Peu à peu nous passons de l'idée abstraite du meurtre à la matérialisation de ce fantasme dans une réalité encore présente pour les lecteurs de l'époque et malheureusement quasi quotidienne pour nous.
Thomas de Quincey nous parle d'assassins qui ont fait l'histoire tel par le Caïn de la Bible et poursuit avec quelques "meurtres d'état" comme ceux de Henri III et Henri IV en France et celui du duc de Buckingham en Grande-Bratagne sans oublier quelques philosophes qui manquèrent d'êtres assassinés. Descartes et Spinoza sont du nombre, en terminant par une réunion d'amateur de crimes.
Revenons à ce fameux post-scriptum. Il use d'un tout autre ton : grave, réfléchi, il accumule les détails sur ce qui fut l'affaire Marr- Williamson, reconstitue, avec une précision qui eût fait les gestes de l'assassin au milieu des carnages qu'il provoque, et surtout, il s'interroge sur les raisons de ses actes.
Au début, il nous laisse croire que William tuait uniquement pour l'argent et ne voulait laisser aucun témoin. Mais cela est loin de représenter la triste réalité.
C'est la deuxième affaire qui attire notre attention. Avec une puissance d'évocation qui nous transporte sur la scène du crime en tant que témoin, nous montre que après avoir abattu Mr et Mrs Williamson ainsi que leur malheureuse servante, le tueur n'a aucune raison d'égorger la petite fille qui dort, deux étages plus haut, dans sa chambre : la petite fille ignore complètement ce qui s'est passé au rez-de-chaussée tout comme elle ignore qu'il vient de rentrer dans sa chambre dans le but de la tuer à son tour. Et pourtant, au lieu de se retirer, William s'avance et reprend sa lame de rasoir... Il faudra l'intervention quasi miraculeuse des voisins alertés par un jeune domestique qui avait réussi à s'enfuir, pour que l'enfant échappe à la mort.
C'est à cet instant que nous découvrons chez Thomas de Quincey, la réelle profondeur de sa réflexion sur l'instinct de tuer...
L'idée de traiter l'assassinat comme un objet esthétique peut sembler macabre mais le talent de l'auteur nous laisse sans voix.
Cette troisième partie est excellente. De Quincey l'a rajouté en 1854 en pensant qu'il n'avait pas assez détaillé le meurtre dans la partie
" Conférence ". Nous avons droit à tous les détails, comme si nous y étions.
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