• Raspoutine - Sa fin tragique*

     

    Raspoutine - La tragédie

    L'héritier du trône de Russie souffrait d'une maladie contre laquelle il était impossible, à l'époque, de lutter : l'hémophilie. Au moindre choc , une ecchymose articulaire se déclenchait et provoquait chez le jeune malade des douleurs lancinantes. Cette maladie provenait de l'hérédité de la dynastie princière de Hesse-Darmstadt, à laquelle appartenait la tsarine. L'hémophilie prive le sang de sa capacité de coagulation au contact de l'air extérieur : lorsque le malade est blessé, même légèrement, la croûte ne se forme pas sur la plaie et l'hémorragie continue.

    Dans toute la Russie, surtout dans les villages éloignés des centres urbains, il y a toujours eu des guérisseurs auxquels on attribuait le pouvoir d'arrêter le sang par la magie de certaines formules.

    Raspoutine - La tragédie

    Prétendre que Raspoutine pouvait guérir le jeune Alexi serait une tromperie : lorsqu'on voyait le prince lors des cérémonies officielles, il était toujours juché sur les épaules d'un matelot de Cronstadt, car, malgré la présence de Raspoutine, il n'arrivait pas à marcher. Cependant, ce dernier impressionna considérablement la Cour par sa thérapeutique à base de science infuse et d'incantations : devant l'enfant, il récitait d'une voix bien posée une prière bizarre qui ressemblait à une formule magique, puis il s'en allait, non sans avoir toisé son entourage d'un regard hautain. Quelquefois, par simple coïncidence, l'hémorragie s'arrêtait.

    Il n'en fallait pas plus pour convaincre l'empereur et l'impératrice, persuadés de l'impuissance de " ses imbéciles de médecins " que le moujik sibérien disposait de pouvoir surnaturels.

    Raspoutine - La tragédie

    Dans sa nouvelle fonction, qui n'était d'ailleurs pas vraiment officielle, Raspoutine s'acoquina avec un personnage des plus troubles, le thérapeute mongol Badmaïev. Échappé des couvents tibétains, où il s'ennuyait ferme, ce Bouriate, dépourvu du moindre diplôme universitaire, exerçait clandestinement la médecine. Il s'était constitué une pharmacopée qui, sous des noms baroques, lui permettait de faire un fructueux commerce de narcotique, de stupéfiants et d'aphrodisiaques. Ses malades, gonflés et revigorés à fortes doses
    d' " élixir du Thibet " , de " poudre de Nivritti " ou d' " essences de lotus noir ", pouvaient ensuite promener par les rues de Saints-Petersbourg leurs regards d'hallucinés, mêlant les plus folles visions à leurs rêves lubriques.

    Dès leur première entrevue avec le tsarévitch malade, les deux hommes se concertèrent afin de rester les seuls " médecins " à avoir l'autorisation de le soigner. Par dégoût, et peut-être aussi par lâcheté, la science officielle s'inclina prudemment devant eux.

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    On sait quelle fascination Raspoutine exerçait sur les femmes. Et les photographies de l'époque ne manquent pas qui le représente entouré de femmes de la haute société russe. Pourtant, c'est sur la première femme de Russie, la tsarine, que son influence se fit le plus sentir : elle était tombée en son pouvoir. Elle avait peut-être des excuses : avant de devenir impératrice de Russie, Alice de Hesse-Darmstadt s'était rendue à deux reprises dans ce pays pour être fiancée à l'héritier du trône, le futur Nicolas II. Par deux fois, le projet avait été abandonné et elle avait dû revenir en Allemagne avec une profonde blessure d'amour-propre.
    Ce n'est que peu avant la mort d'Alexandre III que le mariage eut lieu, et ce fut sans doute la seule erreur de son règne, mais une erreur aux conséquences incalculables.

    Si la jeune impératrice n'affichait pas une aversion déclarée pour sa nouvelle patrie, on ne peut pas dire qu'elle s'y sentait à l'aise : dans les réceptions, à la Cour, elle gardait un visage fermé et un regard le plus souvent désagréable, la tête toujours baissée et les lèvres serrées.
    Cette attitude provoqua d'abord chez le peuple de la déception, puis une antipathie de plus en plus marquée. Un abîme se creusa lentement entre elle et la population russe, ce qui ne fut pas étranger à l'odieux massacre d'Ekaterinbourg.

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    Lorsqu'on lui présenta Raspoutine pour la première fois, pour la princesse, ce fut " de l'inédit ". C'était la première fois qu'elle voyait un vrai représentant du peuple russe, un homme de cette Saint Russie dont elle avait tant entendu parler, mais dont les fastes et les pompes de la Cours lui avaient toujours interdit le contact. Ses manières vulgaires, le tutoiement, qu'il employait sans faire d'exception, contrastaient tellement avec le cérémonial de la Cour que la tsarine en fut saisie.

    Raspoutine lui apparut comme un être rude, mais franc, parlant sans ambages et ne se gênant pas pour dire ce qu'il pensait. Elle n'avait jamais vu ça, ni en Russie ni ailleurs. Le rusé moujik, lui, comprit tout de suite la situation. Son rôle à la Cour serait celui de l'homme surnaturel, l'envoyé du ciel qui, comme tel, serait écouté et suivi.

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    Son influence se manifesta progressivement dans tous les domaines : en qualité de religieux, il commença à s'attaquer aux affaires de l'Eglise.
    L’évêque de Tobolsk ne lui étant pas sympathique, il le fit remplacer par un ami personnel, l’évêque Varnava, dont le physique et les manières faisait plus penser au Satiricon qu'à la Sainte Bible. Sitôt l’évêché de Tobolsk transformé en annexe de Sodome, Raspoutine, émoustillé par ce premier succès, s'attaqua à Antonius, le métropolite de Saint-Pétersbourg. L'Eglise russe étant réduite, depuis le règne de Pierre le Grand, à l'état de simple ministère, la lutte ne fut pas très difficile et le métropolite indésirable fut remplacé par un des fleurons de l'entourage de Raspoutine, le très lamentable Pitirim, pervers de la dernière eau, nécrophile à ses heures et honte à tout le clergé.

    Après l'église, ce fut au tour de l'administration de subir les caprices de Raspoutine : les ministres et les hauts fonctionnaires furent bombardés de billets émanant de Raspoutine, des petits bouts de papier où il avait griffonné quelques lignes horriblement orthographiées. Celui qui refusait d'appliquer les ordres transmis risquait le plus souvent sa carrière.

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    A la même époque, Raspoutine se mit à prêcher une doctrine qui eut beaucoup de succès auprès des femmes : pour se sauver, il faut se repentir. Mais, pour se repentir, il faut pécher ! Fort de cette conviction, il conduisait ses belles fidèles au bain, où il leur donnait l'occasion de pécher... puis de se repentir. Quand le scandale arriva aux oreilles de l'impératrice, elle ne voulut rien croire de ce qu'elle appelait des
    " ragots " : quand on lui montrait des photographies de Raspoutine entouré de ses " admiratrices ", elle prétendait qu'elles étaient truquées.

    Par la suite, beaucoup de personnes confondirent l'attitude de l'impératrice avec celle de ces femmes du monde, et le trône commença à perdre son prestige.

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    Au début de la Première Guerre mondiale, le jour même où la Russie déclara la guerre à l'Allemagne, le tsar vint à Saint-Pétersbourg et apparut devant le peuple sur un balcon du palais d'Hivers.
    Il reçut une immense ovation de la foule, qui l'accompagna ensuite jusqu'aux quais de la Néva, où il monta dans un canot qui devait le conduire à son Yacht. Pendant que le canot s'éloignait lentement,
    Nicolas II resta debout, répondant aux acclamations de la foule par des signes de la main. Mais la tsarine tourna le dos et l'on ne revit plus son visage. " Elle n'est pas avec nous, elle est allemande, elle est pour l'Allemagne ! " entendit-on en plusieurs endroits de l'interminable marée humaine.

    Raspoutine était lui aussi opposé à la guerre, mais malgré sa forte personnalité, il n'avait pas réussi à influencer le tsar dans ce sens :
    Nicolas II n'était pas suffisamment préparé. La " préparation " en question consistait à le soumettre à l'influence de drogues que lui administrait son complice, le Mongol Badmaïev.
    Abêtir le souverain était le but de ces stupéfiants, et, vers la fin de la guerre, ce résultat était partiellement atteint, au point que Raspoutine ne se contentait plus de donner des ordres aux fonctionnaires : il destituait et nommait lui-même les ministres pendant que le tsar se trouvait au grand quartier général.

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    Comme par hasard, la plupart des ministres qui devaient leur situation à Raspoutine étaient tous germanophiles. Quant à Raspoutine lui-même, le prince Ioussoupov affirma par la suite qu'il se trouvait en liaison avec des agents ennemis cachés en Suède. Comme aucune opération militaire n'était effectuée sans que l'impératrice reçoive la bénédiction de Raspoutine, on comprend l'état-major allemand réussit à contrôler facilement les moindres mouvement de l'armée russe.

    Les organisations révolutionnaires, qui comptaient de nombreux noyaux terroristes au sein de leurs cellules, ne bougeaient pas d'un pouce, et pour cause : Raspoutine faisait leur jeu en sapant les bases de la monarchie et en lui ôtant tout son crédit. Après la mort de Raspoutine, le député Maklakov, membre de la gauche modérée, ne sest pas privé de le dire : " Ne comprenez-vous pas que maintenant, sans Raspoutine, la monarchie se trouve consolidée pour longtemps ! "

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    L'idée de supprimer Raspoutine avait pris forme depuis longtemps dans différents corps de la société russe. En 1914, il avait déjà reçu d'une paysanne un coup de couteau qui avait mis ses jours en danger. Les généraux haïssaient le moujik, qu'ils savaient vendu à l'ennemi et assoiffé de pouvoir. Le conseil de l'Empire, le Parlement, les administrations locales, tout le monde voulait la fin de Raspoutine. Il ne manquait plus que les actes.

    Le prince Felix Ioussoupov fut l'âme de la conspiration. Ses principaux complices étaient le grand-duc Dimitri et le député Pourichkévitch.
    Le prince, qui avait réussi à se concilier les bonnes grâces de Raspoutine, l'attira dans son palais et lui offrit du vin et des gâteaux empoisonnés au cyanure de potassium. On avait ensuite imaginé de le ficelé et de le plonger dans la Neva, tout en prenant soin de téléphoner à la boite de nuit qu'il fréquentait habituellement pour dire qu'il ne tarderait pas  à arriver. Ainsi, on lancerait la police sur une fausse piste.

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    Le plan se déroula comme prévu jusqu'au moment où Raspoutine mangea les gâteaux et but le vin empoisonné. Alors se produisit un événement auquel personne n'avait songé : le cyanure ne produisit aucun effet sur Raspoutine. Le prince Ioussoupov quitta à plusieurs reprises le salon pour aller prévenir ses complices que le poison
    " ne marchait pas ". L'anxiété était à son comble. L'un des conspirateurs, le docteur qui avait préparé la mixture se sentit mal et s'évanouit.

    Le grand-duc proposa finalement d'en rester là, mais Ioussoupov décida d'en finir en tirant un coup de feu à bout portant sur le moujik.
    Mettant aussitôt sa menace à exécution, il abattit Raspoutine.
    Mais, une demi-heure après le meurtre, alors que les conspirateurs se préparaient à passer à la deuxième partie de leur plan, il se passa un événement incroyable : un cri sauvage, surhumain, un cri de bête retentit dans les dédales du palais...

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    Ils virent alors un spectacle qui les glaça d'effroi : Raspoutine courant de toutes ses forces en titubant, dans la neige poudreuse de la cour.
    Bientôt, il franchirait la porte de la grille et se trouverait dans la rue.
    Pourichkévitch le rattrapa et lui logea deux balles dans le corps, une dans la tête et la seconde dans le dos. Ioussoupov, en pleine crise nerveuse, saisit une matraque et se mit à frapper comme un dément la masse de chair qui remuait à peine. Ils le jetèrent ensuite dans un trou pratiqué dans la glace, à l'embouchure de la Neva.

    Le cadavre complètement congelé est retrouvé deux jours plus tard, le 19 décembre. Il est immédiatement envoyé à l'Académie militaire pour autopsie. Le Dr Kossorotov découvre de l'eau dans les poumons. Incroyable, mais Raspoutine, empoisonné, touché à bout portant, battu comme plâtre, respirait encore quand il a été balancé dans la flotte !

    Raspoutine - La tragédie

    Le 3 janvier 1917, la tsarine éplorée le fait inhumer dans une petite chapelle près du palais de Tsarskoïe Selo. Pas pour longtemps. Le 22 mars, un groupe d'ouvriers révolutionnaires récupère le cadavre, le traîne dans un bois proche pour le réduire en cendres. Dans le feu, le cadavre se redresse comme pour s'asseoir. Panique dans l'assistance. Le moine revient à la vie ! Non, ce sont seulement les tendons, qui, sous l'effet de la chaleur, se contractent. Mais, durant des années, des rumeurs prétendent Raspoutine encore vivant. Seul son monstrueux pénis aurait échappé à l'autodafé. Le musée de Saint-Pétersbourg présente comme le sien un phallus momifié de 29 centimètres....

     


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