-
Les fantômes de la Royal Navy*
Mrs Dorothy Norton et Miss Agnès Norton ( pseudonyme ) séjournent à Puys, un village proche de Dieppe. Bien qu'elle se connaissent depuis longtemps ( elles sont belles-sœurs ), c'est la première fois qu'elles passent leur vacances ensemble. Elles partagent une chambre au second et avant dernier étage d'une maison située en bordure de mer.
A l'aube du 4 août 1951, à 4 h 20, Agnès sort de son lit et se dirige à tâtons à travers la pièce obscure, cherchant à identifier les bruits étranges qui l'on éveillée voici quelques instants. Sa compagne ne dort plus, elle non plus, puisqu'elle lui demande d'allumer la lampe. " Entends-tu tout ce tapage ? " demande Agnès. Dorothy entend elle aussi.
" En fait, déclara t-elle plus tard, elle écoutait cet étrange tintamarre depuis une vingtaine de minute. " Agnès pour sa part affirmera également que le même laps de temps s'était écoulé depuis qu'elle avait été réveillée.
Immobiles, les deux belles-sœurs observent donc, médusées, l'incroyable vacarme qui semble provenir de la plage toute proche. Par la suite, Dorothy tentera de décrire les sons qu'elles entendaient alors :
" C'était comme un rugissement continu, tantôt assourdi, tantôt plus intense. "De plus en plus intrigués, les deux femmes sortent sur leur balcon afin de découvrir l'origine de ces bruits insolites : mais elles ont beau scruter les alentours de la maison en direction de la plage, il leur est impossible d'apercevoir le rivage ni de découvrir ce qui les a tirées du sommeil...
Et, pourtant, les bruits proviennent indubitablement de la grève, et ils s'intensifient même de seconde en seconde. Les deux Anglaises distinguent maintenant plusieurs types de sons. Dorothy identifie pour sa part " des cris, des rafales d'armes à feu, des bruits d'avions et, par moments, des explosions d'obus ".
D'après Agnès, elles entendaient une cacophonie où se mêlait " des coups de feu, des sifflements d'obus, des cris, des explosions, ainsi que des bruits d'accostage ". Cette dernière ajoute encore que " tous ces sons semblaient venir d'une très grande distance, comme s'il s'était agi d'une lointaine émission radiophonique qui ne leur serait parvenue que par intermittence ".
Abasourdies, Agnès et Dorothy, incapables de s'expliquer ce qu'elles entendent vont peu à peu conclure à l'origine à l'origine paranormale de ce phénomène. C'est là, en effet, un domaine qui est familier à Dorothy, qui a déjà vécu elle-même plusieurs expériences parapsychologiques.
Mais une seule de ces manifestations a été de nature purement auditive, comme c'est le cas à présent : quelques jours auparavant, elle a été réveillée par des bruits assez semblables à ceux qu'elles entendent aujourd'hui, mais beaucoup plus faibles et assourdis." Tout à la fin, dit-elle, il m'a semblé entendre des hommes qui chantaient. Tout a cessé à l"aube, au chant du coq, et je me suis alors endormie. " Toutefois, en cette circonstance, sa belle-sœur n'a rien entendu et ne s'est même pas réveillée.
L'aventure d’Agnès et Dorothy Norton suscita beaucoup de scepticisme lorsqu'elles le rendirent publique. Ceux qui refusaient de croire à une manifestation paranormale firent remarquer que les deux Anglaises étaient en possession d'un guide touristique de la région, dans lequel on pouvait lire une brève description du raid sur Dieppe entrepris par les forces militaires britanniques et canadiennes le 19 août 1942.
Lors de l'enquête menée par G.W. Lambert et Kathleen Gay, les deux femmes admirent le fait et reconnurent qu'elles avaient pris connaissance de ce passage, mais nièrent l'avoir lu avant la nuit en question.
Les incrédules ajoutèrent que les deux Anglaises séjournaient déjà à Puy depuis une semaine lorsque ces événements eurent lieu : n'était-il donc pas surprenant qu'elles aient montré si peu de curiosité pour ce célèbre épisode de la Seconde Guerre mondiale, qui s'était justement déroulé sur les lieux mêmes de leur villégiature ? Il n'était cependant pas invraisemblable qu’Agnès et Dorothy aient ignoré ce chapitre de l'histoire militaire.
Dans une lettre publiée dans le Journal de juin 1952, G.W. Lambert déclare que
" ni l'une ni l'autre ne montraient guère d’intérêt pour les événements de cette période et qu'elles n'avaient probablement jamais rien lu au sujet de cette tentative de débarquement ".
Rien ne permettait donc d'affirmer que leur attention avait été attirée sur ce point dans les jours précédant le 19 août.Il est en tout cas hors de doute que les faits rapportés par les deux femmes évoquent le raid de 1942. Pendants qu'elles se tenaient sur le balcon, écoutant trois heures durant cet ahurissant vacarme, Agnès et Dorothy ont soigneusement noté l'heure exacte à laquelle elles ont entendu les différentes catégorie de bruits. Le lendemain, elles ont rédigé chacune, séparément, une relation détaillée. Il est d'ailleurs à noter que leurs deux récits présentent de légères divergences. Par exemple, et alors que toute deux s'accordent pour situer à 4 h50 la fin de la première
" vague " sonore, Agnès note que le fracas reprend à 5 h 07, tandis que, selon Dorothy, il est à ce moment 5 h 05. Les deux belles sœurs possèdent chacune une montre, mais elles s'accordent pour estimer que celle d’Agnès est généralement plus exacte, celle de Dorothy tendant à retarder légèrement.Il est vrai que si l'on admet ce décalage, cela remet en question les temps précédents qui correspondent au début et à la fin de la première série de bruits et sur lesquels les témoignages des deux femmes concordent : si la montre de Dorothy a pu prendre deux minutes de retard
entre 4 h 50 et 5 h 07, c'est qu'elle fait plus que retarder légèrement ! Signalons enfin que les légères différences des deux récits peuvent peut-être s'expliquer par le fait qu'Agnès, durant la Seconde Guerre mondiale, était membre du Women's Royal Naval Service, et que, de ce fait, elle devait certainement être plus exercée que sa belle-sœur à établir un rapport détaillé et précis.Les deux enquêteurs, G.W. Lambert et K. Gay, établirent un tableau comparatif des bruits entendus par Agnès et Dorothy, avec les heures correspondantes qu'elles avaient noté un minutage réel du raid sur Dieppe du 19 août 1942. Ce jour-là, les opérations avaient débuté exactement à 3 h 47, lorsque les navires de guerre alliés qui se dirigeaient sur Puy étaient tombés sur un convoi allemand et avaient dû engager le combat. De ce fait, les forces allemandes cantonnées à Puys furent alertées, si bien qu'en débarquant, les Anglo-Canadiens furent accueillis par un feu meurtrier et subirent de lourdes pertes.
Lambert et Gay émirent l'hypothèse que les " cris " entendus par Agnès et Dorothy auraient pu être poussés, neuf années plus tôt, par les hommes de la garnison allemande en état d'alerte et gagnant leurs positions de combat.
Le débarquement, tant à Puys qu'à Bernarval, avait été initialement prévu pour 4 h 50, mais fut finalement légèrement retardé : la première vague de péniches de débarquement toucha le rivage de Puys à 5 h 07 précises ; à 5 h 12, les destroyers de la Royal Navy commençaient à bombarder Dieppe, où le gros des troupes débarqua à 5 h 20, tandis que l'attaque aérienne des fortifications du bord de mer par les Hurricane de la R.F.A. avait débuté à 5 h 15. A 5 h 40, le bombardement naval cessa complètement : dix minutes plus tard, 48 autres appareils de la R.F.A. arrivés en renfort, s'engageaient également dans la bataille.
G.W. Lambert et K. Gay avaient relevé ces précisions dans un ouvrage de Christopher Buckley, Norway, the commandos, où un chapitre entier était consacré au raid sur Dieppe. Et ils s'étaient assurés que ni Agnès ni Dorothy n'en avait eu connaissance avant le 4 août 1951 - en fait, il est même probable qu'elles n'en avaient jamais entendu parler. Plus tard, Agnès ajoutera que, bien qu'elle eût été membre du W.R.N.S. durant la guerre, elle n'eut jamais accès aux rapports de la Royal Navy concernant les opérations militaires.
D'une manière générale, le chronométrage effectué par Agnès et Dorothy lors de la nuit du 4 août correspond donc plus ou moins aux différentes phases du raid, encore que certains aient mis l'accent sur le léger décalage horaire et les divergences de détail présentées par leurs récits respectifs. Mais la contestation portera surtout sur le
" conditionnement psychologique " des deux femmes, conditionnement qui les a peut-être amenées à interpréter abusivement ce qu'elles entendaient.N'auraient-elles pas été induites en erreur en identifiant les bruits qui leur parvenaient ? A cet égard, un argument de poids fut avancé par un autre " correspondant " de la Société de recherches psychiques, qui attribua une cause naturelle à cet étrange vacarme.
Au mois de septembre 1968, M R.A. Eades révéla en effet qu'en août 1951, il passait ses vacances en France avec sa famille. A la fin de ce mois, ils avaient campé une nuit au bord de la mer, à l'est de Dieppe. Cette nuit-là, ils furent tous réveillés par " un bruit absolument indescriptible qui dura plusieurs heures ". Les membres de la famille Eades, fort perplexes, cherchaient vainement à identifier et à localiser ce tintamarre qui évoquait, se disaient-ils, un champs de foire, une cour d'école à l'heure de la récréation ou un zoo en folie... Ce n'est que le lendemain, lorsqu'ils se rendirent en ville, qu'ils apprirent qu'une drague avait été en action dans le port pendant une partie de la nuit. Ils purent même voir l'engin, alors inerte.
La même mésaventure ne serait-elle pas arrivée aux deux belles-sœurs ?
En se basant sur ces nouvelles données, G.W. Lambert enquêta auprès des autorités du port de Dieppe, afin de vérifier si une drague avait ou non fonctionné au court de la nuit du 3 au 4 août 1951. Il s'avéra que l'un de ces engins avait bien été en marche de minuit et quart jusqu'à 8 h 15 le lendemain matin. L'explication était séduisante. Toutefois, il faut remarquer que la drague avait été mise en action plus de trois heures avant que les deux femmes aient été réveillées et qu'elle fonctionna encore plus d'une heure après qu'elles eurent cessé d'entendre des bruits : il est donc difficile d'attribuer leur insomnie à l'engin seul...
Le débat fut à nouveau ouvert dans les colonnes du Journal de la Société de recherches psychiques et suscita un courrier particulièrement abondant. M Eades, à qui l'on devait déjà cette ingénieuse hypothèse, suggéra notamment qu'une nouvelle enquête soit menée, afin d'examiner toute l'affaire avec des yeux neufs. C'est ainsi qu'en 1969 M. Robert Hastin entreprit d'étudier à nouveau, en reprenant tous les témoignages à la source, l'étrange expérience vécue par Agnès et Dorothy Norton. S'il ne parvint pas à des conclusions déterminantes, il put néanmoins attirer l'attention sur un certain nombre de point intéressants, mal élucidés jusqu'alors.
Bien que les deux femmes aient mentionné le décalage de deux minutes qu'elles avaient enregistré en ce qui concerne le début de la seconde vague de bruits, curieusement, personne jusque-là ne s'était préoccupé de vérifier laquelle des deux montres était la plus exacte.
Après vérification, il apparut également qu’Agnès et Dorothy avaient en fait déjà entendu parler du raid sur Dieppe, mais qu'elles ne possédaient à ce sujet que des informations vagues et très générales. Les deux belles-sœurs avaient bien reconnu être en possession du guide touristique, renfermant une description assez précise du raid. Elles reconnurent qu'elles en avaient pris connaissance cette nuit-là, sur leur balcon,
entre 5 h 07 et 5 h 40, tandis qu'elles écoutaient les bruits singuliers. Mais elles nièrent une fois de plus énergiquement avoir lu ce passage auparavant. Fait troublant, alors qu'elles auraient fort bien pu ne pas révéler qu'elles disposaient du guide en question, elles avaient d'elles-mêmes signalé ce fait aux enquêteurs.D'autres faits sont encore plus troublants...
-
Commentaires