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Le Dragon de Mons*
De toute les créatures qui hantent les jungles du rêve, le dragon est sans doute la plus extraordinaire et la plus terrifiante. Aux antipodes de l'inoffensif reptile chinois, le dragon des mythologies européennes crache un feu infernal de sa gueule hérissée de crocs. Vers ou noir, pourvu ou non d'ailes membraneuses, il traîne par mont et par vaux, battant la queue et labourant le sol de ses pattes griffues. La tradition lui assigne généralement la garde d'un trésor, mais la majorité des légendes où interviennent un dragon mettent plutôt l'accent sur sa victime - une jeune vierge livrée à sa férocité - ou sur son triomphateur - la vaillant guerrier venu sauver la captive et tuer le monstre.
Tristan, Yvain, Siegfried eurent raison d'effroyable bêtes, comme avant eux Persée, qui s'était mis en tête de délivrer Andromède.Dans la " Légende Dorée ", c'est au nom du Christ que saint Georges, le vaillant Cappadocien, trucida le dragon sous les yeux de la princesse de Trébizonde. Son exploit entraîna la conversion du roi et de
ses 20 000 sujets. En Provence, la fragile sainte Marthe vint à bout de la " tarasque ", alors que chez nous saint Quirin débarrassa Malmédy de son dragon local. Dans les deux cas, le monstre se laissa docilement passer au cou une étoffe bénite. Episodes assez semblables pour saint Théodore, en Thrace, saint Paul de Léon, dans l'île de Batz, saint Pavace, au Mans, saint Romain, à Rouen, et saint Marcel, à Paris.
On pourrait également leur associer les saints Hilarion, Lifard et Germain d'Ecosse, mais ils n'eurent en somme affaire qu'à des serpents.Par contre, c'était bien un dragon qu'affronta, lance au poing, Gilles de Chin, grand chambellan du Hainaut, au XIIè siècle. Le combat se déroula dans les marais de la Haine et l'enjeu en était, une fois de plus, l'amour d'une belle captive. Les Montois s'emparèrent, au nom de saint Georges, de l'aventure de Gilles. Ainsi naquit le Lumeçon, à l'origine jeu scénique lié à la procession du Car d'or, ensuite manifestation indépendante, qui retrouva tout son lustre en 1803.
Aujourd'hui, le " doudou ", dragon de bambou, d'osier e d'étoffe, meurt sous les coups d'un saint Georges bizarrement accoutré d'une casaque jaune, d'une culotte blanche et coiffé tel un cuirassier de la garde napoléonienne. La foule qui se presse sur la grande place de Mons, le dimanche de la Trinité, s'active à tenter d'arracher les crins porte-bonheur de la queue du monstre. Mais combien savent que le crâne
du " vrai " dragon , le trophée supposé conquis de haute lutte par Gilles de Chin, repose toujours en leurs murs, dans une vitrine du musée de la Maison Jean Lescarts ?Un dragon ? Allons donc ricanent les paléontologues qui affirment reconnaître là l'imposante mâchoire d'un saurien de l'ère secondaire, vague cousin des iguanodons découverts dans un puits de mine à Bernissart, pas loin de la Haine, précisément. Ou bien alors le crâne d'un gigantesque crocodile ramené d'Orient par quelques croisé.
Exceptionnellement, nous préférerons nos chimères aux savantes démonstrations des hommes de science. Pour faire le procès du dragon, nous citerons à comparaître la vouivre, la salamandre, le répugnant basilic et la douce licorne, ces inventions immortelles de la pensée magique.
Et si d'aventure nous avons l'âme enclins au voyage, nous gagnerons l'Ecosse et, au bord des eaux sombres du Loch Ness, nous appellerons de nos vœux " Nessie ", le dernier dragons.
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