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Le Culte du taureau*
Éternelle fascination exercée par le taureau ! On en trouve les première traces sur les parois des cavernes paléolithiques, où, voici 50 000 ans nos ancêtres représentèrent cet animal fabuleux, qui allait devenir à la fois dieu de fertilité, de fécondité et symbole de mort et de destruction.
Peut-être miroir de l'inconscient collectif, le culte du taureau reste surtout associé à un rêve très ancien, un désir fantastique de capter l'énergie du Monde.Dans les plus vieille civilisations - à Sumer, à Babylone et en Egypte, chez les Hittites et chez les Celtes - ainsi qu'en Afrique contemporaine, la figure archétypale du dieu taureau est confondue avec celle du chef, du roi, des souverains. Dans l'empire des pharaons, où certaines tombes recèlent des momies de taureaux, Amon-Râ, le Soleil, est appelé " Taureau du Ciel ".
En Inde, les grands dieux Indra, Agni et Civa prennent souvent l'apparence du taureau; effigies dans les champs et, dans les temples, colossales statues, atteignant parfois 6 m de haut comme à Tanjore.On sait aussi que le fameux temple de Salomon, à Jérusalem, était peuplé d'étranges chérubins ailés en bronze, corps de taureau et tête humaine. Le dieu taureau semble donc maître de l'Univers, détenteur des puissances du Ciel et de la Terre.
Ainsi à Babylone, on pouvait voir le terrible dieu Baal adoré sous le nom de Ramman, " le Mugisseur ". La tête ornée de cornes, il tenait dans sa main gauche un épi de blé, symbole de fertilité.
Le culte du taureau, sous toute ses formes, se traduit par une étrange et impressionnante cérémonie, qui met en contact l'homme avec les puissance naturelle de vie et de mort. Vêtu de peau de bêtes, et coiffés de casques cornus, les guerriers celtes tentaient, en s'appropriant l'aspect terrifiant du taureau, de provoquer chez l'ennemi un " effroi sacré ".
A des millénaire de distance, le même effroi nous saisit à l'évocation des rites bachiques au cours desquels des femmes possédées par le dieu dépeçaient et dévoraient cru un jeune taureau.De Crète, les marins grecs du temps d'Homère revenaient avec de terribles informations : dans un labyrinthe inextricable, des jeunes gens et des jeune filles étaient offerts en pâture à une monstre hybride et cannibale, le Minotaure, fruit des amours coupables de la reine Pasiphaé et d'un taureau. Réminiscences humains ?
En Phénicie, on allait même jusqu'à enfermer des enfants dans la carcasse creuse d'un énorme taureau de bronze sous lequel on allumait de grands feux au son de gongs et de cymbales qui couvraient les cris ! Le sens exact de ces rites effrayants se perd parfois dans la nuit des temps.
S'il arrive que l'homme soit sacrifié au taureau, l'animal est plus souvent encore la victime offerte aux puissances supérieures, dont l'homme sollicite aide et protection : dans les montagnes indiennes, chez les Zoulous, en Crète et à Delphes, on immole des taureau pour favoriser les prophéties. Agamemnon, partant pour la guerre de Troie, sacrifie des taureaux aux dieux avant de mettre à mort sa propre fille. Partout et toujours, entre l'homme et le taureau s'établit un lien puissant et profond, mais très obscur.
Un rite de la très haute Antiquité égyptienne donne peut-être une des clés du mystère. Le pharaon, incarnation du dieu, ne devait pas vieillir : son énergie et sa virilité étaient garantes de la vitalité du pays.
Aussi dès qu'un nouveau souverain prenait de l'âge, lui désignait-on un successeur. Quant au vieux roi, il était purement et simplement mis à mort. Ce meurtre rituel était suivi d'un festin cannibale au cours duquel, en absorbant la chair de son prédécesseur, le jeune pharaon devait s'approprier son énergie.Or, en Egypte, on identifiait le roi au taureau et le sacrifice du taureau se substitua peu à peu au régicide primitif. Ce sacrifice représentait en fait une véritable passation de pouvoir. Il s'opérait très exactement un transfert d'énergie vitale.
Dans toutes les anciennes civilisations, pouvoirs politique, religieux et magique étaient étroitement liés. Et toujours, en toile de fond, le taureau, archétype de puissance et victime immolée.
Chez les Celtes, en Irlande et en Bretagne, voici comment, dans les temps les plus reculés, on procédait à la désignation d'un nouveau roi : après le sacrifice d'un taureau, un barde, poète-sorcier inspiré par les dieux, mangeant de sa viande, puis s'endormait. Son pouvoir de divination accru lui faisait voir en rêve le nouveau roi, qu'il désignait à l'assemblée des nobles réunie autour de lui.
Aujourd'hui encore, dans le monde entier, des cérémonies rituelles font écho aux anciens cultes. Chez les Zoulous, lors des moissons, le sacrifice du taureau doit à la fois garantir la fertilité du sol et renouveler la puissance vitale du souverain. Une autre tribu africaine, celle des Dinkas, le soir du mariage, le jeune marié enduit la poitrine et les épaule de son épouse avec le contenu de l'estomac d'un taureau fraîchement immolé : elle sera ainsi féconde.
Cela n'est pas sans rappeler une très vieille coutume phénicienne : la jeune fille à marier devait oindre son corps du " parfum du taureau sauvage dont l'éjaculation est sur la mer " Il s'agissait en fait de l'ambre, concrétion intestinale de la baleine, qui pour ces anciens peuples, était
le " taureau marin ".Le nouveau-né africain sera parfois plongé dans le sang d'un taureau, alors que le bébé indien sera assuré d'une longue vie si son père lui fait boire un breuvage où aura macéré un poil de taureau noir. Et quelle autre preuve de la vitalité du culte taurin que ces 150 millions de bovins sacrés qui hantent l'Inde contemporaine !
Sur le plan symbolique, en effet, les figures du taureau et de la vache sont bien souvent confondues. Pour invoquer les forces régénératrices, la sorcière hittite saisit la corne d'une " vache fertile ". En Inde, selon le rituel sacré des Veda, on enferme les cadavres humains dans la carcasse d'une vache, avant de les brûler sur un bûcher. En Afrique centrale, aujourd'hui encore, on enterre les morts enveloppés dans une peau de taureau.
Dans le monde entier, cornes de vaches ou de taureaux sont indifféremment écrasées au pilon et servent de remède absolu contre la stérilité. En Inde, la vache jouit d'un prestige inouï et, chez les Dravidiens, descendants négroïdes des plus anciennes populations du sous-continent indien, survit un culte du taureau qui n'a guère changé depuis la préhistoire.
Dans ce pays où la viande de bovin est interdite à la consommation, les rites de transfert de l'énergie dont le taureau est porteur s'accomplissaient beaucoup plus par contact que par absorption : on caresse, on touche l'animal, ses poils et ses cornes, qui sont des objets magiques entre tous.
Ces rites de contacts existent ailleurs : chez les Bantous, le propriétaire d'un taureau passera des heures à parler et à jouer avec la bête, ce qui lui conférera force et jeunesse. L'attachement d'un Bantou à son bovin est tel que, si celui-ci et meurt, l'homme peut se suicider !Un curieux rite, encore en vigueur en plein XXè siècle et en Espagne, pays très marqué par le christianisme, montre combien est encore vivace la magie du contact avec le taureau : Dans les provinces d'Andalousie et d'Estrémadure, on promène par les rues, le jour de la Saint-Marc, un taureau que l'on a enivré. Femmes et filles pour assurer leur fécondité, le caressent et se frottent à lui, en l'appelant du doux nom de ' Marcito ".
Le taureau est dit-on, possédé par l'esprit de saint Marc. Singulier mélange de traditions, où l'on voit se profiler l'image troublante de Pasiphaé, la reine crétoise qui enfanta le Minotaure.A Sumer, le dieu suprême Enlil se voit attribuer les titres de
" seigneur des champs fertiles " et de " dispensateur de vie "
Curieusement, on a retrouvé à Thèbes, en Egypte, la momie d'une dame de la haute société, tenant dans sa main le phallus embaumé d'un taureau : peut-être s'agissait-il d'un talisman pour la vie éternelle.Reconnu très tôt comme symbole des forces naturelles et surnaturelles, le taureau devient l'allié de l'homme pour capter la source de la vie.
On attribuait à sa puissance sexuelle une influence bénéfique sur les moissons et, dès le néolithique, on l'utilisa pour le labour en l'attachant par les cornes à la charrue. Longtemps, même après l'invention du joug, on continua à pratiquer les labours rituels à l'ancienne mode.Lié ainsi à la terre mère, le taureau incarne alors les forces souterraines, chthoniennes, les puissances obscures : en Grèce, les prêtresses de Gé, la Terre, buvaient du sang de taureau avant d'entrer en transe et de prophétiser.
L'Egypte pharaonique faisait du Nil en crue un taureau fertilisateur, symbole de renaissance, de résurrection. Ailleurs, en Grèce, en Inde et en Asie Mineure, des mythes taurins sont attachés aux fleuves, aux sources et aux rivières. Mais l'eau fécondatrice, c'est aussi et surtout l'eau du ciel : le dieu taureau, sur toute la planète, est la divinité des pluies et des orages. Dieu taureau à qui, pour recevoir ses bienfaits, il faut que l'homme sacrifie des taureau !
Rite imitatif, magie de la contagion : en arrosant la terre du sang des taureaux sacrifiés, on attire sur elle les pluies bienfaisantes dispensées par le taureau du ciel ! Toutes les grandes cérémonies d'appel à la pluie, en Afrique ou chez les Indiens d'Amérique, utilisent le sang ou l'urine de taureau. Dans les montagnes de Crète, il y a encore 50 ans, on sacrifiait des taureau à saint Elie, patron des nuages et de la foudre, héritier chrétien direct de Zeus. Encore une survivance qui témoigne de cette conviction ancrée dans l'inconscient des peuples, que le taureau est l'intermédiaire privilégié entre l'homme et les puissance cachées qui l'entourent.
Pourtant, le taureau inspirait aussi une sorte d'effroi. A quelles puissances noires le rattachait-on ?
Extrait de " Inexpliqué " 1981
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