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Le Comte de Cagliostro - La Légende*
C'est en mêlant habilement ésotérisme et exotisme que l'ancien aide-apothicaire sicilien fascine la bonne société d'un Ancien Régime agonisant. Le comte de Cagliostro affirme avoir été initiés aux traditions les plus secrètes de l'Islam, de la Perse et de l'Inde. Il feint de parler l'arabe couramment.
Il aurait, selon ses dire, vécu une enfance malheureuse. Fils déchu d'un roi de Trébizonde, il a été vendu comme esclave après la ruine de sa malheureuse patrie. Par bonheur, il a été recueilli par le calife de la Mecque, qui n'a pas manqué de remarquer la vivacité d'esprit et d'intelligence du jeune garçon...
Tandis que Cagliostro raconte les détails de son destin hors pair, les belles dames à perruque soupirent : ne croirait-on pas à un roman ? Dans leurs salons, les aristocrates s'ennuient. L'alchimie, les mystères ésotériques et la magie sont les seules distractions.
Une fois initié aux secrets de la cabale, attiré malgré lui par la mission divine qui lui a été confiée, le jeune esclave doit quitter son protecteur de la Mecque. Il est alors admis au sein d'une secte de derviches tourneurs, puis dans une autre secte égyptienne, qui se réclame d'Osiris. A Damas, il découvre les secrets de l'alchimie et est introduit dans le laboratoire souterrain et clandestin des chevaliers de Malte.
On imagine les trépignements de plaisir des auditeurs du " mage " !
Quelle aventure et quelle vie bien remplie !Du coup, les adeptes de la " franc-maçonnerie égyptienne " présentée par Cagliostro comme infiniment supérieure à l'obédience écossaise, se précipitent et se bousculent. Bien entendu, tout le monde n'est pas dupe des sornettes ainsi débitées par le faux comte. L'ambassadeur prussien, qui sait à quoi s'en tenir sur la valeur des titres de Cagliostro, s'inquiète de sa présence à Saint-Pétersbourg. L'aventurier préfère quitter la Russie. Juste avant que la tsarine ne se résigne à signer un mandat d'expulsion contre lui.
En France, une nouvelle carrière commence pour le comte. Le cardinal de Rohan, qui ne restera pas longtemps insensible au charme
de la " comtesse ", est un passionné d'occultisme. Sa crédulité n'a pas de bornes. C'est une belle occasion pour Cagliostro, qui se prend maintenant pour un mage et lit l'avenir dans une carafe d'eau...Evidemment, le personnage est loin de faire l'unanimité. Personne, pourtant n'ose s'élever contre l'aventurier. Beaucoup lui concèdent un " air inspiré ". L'impudence du personnage n'ayant pas de limites, on le voit bientôt partout. Il aura assez de diplomatie pour faire tomber les préventions qui existent contre lui. Les idées les plus folles et les hommes les plus étranges parcouraient alors la société française, pourquoi n'aurait-on pas accepté le comte ?
Une capitale s'offre au mage. L'été 1781 se passe en fêtes diverses et en démonstrations qui font grandir la réputation de Cagliostro.
Il s'habille de couleurs voyantes et porte ostensiblement des diamants à tous les doigts. Son chapeau à plumet n'est sans doute pas du meilleur goût. Peu importe : la conviction avec laquelle il défend son personnage et son incroyable toupet ont raison des salons les plus huppés. L'exotisme et le mystère fascinent. Giuseppe Balsamo en profite.Bon nombre de curieux, dont le déguisement cache parfois des grands personnages de l'aristocratie, viennent se faire initier par lui.
On se dispute ses onguents et ses potions. Jamais on n'aura autant divulgué les " secrets " de l'alchimie. Comme la confiance du cardinal de Rohan ne se dément pas, la " franc-maçonnerie égyptienne " ne cesse de faire de nouveau adeptes.Bientôt, le Tout-Paris se flatte d'être reçu dans le laboratoire de ce détenteur de secrets interdits. Beugnot, qui deviendra un grand fonctionnaire de l'Empire, a raconté une de ces soirées :
" Je ne le regardais qu'à la dérobée et je ne savais pas encore que penser : cette figure, cette coiffure, l'ensemble de l'homme m'en imposaient malgré moi. Je l'attendis au discours. Il parlait je ne sais quel baragouin,
mi-italien mi-français, qu'il ne se donnait pas la peine de traduire..." Il ne manquait jamais de demander, à chaque instant, s'il était compris et on s'inclinait à la ronde pour le rassurer. Le même manège dura pendant tout le souper et je n'en recueillis autre sinon que le héros avait parlé du ciel, des astres, du Grand Arcane, de Memphis, de l'hiérophante, de la chimie transcendante, de géants, d'animaux immenses, d'une ville située à l'intérieur de l'Afrique, dix fois plus grande que Paris, où il avait des correspondants, et de l'ignorance ou nous étions de toutes ces choses. Lui les savait du bout des doigts... ".
Roi de la flatterie et prince de l'esbroufe, le fameux comte parvient ainsi à s'attirer les faveurs de plusieurs personnalités influentes de la Cour.
Il leur prédit un avenir radieux et prévoit aussi bien les chiffres qui sortiront gagnants de la loterie. De son côté, Lorenza-Seraphina continue à briser les cœurs : on se bat en duel pour la couleur de ses yeux.Rue Saint-Claude, le cardinal de Rohan est toujours aussi assidu. Les mauvaises langues prétendent qu'il apprend à fabriquer de l'or et des diamants. C'est faire trop d'honneur à Cagliostro, qui finira par être mêlé, sans doute à tort, à la fameuse affaire des diamants de la reine.
Par contre, avec une jeune voyante complice, il permet à quelques invité, triés sur le volet, de dialoguer avec les morts ou de participer à quelques rituels étranges, destinés à connaître ce qui se passe ailleurs, à travers le monde.Cette faculté de parler avec les morts commence à inquiéter les autorités.
Les bruits les plus divers circulent. A un dîner de treize personnes ( évidemment ), Alexandre de Cagliostro convoque six personnages illustres et récemment disparus : Voltaire, Montesquieu, Diderot, d'Alembert, le duc de Choiseul et l'abbé de Voisenon. Les propos ne sont guère favorables à Louis XVI.Informé des activités subversives du mage, le roi reste indifférent. La reine qui n'a jamais caché son aversion pour le charlatan italien, ne peut rien faire. Le couple ne cesse d'écumer la bonne société. Les affaires des Cagliostro sont prospères et Lorenza ouvre un cours de magie, où l'on s'écrase.
Malgré tout, ces petits succès ne grisent pas Giuseppe Balsamo. Il cherche toujours à réaliser un gros coup, qui le mettrait à l'abri des aléas de la vie, en lui assurant une fortune confortable. Il va naturellement miser sur Mme de La Motte...
Il lui prouve qu'elle est effectivement, comme elle le croit, descendante d'Henri II et la présente au cardinal de Rohan. On connait la suite :
l'" affaire du collier de la reine " défraie la chronique et compromet la monarchie aux yeux du peuple parisien. Le seul tort de Cagliostro est d'avoir évoqué la reine, dans une vision sortie de sa carafe d'eau, à la demande expresse du cardinal. Innocent, il n'en est pas mois arrêté sans ménagement, le 22 août 1786.Quand le commissaire de police se présente chez lui, tout a été nettoyé, il ne reste pas le moindre baume, ni la moindre recette alchimique. Le 31 août, il est déchargé de toute espèce d'accusation. Il ne sera pourtant relâché qu'au mois de juin suivant. Pour les parisiens, il devient le symbole inacceptable de l'arbitraire royal. A sa sortie de la Bastille, on le fête !
Cette libération ne le réjouit pourtant pas : il a 24 heures pour quitter paris et deux semaines pour quitter la France. Ils prennent alors tristement le chemin de la Suisse.
En Suisse, Lorenza est saisie d'une irrépressible envie de revoir Rome et ses parents. Son mari hésite. Il est en effet toujours recherché par la police pontificale pour d'ancienne escroqueries. Sans doute, s'agit-il d'un piège : à peine sur le sol italien, Lorenza prend contact avec le tribunal du Saint-Office et dénonce les " pratiques sataniques " de son infortuné mari, qui se voit accusé d'hérésie, de magie et de propagation des idées maçonniques. C'est autrement plus grave que les escroqueries ; l'ancien comte Alexandre de Cagliostro, risque la potence dans le meilleur des cas, et le bûcher dans le pire !Lorenza l'accable tellement au cours du procès qu'il est condamné à mort. Sa peine sera finalement commuée en emprisonnement à perpétuité, " sans espoir de grâce "
Le " Grand Cophte d'Asie et d'Europe " mourra fou en 1795, après quatre années d'une terrible détention. Lorenza finira sa vie derrière les murs d'un couvent romain.Son souvenir allait inspirer Goethe ( dans Le Grand Cophte ) et Alexandre Dumas ( dans Joseph Balsamo ), faisant de cet aventurier voyageur une des figures de légende de l'occultisme européen.
Extrait de " Inexpliqué " 1981
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