• La médecine populaire*

     

    Il n'y avait en Belgique, vers 1914, guère plus de 4000 médecins et moins de 2000 pharmacien...
    Le praticien, mandé à la ville le plus proche arrivait fréquemment trop tard, après avoir tenté de joindre la demeure du malade en suivant à cheval ou en carriole, des chemins à peine praticables... Arrivés sur place à temps, n'en était-il pas trop souvent réduit à aider son malheureux patient à mourir, impuissant qu'il était à guérir ? 

    Bien qu'elle ai progressé à pas de géant depuis plus d'un siècle, la science médicale ne jouit pas pour autant de la confiance aveugle de l'ensemble de nos contemporains. Le refus de la chirurgie d'amputation et des remèdes drastiques est pour une large part responsable du succès grandissant des médecines dites parallèles, auxquelles, tout récemment et avec une infinie circonspection, la Faculté vient d'ouvrir ses portes. Heureux hommes qui avons, sous nos latitudes au moins, le choix du médecin et quasiment celui de la thérapie !

    Que dire de nos aïeux, dont la rude existence se déroulait au sein d'une nature mal apprivoisée, qui voyaient dépérir leur cheptel par le fait d'épizooties aussi soudaines qu'impitoyables, sans parler des redoutables épidémies qui à l'occasion décimait leurs propres rang... !

    Que faisait-on naguère, lorsqu'il n'y avait ni médecin, ni hôpital à des km à la ronde et qu'on était affligé d'une taie sur l'oeil, d'une rage de dents ou d'un furoncle mal placé ?

    C'est alors qu'entraient en scène les ressources infinies de la médecine populaire, à savoir le recours à des procédés thérapeutiques, étrangers certes à la pharmacopée officielle, mais néanmoins réputés capable de guérir - ou mieux encore, de prévenir - la maladie ou d'apaiser la souffrance.

    Pour parer au plus pressé, pour atténuer ou faire cesser la douleur, les Belges d'autrefois puisaient en premier lieu dans l'immense trésor des remèdes domestiques, lesquels présentaient l'avantage insigne d'être disponible dans l'environnement immédiat. On étendait salive ou blanc d'oeuf sur les piqûres d'insectes, on enserrait le membre malade dans une peau d'anguille, on plaçait une clé froide dans le dos de l'enfant qui saignait du nez, ou encore on urinait sur les engelures pour en hâter la guérison..

      Mais si d'aventure ces "remèdes de bonne femme" ne produisaient pas l'effet espéré, la tentation était grande de s'adresser aux rebouteux ambulants, à ces charlatans qui, de foire en kermesse, de ducasse en marché, écoulaient d'étonnantes poudres, pommades et potions dont ils vantaient l’efficacité à grand renfort de cris et de roulements de tambour.

    Il n'empêche que la grande majorité de nos devanciers croyaient obtenir une guérison rapide et plus durable en s'adressant par la prière à un élu de Dieu ou en accomplissant un pèlerinage. Il existait un "bienheureux" thérapeute pour quasi chaque affection, du rhumatisme à la stérilité, de l'insomnie aux convulsions des enfants. Quelquefois, le choix du saint était plaisamment déterminé par un jeu de mots ou une compréhension fallacieuse de son nom. Ainsi saint Ignace (tignasse) était tout indiqué pour les affections du cuir chevelu, tandis que saint Eutrope (qui entend trop : "ôt trop" en wallon" s'imposait d'évidence pour les maux d’oreille...

    Gardons-nous cependant d'abuser de l'imparfait, puisque ce que nous narrons ici est toujours d'actualité, à une époque où le calendrier liturgique a cependant subi quelques coupes sombres et où certains saints et saintes thaumaturges ont perdu leur auréole. De nos jours encore, nombre de nos compatriotes se plient, l'espoir chevillé au cœur, aux antiques prescriptions rituelles et partent en pèlerinage seuls ou en groupe, de nuit comme de jour, à jeun ou en restant muets...

    Sur place, ils feront plusieurs fois le tour de l'église ou de la châsse, brûleront cierges et bougies et déposeront leur offrande en récitant les prières convenues. Le mal une fois jugulé, il sera bon de faire au saint tutélaire l'hommage d'un ex-voto. Aujourd'hui, de sombres plaquettes de marbre remplacent aux murs des églises les béquilles, prothèses et simulacres d'organes malades de jadis.

    De ce parcours d'espérance, les pèlerins ramèneront des médailles bénites ou un objet de piété destiné à prendre place sur la cheminée du salon.

    Cependant, vers qui se tournaient les affligés, si l'intercession du saint n'apportait pas le réconfort attendu ? Qu'y avait-il lieu de tenter si les sorcières et magiciens s'ingéniaient malignement à priver votre foyer de progéniture ou empêchaient vos enfants de pousser normalement ? Il arrivait en effet que le prêtre de la paroisse ou les bon pères du couvent voisin fussent impuissants à conjurer le mauvais sort par leurs exorcismes.

    Face à d'aussi pernicieux envoûtements, il ne restait plus qu'à recourir à la contre-magie. Fermement convaincu de la réalité de l'emprise des forces maléfiques, les tourmentés se décidaient alors à aller discrètement conter leur infortune à un défaiseur de sorts, mal famé certes, mais qui n'en possédait pas moins un mystérieux grimoire ou une formule incantatoire remontant à la nuit des temps.

    De nos jours, les folkloristes ont démontré la logique primitive de cet art de guérir des simples, celui d'autrefois et celui qui survit sous le masque de notre civilisation technicienne. Ces chercheurs ont mis en lumière l'omniprésence de la "règle des semblables" selon laquelle il est indispensable qu'une certaine analogie existe entre le mal et son remède. Et voilà justifiés, par exemple,l'emploi du safran ou d'un jaune d’œuf contre la jaunisse ou le pèlerinage à saint-Cloud... pour les furoncles ou clous.

    S'il faut croire le second grand principe de la médecine populaire, tout l'art consiste à "transférer" son malaise à un objet, un animal ou une plante. Ainsi, votre matou familier "prenait" vos rhumatismes s'il dormait près de vous ; et le tilleul, votre rage de dents lorsque vous y plantiez le clou qui avait touché votre dolente mâchoire...

    Il serait trop facile de jouer ici les esprits forts et de s'étonner de ce que nos ancêtres ne paraissaient pas s'émouvoir du caractère aléatoire de nombreux procédés thérapeutiques. D'abord, il pouvait advenir que la guérison survînt spontanément, et on en créditait alors tel ou tel remède ou le médicastre qui avait été consulté.

    D'autre part, des coïncidences favorables se produisaient à l'occasion et, même si le mal persistait, nos frustes ancêtres préféraient se battre la coulpe et s'en remettre au destin. Ils présumaient sans doute avoir commis quelque erreur dans l'application des pratiques traditionnelles dont la validité, restée intacte à leurs yeux, ne manquerait pas de se révéler pleinement une prochaine fois...

    Certains guérisseurs jouiront autrefois d'une notoriété incroyable. Ainsi le waeslandien Andries De Clerck au milieu du XIXè siècle. Ses talents, réels ou supposés, ne l'empêchèrent pourtant pas de succomber lors d'une épidémie... à l'âge de 26 ans.

     

     

     

     


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