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La civilisation disparue d'Alésia*
Entre autres étrangetés, Guichard distingua aussi dans le réseau de toponyme de la région d'Alaise, dans le Jura français, un système basé sur les points solsticiaux, c'est-à-dire la direction du lever et du coucher de soleil au début de l'hiver et de l'été. Système dont le centre serait cette fois le village de Myon, à l'ouest d'Alaise.
Aussi remarquable que soit la vue panoramique que l'on découvre depuis le sommet du mot Poupet, elle ne permet pas cependant d'explorer un cercle complet d'horizon. Le point du coucher du soleil notamment est masqué. A Myon, en revanche, du haut d'une petite colline, on distingue parfaitement les points solsticiaux du lever et du coucher du soleil, tandis qu'au sud, la vue est arrêtée par le mont Poupet.
Le mont Myon
Toujours en ce qui concerne Myon, Guichard fit une autre constatation non moins étonnantes : les distances séparant ce village de la plupart des localités au nom dérivé d'Alaise représentaient toujours un multiple exact de dix stades grecs. Rappelons que, dans la Grèce ancienne, ce même nom de stade désignait en réalité six unités de longueur différentes ; le stade pris ici en considération équivaut environ à 1 850 m.
Guichard releva en tout 90 noms de lieux répondant à ces conditions particulières. Citons entre autres Alija en Espagne, Alijo et Milheros au Portugal et Caliso en Italie. On aurait pu s'attendre à ce que Meilen, en Suisse, entrât également dans ce système, mais la distance séparant cette bourgade de Myon dépasse les 110 stades. L'on découvrit alors un site néolithique proche, immergé dans les eaux du lac de Zurich, qui, lui, remplissait exactement les conditions voulues.
Nous pouvons ainsi nous figurer les anciens habitants de l'Europe établissant un relevé topographique de leur région du haut de l'un des meilleurs observatoires naturels de l'est de la France et désignant par des toponymes significatifs les principaux repères des grands axes directionnels. Prenant alors conscience de l'importance des points solsticiaux, ils se déplacèrent un peu plus à l'ouest pour ces nouvelles observations (à Myon), vers un point où les lever et les couchers du soleil au solstices étaient mieux visibles. De là datent sans doute les premières études astronomiques véritables.
Rose des vent - Sphère de Ptolémée
Toutefois, des cartes astronomiques basées sur le système de la rose des vents devaient se révéler rapidement imparfaites et insuffisantes : en effet, plus on s'éloigne du centre et plus vastes sont les zones comprises entre les axes directionnels. D'où la difficulté de déterminer avec précision la position d'un point donné. Pour palier ces inconvénients, il devient nécessaire d'élaborer un système plus complet et moins aléatoire de mesures terrestre. Si l'on en croit Guichard, un tel système, qui fait intervenir les premières notions de latitude et de longitude, avait déjà été mis au point par les anciens habitants de cette région d'Alaise.
Le premier système cartographique basé sur les latitudes et les longitudes est généralement attribués aux Grecs, qui situèrent tout d'abord le méridien de départ au niveau de l'île de Rhodes, avant de le déporter plus à l'ouest aux environs des îles Fortunées (les Canaries actuelles). Selon la plupart des sources historiques, c'est Ptolémée qui aurait effectué les premiers calculs de longitude, au moment de l'équinoxe, à Assouan, en Egypte. Mais il fallut attendre la mise au point de chronomètres suffisamment précis, quelques 1 500 ans plus tard, pour que ces calculs puissent prétendre à une exactitude satisfaisante.
Le réseau de méridiens reconstitué par Guichard, avec Alaise comme point de départ, fait état d'une erreur de l'ordre de 1 degré environ, marge plus que raisonnable si l'on songe à toutes les difficultés inhérentes à la technologie encore rudimentaire des anciens Européens.
Guichard n'avait apparemment pas eu connaissance des travaux parallèles de deux de ses contemporains : l'Anglais Alfred Watkins et l'Allemand Wilhem Teudt. Les trois savants , à partir de bases différentes, arrivèrent pratiquement aux même conclusions. Ils avaient acquis la conviction que leur pays respectif était parcouru par un réseau de lignes topographiques significatives reliant entre eux des toponymes similaires, et tous deux pensaient que la présence de gisements salins constituait la clé de toutes ces appellations analogues.
Il est regrettable que les travaux de Guichard, un peu académiques certes, mais solidement documentés et riches d’hypothèses intéressantes, aient été à ce point ignoré de ses contemporains. Aucun des éditeurs de l'époque n'en envisagea la publication, et la seule édition dont nous disposons est due au soutien désintéressé de quelques amis de l'auteur. Pourtant cette oeuvre prend un intérêt significatif et revêt une actualité nouvelle à la lumière de travaux récents.
Les nombreux ouvrages du professeur Alaxander Thom, de l'université d'Oxford, auteur notamment de Megalithic Lunar Observatories, ou les études d'autres savants à propos des principaux sites mégalithiques, tendent à prouver que les mathématiques et l'astronomie ont connu un remarquable développement chez les anciennes civilisations du nord de l'Europe, et ce, plus d'un millénaire avant Pythagore. Il est maintenant établi que les célèbres alignement de Carnac, en Bretagne, sont beaucoup plus anciens que le site homonyme de Karnak en Egypte.
Carnac
De quel savoir mystérieux ont puisé les bâtisseurs des grands alignements mégalithiques et quelles règles secrètes ont présidé à leur disposition ? A mesure qu'il poursuivait ses travaux, Guichard acquis la conviction que les anciens peuples européens avaient été les détenteurs d'un savoir extrêmement complexe et étendu, les maîtres d'une civilisation brillantes, détruite par la suite et réduite à quelques vestiges. De cette civilisation, il dressa un tableau vigoureux et cohérent.
D'après lui, les connaissances étaient conservées et transmises par diverses sociétés secrètes ; après la cérémonie initiatique, les membres de cette société devaient accomplir un noviciat dont la durée pouvait atteindre une vingtaine d'années.
L'influence religieuse prédominante était celle d'une déesse mère, symbole de fécondité et de prospérité.
Cette civilisation aurait été en partie anéantie par les invasions barbares venues de l'est, et notamment par les vagues successives des envahisseurs celtes. Toutefois des bribes de l'ancienne tradition survécurent dans des zones isolées ou bien délimitées : tel fut le cas des collèges druidiques de Bretagne, qui subsistèrent jusqu'à l'époque romaine ; en Italie, les vestiges de cette culture ancienne donnèrent naissance à la civilisation étrusque ; en Grèce, aux environs du Ve siècle avant notre ère, on assista à un remarquable développement des arts et des sciences, que Guichard attribue en partie au fait que les Grecs consignèrent par écrit ce qui subsistait des enseignement des civilisations précédentes.
Déméter
La moins controversée des théories de Guichard est celle qui a trait au culte universellement répandu d'une déesse-mère, considérée tantôt comme un symbole de fécondité, tantôt comme la divinisation de la Nature. Guichard cite plusieurs exemples de ce culte, pris aussi bien dans l'ancienne Troie qu'au Danemark, au Portugal qu'en France. Les travaux ultérieurs de nombreux auteurs ont contribué à établir l'existence de cette déesse mère universelle. On trouve son image dans les vestiges des temples de l'île de Malte, temples construits, pense-t-on, aux alentours de l'an 2500 avant notre ère et qui seraient ainsi les plus anciennes constructions connues.
On la retrouve également dans certaines sépultures d'Angleterre, tout aussi anciennes. Plusieurs archéologues, comme le professeur Glob, au Danemark, estiment que les motifs en forme de coupe, particulièrement abondants dans les peintures rupestres, seraient une représentation symbolique de ce culte de fécondité. En Grèce, cette divinité était souvent révérée sous le nom de Déméter.
Déméter, fille de Cronos, dites Mère des blés, ou Terre féconde qui donne les blés, était considérée par les Grecs comme un symbole de vie et d’immortalité. Sa fille, Coré, ayant été enlevée par Hadès, Déméter erra de par le monde à sa recherche jusqu'à ce que Zeus ordonnât à Hadès de rendre six mois par an Coré à sa mère. Au cours de son triste périple, Déméter fut accueillie avec compassion par le peuple d'Eleusis, auquel elle enseigna en retour l'art de l'agriculture. Dans un hymne religieux datant de l'époque homérique, la déesse déclare : " J'ai moi-même réglé les mystères de ces cérémonies que vous célébrez après moi. Ainsi gagnez-vous mes bénédictions. "
Caverne de Pluton à Eleusis
Avec le culte de la déesse mère, on vit naître la croyance de la survie dans l'au-delà, qui s'accompagna de rites funéraire très élaborés. Dans une autre invocation de la même époque, on peut entendre : " Heureux ceux qui ont été initiés à de tels mystères, car ceux qui les ont ignorés ne connaîtront pas la vie après la mort. "
Les sépultures mégalithiques attestent de la similitude des coutumes funéraire à travers toute l'Europe. Guichard estimait que ces anciennes pratiques avaient leur survivance dans les cérémonies célébrée à Eleusis. Cérémonies aux rites immuables pendant plus de douze siècles, si l'on en croit les premiers témoignages écrits qui nous sont restés.
Par les mystères d'Eleusis, nous touchons à un étrange secret : celui des routes de sel de la protohistoire européenne. Un secret que redécouvrent aujourd'hui plusieurs universitaires...
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