• L'énigme de Kaspar Hauser*

     

    En ce début du XIXè siècle, Nuremberg, paisiblement endormie dans ses remparts, a bien oublié son ancienne splendeur médiévale. Il est loin le temps où les Hohenzollern étendaient leur main de fer sur la cité depuis leur imposante forteresse qui domine les vieux quartiers. Et il faudra attendre encore un bon quart de siècle pour que la révolution industrielle vienne secouer la torpeur de la deuxième ville du bucolique Etat de Bavière.

    Cette ville tranquille, qui incarne si bien l'Allemagne provinciale, va cependant être le théâtre d'étranges événements, qui vont passionner l'Europe entière. Mais revenons en ce dimanche de Pentecôte du 26 mai 1828.

    Ce matin là, un cordonnier qui effectue sa promenade aperçoit, alors qu'il passe par la place Unschlitt, un jeune garçon qui avance en titubant sur la chaussée ; il paraît âgé d'environ 17 ans et ne semble pas avoir conscience du monde environnant. Pensant que le jeune homme est souffrant, le cordonnier s'approche et lui demande s'il peut l'aider en quelque chose. Le garçon balbutie une réponse inintelligible, mais son interlocuteur constate alors qu'il tient dans sa main gauche une enveloppe adressée au capitaine du 4ème escadron du 6ème régiment de cavalerie. De plus en plus intrigué, le serviable artisan conduit alors son protégé au logis du capitaine, en guidant ses pas chancelants.

    Le capitaine est absent, mais son ordonnance fait entrer les visiteurs et leur offre des rafraîchissement. Fascinés, le soldat et le cordonnier ne quittent pas des yeux le jeune garçon qui se jette avidement sur le pain et l'eau, mais s'écarte avec répugnance de la viande froide et de la bière. Au retour du capitaine, le jeune homme s'anime quelque peu à la vue de l'uniforme et de l'épée, qui semblent le plonger dans un ravissement puéril, et il répété sans arrêt les quelques mots qui constituent apparemment tout son vocabulaire : " Veux être soldat comme mon père " et " Cheval, cheval "

    La fameuse enveloppe contient deux lettres. L'une est un simple billet, censé avoir été remis en 1812 par la mère du garçon à l'homme à qui elle l'avait confié. Il est écrit en lettres latines et ne comporte aucun signe de ponctuation : 

    L'ENFANT EST DÉJÀ BAPTISE
    IL S'APPELLE KASPAR
    UN NOM DE FAMILLE VOUS LE LUI
    DONNEREZ VOUS MÊME
    SI VOUS L’ÉLEVEZ SON PÈRE
    A ÉTÉ UN CHEVAU-LEGER
    QUAND IL AURA DIX-SEPT ANS
    ENVOYEZ LE A NUREMBERG
    AU 6è RÉGIMENT DE CHEVAU-LEGERS
    LA AUSSI SON PÈRE A ÉTÉ 
    JE VOUS PRIE DE L’ÉLEVER JUSQU’À
    DIX_SEPT ANS
    IL EST NE UN 30 AVRIL
    DE L’ANNÉE 1812
    PAUVRE FILLE JE NE PUIS 
    PAS NOURRIR L'ENFANT 
    SON PÈRE EST MORT

    La seconde lettre, non signée, est écrite en caractère gothiques avec d'assez nombreuses fautes d'orthographe et de grammaire et est supposée avoir été écrite en 1828 par l'homme qui a amené Kaspar à Nuremberg.

    1828
    Au très noble capitaine de cavalerie
    J'envoie à vous un garçon qui aimerait servir fidèlement son roi comme il l'a demandé. Ce garçon fut déposé à ma porte, en 1812, le 7 octobre, et je suis moi-même un pauvre journalier. J'ai aussi dix enfants à moi et sa mère ne m'a laissé l'enfant que pour son éducation, mais je n'ai pas pu questionner sa mère et jusqu'à maintenant je n'ai encore rien dit au tribunal qu le garçon m'a été déposé. Je me suis dit comme ça qu'il fallait que je fasse comme si c'était mon fils. Je l'ai élevé dans la religion chrétienne et depuis 1812 je ne l'ai pas laissé faire un pas en dehors de la maison pour que personne ne sache où il est élevé et lui-même ne sait rien de comment s'appelle ma maison ni du village, vous le lui pouvez toujours demander mais il ne peut pas vous le dire. A lire et à écrire je lui ai appris et il sait écrire mon écriture comme moi, et quand on lui demande ce qu'il veut être plus tard il dit qu'il veut être un chevau-léger comme son père l'a été et aussi s'il avait des parents, mais il n'en a pas eu, qu'il veut devenir un garçon savant, oui ! Vous n'avez qu'à lui montrer quelque chose, il le sait déjà. 

    Je l'ai seulement conduit jusqu'au nouveau marché et là il a su aller vous trouver tout seul. Je lui ai dit que si il devient un soldat je viens tout de suite et je lui cherche sa maison sinon j'aurais dû l'amener autour de mon cou.

    Très honoré Monsieur le capitaine vous ne devez pas du tout le maltraiter car il ne sait pas mon endroit où je suis, je l'ai conduit en plein milieu de la nuit et il ne sait plus où est la maison.

    Je vous présente mes respects. Je ne fais pas connaître mon nom car je pourrais être puni. 

    Et il n'a pas d'argent sur lui, et comme je n'ai rien moi-même si vous ne le gardez pas, vous devez le dresser ou le pendre dans la cheminée.

    (Sans signature)

    Le capitaine presse de questions, mais n'obtient que des réponses incompréhensibles. Il finit par déclarer que le garçon est idiot, ou bien qu'il s'est maintenu dans un incroyable état de primitivité et décide de le conduire au poste de police en tant qu'enfant trouvé. Là, interrogé à nouveau, Kaspar dévide les même bribes de phrases informes et sibyllines. Ne sachant qu'en faire, les policiers le logent dans une des cellules afin d'observer son comportement.

    Le jeune homme semble passablement vigoureux et l'un des officiers de police note que son teint, " loin d'être pâle et délicat, présente au contraire les couleurs de la santé ". Les mains de l'adolescent sont dépourvues de toute callosité, de même que ses pieds, qui sont par ailleurs écorchés et couverts d'ampoules. Aucune des pièces du costume ne peut fournir le moindre indice quant à son lieu ou sa famille d'origine : une paire de bottes bâillant aux coutures et grossièrement renforcées de clous et de fers à cheval, une culotte qui tombe en loques, une veste apparemment coupée dans une vieille redingote et un chapeau.

    Le geôlier constate bientôt les étranges habitudes de son nouveau pensionnaire : " Il pouvait rester assis des heures entières, sans bouger d'un pouce. Il n'arpentait pas le plancher. Il n'essayait pas de dormir. Non, il restait assis là, tout raide, sans même essayer de trouver une position moins inconfortable. De plus, il semblait préférer l'obscurité à la lumière et se déplaçait dans le noir avec autant d'aisance qu'un chat. "

    Un médecin est appelé, à qui l'on fait examiner Kaspar. Selon lui, cette curieuse propension à l'immobilité serait due à une formation des articulations des genoux. Cette déformation, pense-t-il, viendrait de ce que le garçon, dans son jeune âge, serait resté presque constamment assis, les jambe étendue devant lui, ce qui pourrait expliquer sa démarche incertaine et vacillante. Le patricien, toutefois, est formel : cet être n'est ni fou ni idiot, mais il a été monstrueusement privé de soins les plus élémentaire et les plus nécessaires au développement de sa personnalité, sur le plan tant individuel que social.

    Quelqu'un a alors l'idée de mettre entre les mains de Kaspar une feuille de papier et un crayon. Les résultats sont surprenants. Il couvre bientôt la feuille de lettres au tracé enfantin, formant toujours les trois même mots : Reiter (cavalier) et Kaspar Hauser. On en déduit donc que le nom du garçon est Kaspar Hauser et, bien qu'il refuse tout d'abord d'y répondre, c'est ainsi qu'on l'appellera désormais.

     

     

     

     


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