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Kaspar Hauser - Le personnage*
Qui était cet étrange jeune homme, apparu pour la première fois à Nuremberg le 26 mai 1828 ? Immobile au milieu de la grand-place, dans un état de saleté repoussant, il tenait à la main une lettre. Était-il fou ou imposteur ?
Kaspar Hauser ne tarde pas à devenir une célébrité et il est le principal sujet de conversation de la petite ville provinciale. Une foule de curieux s'attroupe devant sa cellule pour le voir manger, dormir ou satisfaire ses besoins naturels sans que cela paraisse le gêner le moins du monde. L'un des policiers lui ayant fait cadeau d'un petit cheval de bois, il s'en montre tellement ravi que ses nouveau amis lui en offrent aussitôt une demi-douzaine. Avec un tel afflux de visiteurs, Kaspar va très vite enrichir son vocabulaire.
Au bout de quelques semaines, il est capable d'entreprendre une relation sommaire de sa vie passée devant les édiles de la ville. Il ignore qui il est et d'où il vient, n'étant véritablement " venu au monde " qu'en ce jour de Pentecôte 1828, à Nuremberg. Plus tard, il entreprendra d'écrire un petit essai autobiographique où il tentera de rappeler ses plus anciens souvenirs.
Du plus loin qu'il se rappelle, il a toujours vécu dans une sorte de trou, assis sur de la paille :
" J'étais enfermé et je n'avais jamais vu un être humain. J'avais deux chevaux de bois et un chien et je jouais tout le temps avec eux, mais je ne peux pas dire si c'était tout le temps que je jouais ou pendant une semaine : je ne savais pas ce qu'étaient une journée et une semaine. Pour les vêtements que je portais, c'était un pantalon court et des bretelles noires, et une chemise, mais le pantalon et les bretelles,je les avais directement sur le corps ; et la chemise à part ça et le pantalon étaient déchirés derrière pour que je puisse faire mes besoins naturels. Je ne pouvais pas bien sûr enlever mon pantalon puisque personne me l'a appris..." Quand je me réveillais, là le pain et l'eau étaient près de moi, c'est comme ça que je commençais, que je buvais de l'eau et qu'après je mangeais un peu de pain, jusqu'à ce que je n'aie plus faim. Après je buvais le reste de l'eau. Là je commence à jouer, après j'enlève mes bretelles. Là il me fallait beaucoup de temps pour nettoyer un cheval ; quand un des chevaux était nettoyé, à ce moment, je mangeais encore un peu de pain ; et là j'avais encore un peu d'eau et je la buvais en entier, et après je faisais la deuxième toilette et ça me prenait encore beaucoup de temps, comme pour la première. Après j'avais très faim ; ensuite, je mangeais un peu de pain et j'aurais bien aussi bu de l'eau, mais là il n'en restait plus. Alors je reprenais dix fois la cruche dans la main et je voulais boire, mais je ne trouvais jamais d'eau dedans ; parce que je croyais que l'eau venait toute seule. "
Lorsque Kaspar leur fait ce récit, où il évoque encore les rares événements marquants de sa monotone existence, les notables de Nuremberg décident alors de le publier, sous une forme remaniée, à la troisième personne, dans un petit fascicule officiel pompeusement intitulé Bulletin Un, consacré à celui qu'ils appelaient " l'enfant de Nuremberg" : " Parfois, en s'éveillant, il s'apercevait qu'il portait une chemise propre ; il n'avait jamais vu le visage de l'homme qui venait ainsi... Il n'était jamais malade, jamais malheureux dans son trou...
" Un jour l'homme pénétra dans son réduit et y dressa une table. Sur cette table était étalé quelques chose de blanc, sur lequel il traça des signes noirs au moyen d'un crayon qu'il prit entre ses doigts. L'homme recommença ainsi plusieurs fois et lorsqu'il fut parti, Kaspar essaya de l'imiter. A la fin, l'homme lui appris à tenir debout et à marcher et puis il l'emmena hors de son trou. De ce qui arriva ensuite, Kaspar n'a que des notions confuses, jusqu'à ce moment où il se retrouva seul sur la place de Nuremberg, une lettre à la main. "
Dès la parution de ce bulletin, la célébrité de Kaspar va franchir les limites de la ville. On voit aussi les premiers sceptiques se manifester : le jeune homme n'est-il pas un habile simulateur ? Comment expliquer autrement son singulier manque de curiosité envers l'homme qui le visitait dans sa tanière ? N'avait-il vraiment pas pu entrevoir une seule fois son visage en l'espace de seize ans ?A cette objection, les âmes romanesques répondent que le mystérieux gardien devait être masqué.
De là à insinuer que Kaspar serait en réalité le fils illégitime de quelques aristocrate, il n'y avait qu'un pas. Voilà qui expliquerait que l'on ait tenu l'enfant soigneusement caché aux yeux du monde afin d'éviter un terrible scandale et que l'on ait ensuite libéré l'adolescent à un âge où son identité ne risquait plus d'être découverte. Et elle ne le fut effectivement jamais : aucune des enquêtes approfondies menées par la police aux environs de Nuremberg ne permit de découvrir la moindre trace des origines de Kaspar, et la piste fournie par le 6è régiment de cavalerie ne mena nulle part.
Afin de subvenir aux besoins du jeune garçon, sa ville adoptive l'expose pendant quelques temps dans une baraque foraine, comme une bête curieuse devant qui défile toute la population. Puis les autorités municipales décident de le confier aux bons soins du professeur George Friedrich Daumer. Avec une patience et une bonté inégalables, ce philosophe et pédagogue distingué allait s’efforcer de combler les effrayantes lacunes de l'éducation de son nouveau protégé.
Pour daumer, Kaspar est aussi un sujet d'expérience idéal, en ce qu'il représente un parfait exemple
d'enfant " sauvage ", dont le développement s'est accompli hors de tout contact humain et sans aucune influence sociale. A l'époque, les savants se passionnent en effet pour les êtres dits primitifs et naturels, aussi Daumer notera-t-il soigneusement toutes les réactions de son pensionnaire.A cet égard, il considérera comme un indice certain de primitivité ses sens extraordinairement développés. Non seulement son ouïe est particulièrement fine, mais il a encore la faculté de voir parfaitement dans l'obscurité, au point qu'il lui faudra un certain temps pour s'habituer à une lumière vive. Mais, par-dessus tout, il est doté d'un remarquable odorat : il est ainsi capable de suivre un animal à la trace, de même qu'il peut identifier les êtres humains à leur odeur. Il est même capable de reconnaître les différentes essences forestières à la senteur de leurs feuilles. Daumer note encore que Kaspar n'a pas la moindre notion des réalités matérielles les plus évidentes, ni le moindre rudiment des lois physiques élémentaires qui gouvernent notre univers quotidien. Il semble incapable de faire une quelconque distinction entre les organismes vivants et les objets inanimés : persuadé que l'horloge, avec son tic-tac familier, est un être vivant, il refuse obstinément de s'en approcher. Lorsqu'on le place devant un miroir, il regarde indistinctement derrière pour apercevoir celui qui y est caché. De même, il tente de se saisir de la flamme qu'il aperçoit au-dessus de la chandelle, sans comprendre pourquoi il se brûle. Quant aux animaux et aux objets, il leur prête les même réactions qu'aux humains, et il pense que les balles rebondissent parce qu'elles se sente d'humeur folâtre...
Kaspar n'a cependant pas l'esprit obtus, loin de là, et il apprend facilement. Daumer est un excellent éducateur et il obtient des résultats remarquables avec cet élève hors du commun. Le jeune homme se révèle donc intelligent, et de plus, il est servi par une remarquable mémoire visuelle, rarement prise en défaut. Il apprend ainsi très vite à lire, à écrire, à améliorer son élocution, à raisonner et même, à dessiner, si l'on en croit certains croquis assez bien venus qu'il nous a laissés.
Kaspar Hauser allait bientôt devenir la coqueluche de la bonne société...
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