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H. P. Lovecraft
Pauvre, Howard Philip Lovecraft l'était plus qu'il n'est décent dans la petite bourgeoisie américaine, dont il méprisait le précepte fondamental : travailler pour vivre, s'enrichir et acquérir une position sociale. Il se voulait avant tout " artiste créateur ".
Il était seul, aussi, volontairement retiré à la fin de sa vie dans sa maison familial de Providence, loin d'un monde qu'il jugeait insupportablement vulgaire et qui n’apparaît pratiquement pas dans son œuvre : l'Amérique des années vingt et trente.
A plusieurs reprises, pour faire gagner de l'argent à celui qu'ils trouvaient génial, les amis de Lovecraft ont tenté de lui faire écrire des nouvelles plus " alimentaires ", qu'ils avaient vendues à l'un des nombreux magazines de lecture populaires de l'époque.
Chaque fois, Lovecraft avait le chic pour stupéfier les rédacteurs en chef par sa profonde méconnaissance des choses et des gens de son temps. Il était " d'ailleurs ". C'est le titre d'une de ses plus célèbres nouvelles :Je suis d'ailleurs. Son domaine, c'était le fantastique. Un fantastique des plus absolus, celui qui sait entraîner ses lecteurs dans le monde des rêves, des légendes cosmiques. Au-delà même, comme il l'a écrit dans Démons et merveilles " du rayon d'action de l'imagination ".
Restée ignorée et pratiquement inédite de son vivant, forte d'à peine deux ou trois milliers de pages, l'œuvre de Lovecraft n'en pend pas moins une dimension qui la classe incontestablement parmi les plus grands monuments de la littérature fantastique de tous les temps.
Enfant rêveur, fragile et renfermé, le jeune Lovecraft se plonge très tôt dans les reliures de vieux cuir de la bibliothèque familiale. Il s'intéresse à l'astronomie, une passion qui le conduira vite au fantastique.
" A sept ans, a-t-il confié dans une lettre, j'ai rencontré Poe qui fixa mon goût pour toujours, mon écriture et le choix de mes sujets. "
A treize ans, il écrit son premier conte, La Bête de la caverne.En 1914, c'est un jeune homme à la fois complètement introverti et très fier de lui qui adhère à l'Unided Amateur Press Association, où il noue des liens d'amitié avec ses futures amis et admirateurs.
Avant tout, il se pose comme " exilé intérieur ", être d'élite d'un autre temps, égaré parmi nous. Comme pour mieux restreindre ses contacts sociaux, il vit la nuit et dors le jour.C'est à ce moment qu'il rêve et qu'il bâtit la terrible cosmogonie fantastique que l'on retrouvera dans toute son œuvre.
Dès la publication de ses premiers textes, un des plus étranges univers jamais imaginés par un écrivain s'impose. On y retrouve des échos des vieux mythes fondateurs de la culture européenne, mêlés à des méditations plus personnelles sur la destinée de l'humanité, qu'il voue à n'être plus le jouet de divinités plus anciennes que la vie.Dans le panthéon infernal, on trouve :
Cthulhu " celui qui viendra des Abysse d'Océan " et " seigneur de R'lyeh" la cité engloutie d'avant les hommes ;
Shub-Niggurath, " la chèvre noire aux mille chevreaux " ;
Nyarlathotep, le " chaos rampant " et" hurleur de la nuit ;
Yogsothoth, " le Tout-en-un et Un-en-tout ''....Cette démonologie, que l'écriture classique et volontaire allusive de Lovecraft rend terriblement présente, ne serait rien sans le passé qui l'explique. Ce passé où grouillent les extra-terrestres non humanoïdes : les Anciens, les hordes de Cthulhu ou les Mi Go venus de Yuggoth.
Ce passé où se sont affrontés les êtres de la Grande Race, venue de Yith, cette planète située au-delà même de l'inconnu.Contre ces forces implacables, les hommes sont désarmés. Certains se font les complices de la menace. Les hybrides, d'abord qui témoignent de
" culte hideux " venu d'au-delà du temps, croisement d'humains et de non-humains. Les poètes maudits, ensuite, ont consigné le savoir interdit dans les livres qui " disent " ces mythes préhumains en langage humain :
le Necronomicon de l'Arabe dément Abdul Alhazred, le Livre d'Eibon ou les Manuscrits pnakotiques, qui racontent Tsathohggua, la " chose " batracienne venue de N'Kaï où règnent les ténèbres...Certains de ces livres se trouveraient dans la bibliothèque de l'université Miskatonic d'Arkham, l'une des villes mythiques de la géographie lovecraftienne les plus connues, avec Kadath, la merveilleuse cité couronnée d'étoiles inconnues.
Malheureux en ménage, malheureux en affaires, Lovecraft a dû se résoudre pour vivre à réécrire les nouvelles d'autres écrivains, nouant souvent avec eux de passionnantes correspondances, voire même à servir de " nègre " à des célébrités comme le fameux magiciens Houdini.
Au fil des ans, sa misanthropie s'aggravait et il ne supportait plus ni le froid, ni la simple odeur de cet océan qu'il avait contribué à peuplé de tant de monstres.L'unique volume de ses œuvres publié de son vivant paraîtra en 1936, un an avant sa mort solitaire. Lui-même ne croyait plus à son talent.
Il sera enterré dans le cimetière de Providence où, pourtant, aucune pierre tombale ne porte son nom... Ultime mystère d'une vie d'exil, consacrée à élargir le champ de nos imaginations jusqu'à des mondes situés au-delà des portes du sommeil.
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Commentaires
si il existe une pierre tombale à son nom...