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Des arbres voués à Satan*
L'avènement de la télévision a bouleversé de fond en comble les traditions sociales du monde rural. A l'heure où dans chaque foyer s'allume le petit écran magique, il n'est plus âme qui vive dans les rues des villages et, même lorsque les haies embaument sous le ciel de velours d'un beau soir d'été, les bancs devant les portes demeurent désespérément vides.
Jadis, pourtant, la veillée, qui rassemblait sur le seuil ou autour d'un gros poêle de Louvain parentèle et voisins, constituait la conclusion obligée et attendue de la journée de travail ; et les histoires qu'on y contait, qu'elles fussent merveilleuses, héroïques, amusantes ou franchement sinistres, entretenaient de génération en génération la mémoire collective du terroir.
Chaque saison apportait son lot d'aventures, de potins et de légendes et, quand venait l'instant du coucher , adultes et enfants vivaient par la pensée des voyages lointains qu'ils n’accompliraient jamais et des rencontres qu'ils priaient Dieu de ne pas faire. Le temps de la Toussaint ramenait invariablement les histoires de revenants et de sorcières, et si d'aucuns affirmaient que les premiers n'étaient rien d'autre que des fantômes modelés par la brume d'automne, tous tenaient pour bien réels les maléfices des secondes.
Dans la région d'Audenarde, la peur qu'engendrait la sorcellerie paraît avoir été particulièrement tenace, comme en témoignent ces arbres dits
" à sorcières " vieux géants dont les feuillages tiennent à la brise de bien étranges discours.A Wannegen-Lede se dresse encore le tilleul Saint-Hilaire dont la mauvaise réputation n'est plus à faire, tandis que le carrefour des routes d'Oosterzele-Nederwalm et de Beerlegem-Gavere se signale par la présence oppressante de l'arbre des Saxons.
Une légende raconte qu'en cet endroit eut lieu un sanglant combat entre guerriers saxons et paysans du cru, mais une tradition plus fondée, sans doute, définit le vocable de l'arbre comme calqué sur le patronyme de la puissante faille Sackx dont les propriétés s'étendaient aux alentours.Jusqu'en 1938, une roulotte arrêtée sous l'arbre maudit abrita un ermite, assez téméraire pour vivre sous les branches qui, la nuit, ployaient sous le poids de sorciers joueurs de trompette.
Sans doute devait-il avoir lui-même quelques affinités avec les suppôts de Satan, ce mystérieux solitaire, pour n'en être pas importuné, car les sorciers musiciens avaient la détestable réputation d'attaquer tout être qui s'approchait de leur perchoir. Ils possédaient littéralement le malheureux imprudent, affolant son esprit au point qu'il perdait tout contrôle de soi et errait là où les sorciers l'envoyaient et aussi longtemps qu'ils en avaient le caprice.
Une chapelle fut un jour accrochée au tronc de l'arbre des Saxons. Primitivement destinée à exorciser un endroit investi par les forces du Mal, elle fut détournée de son rôle purificateur par les superstitions des habitants des environs. Des jeunes femmes venaient y réclamer la mort de leur amant infidèle et, de trois coups de marteau, enfonçaient un clou dans l'arbre, juste sous l'image de la Vierge. Les personnes ainsi maudites étaient censées tomber malades et même quelquefois mourir par un phénomène de transfert, la blessure de l'arbre les éprouvant dans leur chair. Ces pratiques d'enclouement " garantissaient à l'arbre une longévité particulière, car bien hardi le menuisier qui eût osé le débiter en planches, entre lesquelles un mort même aurait sans doute refusé de coucher.
Extrait de " La Belgique insolite & mystérieuse "
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