• Les Chats - La réhabilitation*

     

    Les Chats - La réhabilitation

    Objet de persécution et d'hécatombes si féroces pendant près d'un millénaire, on arrive à se demander comment le chat domestique a finalement pu assurer sa survie en Occident. Bien sûr, l'espèce fait montre d'une prolificité extraordinaire. Mais celle-ci n'aurait pas suffit à empêcher sa disparition s'il n'avait pas bénéficié de la sympathie et de la protection de frange de la population.

    Cette bienveillance à l'égard du chat est attestée, par toute une série de légendes, dans lesquelles transparaît une image favorable de l'animal officiellement décrié et démonisé.

    Un conte de Perrault, Le Chat botté, rapporte l'aventure d'un chat qui donne par son intelligence et sa ruse, fortune et gloire à son jeune maître accablé par la misère et le mauvais sort. Cette histoire, et d'autres, insistent sur l'aspect éminemment utile du chat. Derrière les enjolivements nés du merveilleux propre à toute imagination, elles traduisent le bon sens populaire qui, au contraire des théologiens, vit toujours dans le félin domestique le précieux auxiliaire contre les rongeurs et le gardiens sûr des provisions, donc l’artisan sinon de la richesse, du moins du bien-être du foyer.

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    Jusqu'à l'invention contemporaine des raticides chimiques, le chat fut en effet le seul adversaire réellement efficace du rat. Et l'on peut observer d'ailleurs que toutes les périodes de prolifération de cette espèce
    nuisible - avec, comme conséquence pour l'homme, la disette, la famine et les épidémies de peste - correspondent aux époques qui suivent les persécutions et les massacres de chats.

     Le rat brun devient un fléau en Europe aux V et VIe siècle, c'est-à-dire au lendemain de l'interdiction par Théodose des cultes païens, en particulier celui d'Isis, ce qui entraîne les premières exterminations massives de son animal-emblème, le chat. Protégé et vénéré par les Barbares germaniques, celui-ci parvint cependant à juguler le pullulement du rat, porteur de misère et de mort.

    De la mer du Nord à l'Adriatique se développa à prix d'or un commerce de Félidés, qui permit à l'Occident d'échapper en partie aux terribles mortalités de peste ravageant le monde méditerranéen.

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    L'arrivée du rat noir suit de près le siècle de la démonisation du chat.
    Décimés sous la bénédiction papale, les félins domestiques ne peuvent empêcher l'irruption massive et la prolifération généralisée
    de la " mort noir ", la peste en 1348, que le rat véhiculait avec lui et qui coûta à l'Europe en six mois, plus du tiers de sa population !
    Limités en nombre, parce qu'assimilés au Satan des sorcières, les chats ne purent juguler le fléau, et la peste sévit à intervalle réguliers jusqu'au début du XVIIIe siècle, date à laquelle se produisit l'invasion de l'Europe par les rats gris, ou surmulots, qui allaient exterminer leurs frères d'espèces, mais être contaminés aussi auprès d'eux par la peste.

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    Profitant des guerres, des révolutions et surtout de l'absence en quantité suffisante d'un véritable prédateur - on estime le total des Rats européens, à la fin du XVIIIe siècle, à quelques centaines de milliers ! - ils occupèrent les égouts, les caves, les fondations et les murs des maisons, cachettes inexpugnables qu'ils occupent de nos jours encore, innombrables, malgré les campagnes de dératisation.

    Un milieu social, la marine, a échappé aux effets néfastes de la décimation des chats. Superstitieux, les matelots étaient convaincus qu'ils protégeaient le vaisseaux des tempêtes, qu'ils avaient le pouvoir de faire lever le vent lorsque le navire était en panne, qu'ils étaient des talisman et des porte-bonheur. Plus prosaïquement, l'équipage savait aussi qu'eux seuls pouvaient protéger la cargaison et les provisions du bord des ravages des rongeurs. Un décret du Code maritime de Colbert obligeait d'ailleurs, le capitaine de tout bateau de guerre d'en posséder deux en permanence à bord. Toute négligence était considérée comme une faute grave et, jusqu'à la fin du XIXe siècle, les compagnies d'assurances refusaient d'indemniser les armateurs des dommages apportés par les rats à la cargaison si la preuve ne pouvait être faite de la présence effective de chats à bord !

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    Avec les travaux de Pasteur sur l'hygiène, la réhabilitation du félin familier devient désormais complète. Sa propreté naturelle rassure, puis séduit. Il redevient l'animal de compagnie que l'on accepte dans la maison ou dans l'appartement. Sous son masque d'impassibilité et de fière réserve, on redécouvre qu'il est capable de manifester de l'attachement à ceux qui l'aiment. Un fait divers curieux, l'aventure du vieux curé de Jéaumes et de son matou, contribue à le populariser sous cet aspect.

    Un matin, le prêtre en question avait été en effet découvert gisant, inerte, les bras en croix, sur le sol de sa chambre, veillé par son fidèle compagnon qui ronronnait sur son ventre, ne manifestant aucune inquiétude apparente. Ayant diagnostiqué une embolie, le médecin signa l'acte de décès. Mais au moment de la mise en bière, le chat fut pris de fureur et, se jetant toutes griffes dehors sur les employés des pompes funèbres, tentait vainement de les empêcher d'accomplir leur tâche. Furieux devant ce comportement insolite et profitant de l'absence de témoins, ceux-ci eurent l'idée alors d'enfermer la bête dans le cercueil de son maître. Le chat laissa clouer la caisse mortuaire, comme indifférent à ce geste horrible, ne s’intéressant qu'à la personne du bon curé.

    Au moment de la descente du corps dans la fosse, au cimetière, les fidèles, horrifiés, entendirent des miaulement et des coups sourd que l'on frappait de l'intérieur. On ouvrit aussitôt le cercueil et le " cadavre " se dressa de sa tombe, tandis que bondissait, comme une fusée, le chat.
    Grâce à son acuité sensorielle, le chat avait perçu ce qui avait échappé à l'homme de science : que son maître n'était pas mort, mais plongé dans un sommeil cataleptique, lui évitant ainsi d'être enterré vivant.

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    En même temps que croissait considérablement sa population dans les foyers domestiques, par un renversement curieux et subit des valeurs, le chat noir devint même le symbole de la chance, et fut pris notamment pour emblème publicitaire par la Loterie nationale. De plus en plus, les artistes s’intéressèrent à lui, peintres, sculpteurs et écrivains. Mais il demeure, de nos jours encore, bien des préventions à son égard.
    Comme jadis - mais sous une forme pacifique -, l'humanité se partage en deux clans, mus l'un et l'autre d'ailleurs par des sentiments aussi excessifs.
    Fait étranges, la distinction entre ceux qui aiment ou adulent les chats et ceux qui, au contraire, n'éprouvent à leur égard qu'une profonde répulsion ou une peur inexplicable passe au-delà du niveau de culture et de l'intelligence. On rencontre autant de grand hommes - d'imbéciles ou de médiocres également ! - qui l'apprécient ou qui le détestent.

    Les raisons n'ont jamais pu être clairement établies. Peut-être ceux qui adorent les chats sont-ils plus sensibles à la poésie indécise qui s'attache à la nuit. Ils trouvent, en tout cas, dans ce félin, l'image de la beauté qui naît du mouvement, précis, rapide et longiligne, qui n'est pas, il est vrai, sans analogie avec le serpent.

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                                                                                                Extrait de " Inexpliqué " 1981

     

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