• La mémoire des objets*

     

    La mémoire des objets

    17 avril 1981... Dans le bureau du shérif Officier de la Quarante-Septième Rue le lieutenant Pat Newcomb, chargé de l'affaire Lyons...

    Newcomb et ses détectives piétinent depuis plus d'un mois dans leur enquête. La petite Pamela Lyons, âgée de 5 ans et 8 mois, a disparu dans des circonstances mystérieuses. Toutes les recherches se sont soldées par un échec. Il ne s'agit pas d'une histoire de rançon ni d'une vengeance. Les Lyons n'ont que de modestes revenus et on ne leur a pas trouvé d'ennemi.

    Reste l'hypothèse la plus terrible, celle du sadique. C'est la plus probable, mais aucun témoignage de ceux ou celles qui ont vu Pamela pour la dernière fois n'a fourni le moindre élément permettant de remonter la piste du psychopathe qui a enlevé et sans doute assassiné la petite fille.

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    Ce 17 avril, une scène pour le moins insolite se déroule dans le bureau du lieutenant de police. En désespoir de cause, on a convoqué
    Mrs Melinda S..., médium attaché à la célèbre Society for Psychical Research américaine. La jeune femme est assise dans le fauteuil de Newcomb, les yeux clos. Une ride profonde barre son front, dénotant une concentration extrême...

     Elle prend ses longues mains très blanches sur un ours en peluche un peu défraîchi. Celui de Pamela. Le compagnon préféré de l'enfant, sans lequel il lui était impossible de s'endormir. La séance dure depuis déjà trois heures et Mrs S... est toujours silencieuse.

     Soudain, elle se met à parler. De sa voix habituelle, vaguement assourdie peut-être par la fatigue et l'intense effort nerveux qu'elle a fourmi :

    " Je sens comme une odeur de vase et de mazout... C'est de plus en plus fort. Du mazout et de la vase verdâtre plein la bouche... Je vois... trois cent quatre... Oui, c'est bien un quatre, à demi effacé, mais c'est bien un quatre... On ne vient pas souvent par-là. C'est en ruine, abandonné. Dans la vase, il y a des bouts de bois pourris et des ferrailles rouillées qui dépassent. L'une d'elle accroche les vêtements... C'est terrible. Elle est morte. "

    Mrs Melinda S... sort de sa transe. On lui sert un peu de thé corsé avec du brandy. Épuisée, elle s'endort dans le fauteuil de Newcomb.

    Le lieutenant et ses hommes ne perdent pas un instant. Déjà ils ont localisé le dock 304 sur une aire désaffectée du port maritime de New York. Une voiture de police quitte en hâte le bureau de la Quarante-Septième Rue.

    Dans la vase et les détritus du bassin presque asséché, on retrouve le corps de Pamela Lyons. Elle est morte depuis une dizaine de jours. Le petit cadavre a sans doute été jeté à la mer par l'assassin puis roulé par les flots jusqu'à cet endroit désert où une ferraille tordue l'a retenue par la robe en lambeaux...

    La mémoire des objets

    Ce genre d'enquête parapsychologique n'est pas rare aux Etats-Unis. Quand il n'y a plus rien à tenter, la police n'hésite pas à recourir aux services d'un médium, un psychométricien en l’occurrence, c'est-à-dire un sujet capable de remonter la mémoire d'un objet ou de s'en servir de support pour détecter extra sensoriellement la présence de celui ou celle qui le détenait auparavant.

    La psychométrie n'est pas une faculté paranormale aussi connue du grand public que la télépathie, la clairvoyance ou même la télékinésie. Il est vrai qu'elle paraît moins répandue, ou plutôt qu'elle n'a pas fait l'objet d'autant de recherche expérimentales.

    C'est cependant une faculté bien réelle et qui commence à intéresser au plus haut point les spécialistes scientifiques du psi, de même que, comme nous venons de la voir, les policiers, et en général tous ceux dont l'enquête nécessite la mise en oeuvre de toutes les techniques possibles ou imaginables, du moment qu'elles sont performantes.

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    D'emblée, une précision de vocabulaire s'impose.

    Pour les psychologues expérimentaux, le terme psychométrie recouvre un tout autre sens. Le Grand Larousse encyclopédique le définit comme :
    " l'utilisation des mesures pour l'étude des faits psychologiques ".

     Le même dictionnaire précise cependant qu'en métaphysique, le mot psychométrie " sert à désigner le phénomène au cours duquel un médium prend connaissance du contenu d'une personnalité étrangère en manipulant un objet".  

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    Afin d'éviter toute confusion, on a parfois donné à la faculté paranormale d'interroger la mémoire d'un objet ou d'un matériau spécifique le nom de cryptesthésie, inventé en son temps par le docteur Charles Richet.
    Les parapsychologues américains ou soviétiques lui ayant préféré, malgré sa double acception, celui de psychométrique, nous les suivrons en cela, toutes réserves faites, dans le cadre de ce propos.

    Le pouvoir d'utiliser la matière inerte comme vecteur privilégié de la connaissance extrasensorielle remonte à la nuit des temps.

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    Une tablette sumérienne nous enseigne que certains prêtres-médecins au service d'Enlil diagnostiquaient les maux de leurs patients en palpant longuement un vêtement de ces derniers.

    Dans son remarquable ouvrage : La Magie égyptienne, le professeur Lexa rapporte que la pratique de la psychométrie médiumnique était courante dans la vallée du Nil. Dans les temples d'Héliopolis et de Memphis, on apprenait aux néophytes les techniques traditionnelles pour solliciter les souvenirs des objets.

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    " ... Il prend dans sa main la statuette votive. Le visage d'Em-o-Tep qui l'a offerte à la déesse il y a très longtemps lui apparaît. Il voit sa maison et le temple de la déesse tel qu'il était alors. Il voit sa femme au loin et les enfants dans la cour. Le Nil est en basses eaux et il ressent le souffle du désert qui vient jusqu'à la maison de boue d'Em-o-Tep. Il entend celui-ci prier la déesse et lui consacrer la statuette. Le scribe note les
    parole d'Em-o-Tep... Tous sauront désormais, parmi les initiés, à travers la voix muette de la statuette votive qui était le Sage et quels étaient les mots sacrés qu'il ne faut pas manquer d'employer pour prier la déesse afin qu'elle entende et exauce..."

    On utilisait pas toujours, dans l'Egypte ancienne, la psychométrie à des fins aussi spirituelles. Ainsi les pharaons de l'époque ptolémaïque entretenaient-ils à leur cour des sorciers cryptesthésiques pour démasquer les complots dans leur entourage. Ces médiums étaient chargés d'interroger les objets personnels des courtisans approchant tous les jours le dieu-souverain, Pharaon. Ce dernier savait ainsi ou croyait savoir si les flatteurs qui l'entouraient ne participaient pas à quelque complot contre lui, si leurs paroles et intentions étaient sincères, s'il pouvait vraiment se fier à eux...

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     Comme les prêtres égyptiens, les célèbres sorcières de Thessalie diagnostiquaient la maladie par la psychométrie. Il leur suffisait ainsi d'un linge ou d'un objet personnel du patient. On retrouve le même genre d'investigation paranormale dans presque toutes les traditions. Les mages chinois exhumaient des trésors en palpant simplement un objet ayant appartenu à un individu décédé depuis des dizaines, voire des centaines d'années. Les chamans tibétains ou australiens lisaient - et lisent encore - dans la pensée de personnes lointaines d'une manière identique...

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    Cette faculté est loin d'être inconnue en Occident. Tous les grimoires ou presque proposent des techniques et des formules pour la pratiquer. Maître Albert dans ses Grands et Petits Secrets merveilleux , le Dragon rouge, la Poule noire et autres clavicules, indique avec une précision rigoureuse le rituel à mettre en oeuvre. Pour  ces textes relevant de la basse sorcellerie, ont sollicité, à travers l'objet interrogé, un esprit élémentaire qui apporte des réponses, à moins que ce ne soit un défunt contraint par voie de nécromancie à faire des révélations paranormales.

    Si elle ressortit à l'extrasensorialité, la faculté de psychométrie n'a cependant rien de surnaturel.

    On a commencé à l'étudier de manière scientifique vert la fin du siècle dernier. C'est alors l'époque bénie où  magnétisme et hypnose n'effraient pas encore le corps médical français et font l'objet d'expérimentations rigoureuses.

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    Des savants comme Richet ou le colonel de Rochas travaillent avec les plus grands hôpitaux parisiens. Rochas, qui étudie l'évolution des maladies mentales en plaçant ses sujets sous inductions hypnotiques, s'aperçoit que, dans ces conditions, certains d'entre eux acquièrent des pouvoirs paranormaux. Une hébéphrénie devient télépathe. Un homme aux comportements schizoïdes fait preuve d'étonnantes facultés psychokinétiques.

    Un troisième patient, magnétisé et induit, se montre capable de tirer des informations d'un objet quelconque qu'il n'a jamais tenu en main auparavant et dont il n'a jamais vu le propriétaire...

    Toute ces communications tomberont dans l'oubli ou, pis encore, feront l'objet de dénigrements systématiques de la part des générations de savants qui suivront. Pionnière il y a un siècle, la France est aujourd'hui au tout dernier rang pour ce qui est de l'approche scientifique des pouvoirs inconnus de l'Homme.

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    A l'étranger, la psychométrie est, de nos jours, un des talents paranormaux les plus couramment utilisés, et ce, de la manière la plus officielle. Nous avons noté que la police américaine faisait régulièrement appel à des psychromètres de valeur éprouvée pour résoudre certaines énigmes.

    Gérard Croiset a été sans doute l'un des plus grand clairvoyants de ce siècle. La psychométrie était justement un de ses supports favoris. Les autorités hollandaises, allemandes et même celle de Scotland Yard, que l'on ne saurait pourtant taxer de crédulité béate, le convoquaient jusqu'à de deux ou trois fois par mois pour des affaires de meurtre ou de disparition. Rien qu'en touchant psychométriquement un mouchoir ensanglanté, un chapeau, une gourmette ou une clé, il retrouva des dizaines de personnes.

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    Le pouvoir de Croiset a été étudié en particulier par le professeur Tenhaeff.
    Ce savant n'a pu que constater les faits. Le médium entrait mystérieusement en communication avec la " mémoire intime " de l'objet qui lui était soumis. La pièce de tissus ou le létal lui servait de relais entre sa propres sensibilité et le sujet recherché. Il lisait littéralement le message de nature inconnue capté par le matériau. Il le traduisait ensuite sensoriellement avec une précision sans appel.

    Tout homme, reconnaissait-il volontiers, possède quelques part en lui ce fantastique talent. S'il n'est pas généralement pas à même de solliciter, c'est qu'il a enfoui cette faculté sous un amas de fausses certitudes et d'évidences trompeuses. " Trop de parasites ", disait Gérard Croiset quand il ne ressentait rien, sinon la pénible impression d'être redevenu un humain comme les autres..

    C'est-à-dire quelqu'un qui, par sa faute ou celle de son éducation, a tellement perdu sa propre trace qu'il en est parfois rendu à ne plus croire à ses pouvoirs les plus anciens et les plus fondamentaux.

     


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