• Les routes du sel de la France mégalithique*

     

     

    Un adolescent est initié aux mystère d'Elusis, sous la protection des deux déesses du cultes, Perséphone et Déméter

    Liés à des rites venus du fond des âges, les mystères d'Eleusis étaient principalement célébrés à deux époques de l'année, en mars et en septembre. A l'équinoxe de printemps, les petits mystères, qui duraient quatre jours, constituaient une cérémonie préparatoire pour les futurs initiés et avaient lieu à Agra, près d’Athènes, sur les bords de l'Ilissôs. Les grands mystères, célébrés au moment de l’équinoxe d'automne à Eleusis même, duraient en revanche une dizaine de jours. 

    Au cours de ces cérémonies, des objets sacrés étaient promenés en procession d’Athènes à Eleusis, située à quelque 10 stades (18,500 km) de la grande cité. La procession était souvent interminable : bien que les premiers participants quittassent Athènes à l'aube, les derniers, qui n'en partaient qu'au soir, devaient s'éclairer de torches et n'arrivaient à Eleusis qu'au matin suivant. Au cours des siècles, cette route fut jalonnée par les tombeaux de personnages importants. Des rites de purification collectives et des stations dans les grottes sacrées préparaient la grande journée du 21 septembre.

    Les initiés, ou mystes, assistaient, sur les gradins de la grande salle du culte, ou Telestêrion, à la représentation d'un drame sacré évoquant le mystère de Déméter et de Coré et dévoilant la vie dans l'au-delà et les arcanes du monde souterrain des enfers. Certains de ces rites secrets, réservés aux seuls initiés sont encore mal connu aujourd'hui. Il semble qu'au cours de l'une de ces cérémonies, les assistants partageaient des galettes de pain non levé frappées en relief à l’effigie de Déméter.

     

    Perséphone et Hadès

    S'appuyant sur l’existence de nombreuses sources minérales à Eleusis, Guichard, l'homme des "lignes d'Alaise", suggéra que certains des rites pouvaient avoir trait à la conservation des corps dans la saumure, en vue de les rendre imputrescibles avant l'inhumation.

    Nous avons déjà vu qu'il faisait dériver les deux noms d'Eleusis et d'Alaise du même terme hal, signifiant "sel", et nous savons que cet élément minéral joue un grand rôle dans ses théories à propos des toponymes similaires. Lorsqu'il recensa les quelques cinq cents localités apparentées à Alaise, il estima que la plupart de ses noms de lieux remontaient au Néolithique, et les plus récents tous au plus à l'âge du bronze.

    Au Néolithique, c'est-à-dire à une époque qui vit un extraordinaire essor démographique, qui coïncida avec les débuts de l'agriculture et avec le développement de l'élevage, le sel prend une importance capitale. Les besoins alimentaires en sel du chasseur sont couverts par la consommation du gibier abattu, mais l'éleveur doit trouver du sel pour son bétail. L'agriculteur doit s'en procurer pour compléter son alimentation. Cette substance devient indispensable pour la conservation des aliments, condition essentielle d'une existence moins précaire et garante de la survie durant les longs mois improductif d'hivers. Guichard pense même que l'absence de population dans les vastes zones désertiques d'Afrique, d'Asie et d'Australie est due à l'absence totale de sel.

     

    Les ouvrières des mines et des salines, entre Vosges et Jura, XVe et XVIIIe siècle

    D'après Guichard, l'emplacement initial d'Alaise aurait donc été choisi en raison de l'existence des sources salines naturelles de Salins-les-Bains, sources qui, au Moyen Age, apportèrent la prospérité aux seigneurs des lieux. Alésia signifierait ainsi : " où l'on a trouvé du sel " et Guichard insiste sur le fait que tous les autres Alaise ou toponymes similaires sont situés au voisinage de sources minérales et de gisements salins. Ainsi voit-on s'établir un véritable " réseau de sel ",  à une époque où ce minéral représentait un facteur essentiel du passage d'une existence nomade, liée aux aléas de la chasse, à un mode de vie agricole et sédentaire. Plus tard seulement se développèrent les sciences astronomique et topographique, qui permirent de fixer les premiers repaires de mesures géographiques.

    Les théories de Guichard peuvent nous sembler aujourd'hui un peu trop naïves et systématiques. N'oublions pas cependant que nombre de travaux plus récents sont venus confirmer bien des points sur lesquels le philologue français se révéla un précurseur remarquablement clairvoyant. Nous savons par exemple, que beaucoup de sépultures archaïque du nord de l'Europe, qui ont pu apparaître comme des imitations maladroites des célèbres tombeaux mycéniens remontant au XVè siècle avant J-C, sont en réalité antérieures de plusieurs siècles.

    Nous savons que les grands ensembles mégalithiques ont été rédigés bien avant les plus anciens des monuments grecs ou les pyramides égyptiennes. Nous savons aussi que des méthodes de calcul extrêmement sophistiquées ont été élaborées à cette époque : en Bretagne, près de mille ans avant que les rudiments des mathématiques n'aient fait leur apparition en Grèce, cette discipline avait atteint un développement considérable...

     

    Route du sel dans le nord de l'Europe en 1243

    Nous en savons également plus sur les mœurs des populations primitives qu'au début du siècle, époque à laquelle Guichard entreprit ses premiers travaux. De chasseur qu'il était, l'Homme passe généralement par un stade d'éleveur nomade avant de s'établir agriculteur. Le mode de vie nomade subsiste d'ailleurs quelquefois en même temps que la phase agricole : après avoir épuisé les ressources du sol par une culture et un pâturage intensifs, le groupe se déplace vers une nouvelle zone vierge. 

    Certains phénomènes démographiques pourraient effectivement être expliqués par l'abondance et le manque de sel : les hauteurs du Kenya, au climat relativement tempéré mais qui n'offrent aucune source de sel, étaient pratiquement désertes lorsque les premiers Européens s'y sont installés, tandis que la région voisine de la Rift Valley, stérile et torride, était littéralement envahie par les populations nomades et leurs troupeaux, agglutinés autour des nombreux lacs salés. En Ouganda, les eaux lacustres sont beaucoup moins salées et le sel est difficile à trouver à l'état naturel. Dans l'ouest du pays, il existe un lac d'origine volcanique où croissent des roseaux salés ; sur ses rives vit une tribu ayant appris à extraire le sel des plantes aquatiques par un procédé complexe de combustion et de lavage des cendres. Notons que, de toutes les peuplades d'Afrique orientale, cette tribu est la seule qui n'ait pas besoin d'assurer sa subsistance par l'agriculture, l'élevage ou la pêche : elle trouve facilement à troquer toutes les denrées qui lui sont nécessaires contre le précieux sel et mène par conséquent une existence moins laborieuse.

     

    Borne de pierres sèches sur la route du sel  dans la vallée de l'Aiguebrun, en Haute-Provence

    On peut penser de même que le sel a été pour les anciens habitants d'Alaise une source de prospérité et de loisirs qui ont permis le développement des sciences et des connaissances. Après les troubles qui ont ensanglanté le Congo dans les années soixante, le sel était devenu si rare qu'au Katanga l'on échangeait, poids pour poids, sel, gemme et diamants ! 

    Rappelons encore que, depuis les travaux de Guichard, de très nombreux menhirs et d'innombrables peintures rupestres ont été répertoriés au sud d'Alaise, aussi bien dans le Jura français qu'en Suisse. Il est probable que les pierres levées ou les représentations graphiques avaient un but rituel ou commémoratif, à moins qu'elles n'aient été érigées comme repères de signalisation afin de transmettre des informations codées. Les archéologues qui ont étudié les vestiges néolithiques de cette régions n'ont guère trouvé de témoignages d'une destination rituelle : ni restes funéraires, ni traces de festins ou de sacrifices, tout au plus des cendres et des pierres noircies par le feu.

    Ne peut-on imaginer que ces pierres levées et ces peintures rupestres aient été placées là, comme des poteaux signalisateurs ou des affiches, pour guider les voyageurs vers les précieuses sources de sel ? Ces gigantesques bornes ont-elles servi par la suite de repères géographiques bien particuliers ? Nous avons vu que la plus grande difficulté, en ce qui concerne les mesures de longitude, était de disposer d'un chronomètre suffisamment précis. Les pierres levées n'auraient-elles pas joué le rôle d'une sorte de télégraphe archaïque, piste jalonnée de grands feux permettant aux astronomes de s'assurer qu'ils relevaient la position des étoiles au même moment, même à une très grande distance ?

    En 1940, le géologue suisse A. Jayet fit une curieuse découverte à propos de ces pierres levées : il releva la trace d'un alignement s'étendant sur quelques 40 km, depuis Talloires, sur les bords du lac d'Annecy, jusqu’à Divonne, au nord du lac Léman. Si les français n'avaient pas eu de préoccupations plus pressantes, en cette année 1940, ils auraient pu constater que cette ligne, si on la prolongeait, passait très exactement par le mont Poupet...

    Un autre élément apparemment ignoré par Guichard et qui vient à l'appui de ses théories est le hiatus, la rupture sans transition entre le néolithique et l'âge de bronze. Hiatus que le professeur Colin Renfrew attribue à des catastrophes climatiques. On sait aujourd'hui que les eaux des grands lacs alpins sont montées de plus de 10 m en l'espace de quelques siècles. Ces inondations désastreuses, et les pluies persistantes qu'elles supposent, ont pu complètement anéantir une agriculture encore à ses débuts et détruire ainsi et détruire ainsi les bases locales d'une civilisation que Guichard pensait avoir redécouverte.

     


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