• La Tentation de saint Antoine - Jérôme Bosch

    Jérôme Bosch (1450 - 1516 ) apparaît comme le maître incontesté de l'art fantastique. De son temps déjà n'était-il pas renommé comme "Inventeur de choses fantastiques et bizarres", "faiseur de diables" ? Ses diableries constituent en fait des rébus qui déclenchèrent la plus belle foire d'empoigne de l'histoire de l'art.

    Un tableau aussi touffu que la Tentation de saint Antoine permet aussi de nombreuses approches, dont la plus plausible est centrée sur le culte rendu à ce saint.

    Le panneau central montre une scène étrange. Le saint est agenouillé près d'une table autour de laquelle semble se dérouler un rituel. Un infirme y assiste. Devant lui, posé sur un linge, un pied sectionné constitue la clé d'interprétation de l"ensemble du Triptyque.

    Par dévotion pour saint Antoine, un ordre s'était constitué en Dauphiné, dont les moines portaient sur leurs habits une sorte de croix, le "tau". Ces Antonins, qui avaient essaimé rapidement, s'étaient spécialisés dans le traitement d'une maladie atroce, l'ergotisme gangreneux ou convulsif. Celle-ci était provoquée par l'absorption d'aliment contenant du seigle contaminé par un champignon. Rapidement les membres noircissaient et se purifiaient. S'ils ne tombaient pas d'eux-mêmes, ils étaient amputés par les Antonins, qui les accrochaient aux façade de leurs chapelles. Les amputés mendiaient alors pour l’ordre en exposant parfois le membre qu'ils avaient perdu ! Cette maladie était appelée "feu saint Antoine", "feu d'enfer" ou "mal des ardents", tant elle répandait dans le corps des brûlures insoutenables. Elle ne pouvait qu'inspirer une sainte terreur envers Antoine, puisque celui-ci protégeait du feu ou punissait par lui. Ce qui explique les incendies qui embrasent ses Tentations.

    L'ergot responsable du mal provoquait en outre chez le malade des hallucinations épouvantables et des convulsions qui laissaient croire à des possessions sataniques. Les Antonins, qui furent les témoins de ces troubles, s'en inspirèrent certainement lorsqu'ils commandèrent des Tentations pour leurs chapelles. Il n'y a en effet aucune commune mesure entre leurs visions de cauchemar et les épreuves subies par Antoine lorsqu'il vivait en ermite dans le désert d'Egypte.

    Ces troubles psychique causée par l'ergot de seigle étaient encore accrus par les moyens thérapeutiques alors en usage. Ef effet, pour atténuer les douleurs de l'amputation, les chirurgiens administraient des narcotiques ayant eux-même des vertus hallucinogènes voire aphrodisiaques. C'était le cas de la célèbre mandragore, une plante quasi mythique. Elle tenait, croyait-on, sa forme d'homoncule du fait qu'elle était engendrée lors d'une fécondation de la terre par du sperme de pendu ! Les Antonins l'incorporèrent sans doute à leur breuvages miraculeux, le "saint vinaige", dans lequel avaient macéré des reliques de leur patron. C'est certainement l'offrande de cette potion qui se voit au centre du triptyque.

    Les êtres humains étaient répartis suivant leurs activités en catégories dites des "Enfants planétaires". C'est ainsi que les Antonin, comme les alchimistes, dépendaient de Saturne qui pouvait avoir des effets néfastes. Saturne était un dieu boiteux, infirme comme les protégés des Antonins. Il s'appuyait sur une béquille en forme de "tau" et était accompagné d'un porc, l'animal de saint Antoine. L'on pourrait en déduire que le personnage à tête de porc qui s’apprête à recevoir le "saint vinaige" ne serait autre que Saturne.

    L'espèce humaine était en outre divisée en quatre "tempéraments" dont la mélancolie, qui correspondait au sinistre Saturne. Les mélancoliques étaient troublés par des sécrétions de bile noire qui, lors de phases aiguës, pouvaient les plonger dans le délire. Pour les calmer, comme pour l'ergotisme, on leur administrait de la mandragore.

    Cette parfaite coïncidence entre Saturne et Antoine s'étend à l'alchimie qui disposait d'un répertoire symbolique considérable pouvant expliquer de nombreuses énigmes dans les œuvres de Bosch. Il y avait d'ailleurs un apothicaire dans la famille du peintre, du côté de sa femme Aleyt.

    Parmi les emprunts les plus évidents de la Tentation à l’alchimie, se découvrent des matras fantastiques mais aussi des arbres creux, symboles du fourneau. L'un d'eux, à demi métamorphosé en mégère, engendre un enfant emmailloté, l'or alchimique. Un autre abrite une femme nue qui tente l'ermite. Symbole du mercure, elle nous rappelle que les Antonins eurent parfois des conceptions assez libertines. Les jésuites ne reprochèrent-ils pas à leurs hôpitaux d'être de vrais lupanars ?

    Sur le volet gauche, un prélat indique un antre souterrain entre les cuisses d'un homme-tertre. Tel détail rappelait à l'alchimiste qu'il devait visiter les entrailles de la terre pour y trouver la matière de la pierre philosophale et que celle-ci était aussi vile qu'excréments (suggérés par la posture du personnage).

    Dans le passé, un tel ésotérisme était admis comme un langage "huéroglyphique" réservé à des initiés et parfaitement justifié par la nationalité égyptienne de saint Antoine.

     

     

     

     

     


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