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    Le 14 décembre 1833, Kaspar Hauser s'engouffre en chancelant dans la demeure du docteur Meyer en pressant sa main sur son flanc.

    Il a juste le temps de murmurer : " Un homme m'a frappé ! Le couteau ! Dans le parc ! Il m'a donné une
    bourse ! " avant de s'écrouler sur le sol, baignant dans son sang.

    Pendant trois jours, les habitants de Nuremberg et d'Ansbach vont vivre un douloureux suspense. Kaspar est grièvement blessé : l'arme, qui a pénétré profondément dans le côté gauche de la poitrine, a atteint le poumon et le foie. Le moribond, pressé de questions, peut néanmoins fournir quelques détails sur son agresseur : un étranger - grand, avec des favoris bruns et un manteau noir - l'a abordé au cours de sa promenade habituelle en lui demandant s'il était bien Kaspar Hauser.

    Le jeune homme lui ayant répondu affirmativement, l'inconnu lui demanda de le suivre dans le parc en lui promettant des révélations sur sa naissance. Parvenu dans un endroit isolé, l'homme lui tendit alors une bourse. Tandis que Kaspar l'ouvrait, son interlocuteur le poignarda et s'enfuit.

    La police déploya tous ses efforts pour s'emparer du mystérieux agresseur. Sans résultat. Par contre, la bourse fut trouvée là ou Kaspar l'avait laissé tomber. Mais elle contenait seulement un billet plié en triangle, tracé au crayon en écriture spéculaire (en lettres renversées qu'on ne pouvait lire que dans un miroir ou par transparence devant la lumière). Sur le billet plié était inscrit un mot, en lettres minuscules : nebeguzba, c'est-à-dire abzugeben ( " à remettre " ).

    En voici le contenu : " Hauser pourra vous le raconter très exactement comment je suis et d'où je suis. Pour épargner la peine à Hauser je veux vous le dire moi-même d'où je viens. Je viens de... sur la frontière de Bavière... sur le fleuve... Je veux vous dire encore mon nom est M. L. OE. "

    La forme sibylline de ce message incita certains à penser que Kaspar l'avait fabriqué de toutes pièces. Le capitaine Hickel, de la police d'Ansbach, interrogea lui-même le blessé. Celui-ci lui répéta plusieurs fois :
    " Je ne l'ai pas fait moi-même. "  Ce furent là ses derniers mots. Des complications étant intervenues, Kaspar mourut des suites de ses blessures, le 17 décembre.

    Ce décès brutal causa une grande émotion dans toute la Bavière et de fortes récompenses furent offertes en échange de toute information concernant le meurtrier. Mais personne n'avait rien vu. une foule immense suivit Kaspar jusqu'au lieu de son dernier repos, sous une dalle sur laquelle on inscrivit ces mot : " Ci-gît Kaspar Hauser, énigme de son temps. Naissance inconnue, mort mystérieuse. "

    Dans le parc d'Ansbach, à l'endroit où il fut frappé, on lui éleva un monument, avec cette inscription latine : Hic occultus occulto occisus est, c'est-à-dire : " Ici un inconnu a été tué par un inconnu ", texte ambigu pouvant aussi bien signifier le suicide que l'assassinat. Les circonstances de la mort de Kaspar Hauser ne contribuaient pas en effet à dissiper le mystère qui avait entouré sa vie. Le docteur Meyer, pour sa part, resta convaincu que le garçon s'était infligé lui-même sa blessure, afin d'attirer l'attention sur lui. Peut-être dans le but obscur de retourner à Nuremberg où il avait été fêté. Mais le poignard aurait causé plus de dégâts qu'il ne l'avait prévu. Hypothèse partiale sans doute.

    Il n'en reste pas moins qu'aucun des autres attentats commis contre Kaspar n'a eu de témoins : médicalement parlant, les deux blessures auraient pu être volontaires. De plus, lors de l'enquête de police effectuée dans le parc d'Ansbach, on ne put découvrir d'autres empreintes de pas que celles de Kaspar. Il faut ajouter que les deux agressions eurent lieu à une période significative et vinrent à point nommé attirer à nouveau l'attention du public sur le jeune homme : la première tentative fit rapidement oublier la déception causée par l'autobiographie et la seconde rappela tragiquement son existence aux yeux d'un monde qui commençait à l'oublier.

    Aucune preuve, toutefois, n'existe d'une telle simulation. Et il est fort possible que Kaspar ait eu des ennemis puissants. La plupart de ses amis pensèrent qu'il avait été la victime d'une conspiration. Des inconnus ayant un terrible secret à préserver, auraient alors ordonné le premier attentat pour discréditer Kaspar auprès de ses contemporains ou, plus vraisemblablement, pour l'avertir d'avoir à se taire ; le second l'aurait rendu muet à jamais. Si les deux agressions sont effectivement liées, il faut alors supposer des intérêts bien puissants pour expliquer une telle persévérance (4 ans) à atteindre son but. La première attaque, dans la cave de la maison Daumer, fut peut-être une tentative criminelle avortée, l'assassin éventuel ayant pris la fuite lorsque Kaspar se mit à crier.

    On peu également imaginer que les occasions étaient rares, le jeune homme se trouvait rarement seul, si bien que l'assassin a dû attendre des années le moment propice. Ainsi s'expliquerait le laps de temps important qui sépare les deux entreprises. Enfin, si vraiment les attentats avaient pour but de réduire Kaspar au silence, il nous faut encore mentionner le fait que plusieurs éminents citoyens de Nuremberg sont mort dans des circonstances assez mystérieuses pendant les années qui ont suivi le décès du jeune homme. On peut alors se demander ce que leur avait confié Kaspar.

    Il ne faut pas non plus exclure l'hypothèse que Kaspar hauser ait été assassiné par l'homme qui l'avait élevé, quel qu'il soit en réalité. Les descriptions que le garçon donna de ses assaillants étaient certes assez vagues, mais on peut néanmoins rapprocher l'homme à face noire qui le blessa dans la maison Daumer de l'homme masqué qui le nourrissait dans son enfance et de l'inconnu au manteau noire et aux favoris sombres qui le frappa mortellement dans le parc.

    Il est cependant difficile d'imaginer alors quel mobile l'aurait fait agir. Si le jeune garçon était d'extraction commune, pourquoi avoir pris la peine de le nourrir pendant tant d'année pour l'abandonner et ensuite le tuer ? Et quelle signification donner à l'énigmatique billet prétendument laissé par le meurtrier ? Faut-il voir là l'existence d'un assassin à la solde de la famille royale ? Ou ayant appartenu au 6ème régiment de cavalerie ? S'agissait-il d'une fausse piste destinée à égarer les recherches policières ? Aucune explication rationnelle satisfaisante n'a été trouvée jusqu'ici.

    Nous ne saurons sans doute jamais élucider le profond mystère qui entoura la vie trop brève de Kaspar Hauser et notamment les cinq années qu'il passa dans la société des hommes. De nombreux historiens se sont penchés jusqu'ici sur les faits connus, sans pouvoir en éclaircir les contradictions. Certains n'ont pas craint d'avancer les théories les plus audacieuses, comme Anselm von Feuerbach.

    Pour l'éminent juriste, qui présidait alors la cour d'appel d'Ansbach, l'étrange garçon n'appartenait pas à notre monde : " Kaspar Hauser montrait de telles lacunes de vocabulaire et de concepts, une ignorance si totale des choses de la Nature, une répugnance si marquée pour toutes les coutumes, les contraintes et les bienséances de la vie civilisée, jointes à de telles singularités mentales et physiques, qu'il était dès lors impossible de ne pas songer qu'il s'agissait d'un citoyen d'une autre planète, arrivé sur notre monde par quelque miracle inconcevable. "

    La question reste d'autant plus fascinante que nous savons aujourd'hui qu'elle n'aura jamais de réponse : mais qui était Kaspar Hauser ? 

     

     

     

     

     


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    Je suis venu, calme orphelin,
    Riche de mes deux seuls yeux tranquilles,
    Vers les hommes des grandes villes.

    Ils ne m'ont pas trouvé malin.

    A vingt ans, un trouble nouveau
    Sous le nom d'amoureuse flamme
    M'a fait trouvé belle toutes les femmes.
    Elles ne m'ont pas trouvé beau.

    Bien que sans patrie et sans roi, 
    Et très brave ne l'étant guère,
    j'ai voulu mourir à la guerre.
    La mort n'a pas voulu de moi.

    Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
    Qu'est-ce que je fais en ce monde ?
    Ô, vous tous, ma peine est profonde.
    Priez pour le pauvre Kaspar !

     

     


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    Par une étrange ironie du sort, Kaspar Hauser, ce pauvre être qui a connu le dénuement le plus extrême et l'isolement le plus rigoureux aux cours de ses premières années, devient une des personnalité les plus en vue de la bonne société et la coqueluche des salons élégants. Toute maîtresse de maison qui se respecte doit l'avoir invité au moins une fois à ses réceptions Cette célébrité ambiguë peut se comparer à celle que connut John Merrick, le célèbre Elephant Man anglais, a qui sa tragique difformité valut les faveurs de la société Victorienne.

    Les avis sont partagés quant aux origines de Kaspar. Ceux qui croient sans réserve à son histoire insinuent maintenant ouvertement qu'il serait un héritier illégitime de la famille royale de Bavière, l'enfant bâtard de la grande-duchesse de Bade. A l'appui de cette hypothèse, ils citent les étonnantes capacités montrée par l'élève du professeur Daumer : un rejeton de paysans n'aurait certes pas présenté de telles facultés intellectuelles. D'ailleurs, pourquoi de simples fermiers auraient-ils entouré une naissance de tant de mystère ?

    Mais nous avons vu que les incrédules sont également nombreux. Ceux-ci prennent pour argent comptant la fameuse lettre d'introduction présentée par Kaspar le jour de son apparition dans la ville, affirmant que rien ne doit étonner de la part de paysans surchargés d'enfants. pour eux, les vêtement grossiers dont le jeune homme était revêtu sont un argument de plus, et ses prétendus progrès étonnants ne sont en fait remarquable que dans leur contexte particulier.

    D'autres enfin, considèrent qu'il s'agit là, d'un bout à l'autre, d'une mystification : on aurait beaucoup exagéré, disent-ils, la singulière ignorance de Kaspar, et son élocution inintelligible  pouvait être due au fait qu'il était d'origine étrangère.


    Maison de Kaspar Hauser, Nuremberg

    Le professeur Daumer est conscient qu'il faut établir indubitablement les faits afin de convaincre les détracteurs. Durant l'été 1829, il encourage Kaspar Hauser à écrire son autobiographie. Ce récit sera publié au mois d'août. Mais les habitants de la bonne ville de Nuremberg, qui espéraient des révélations sensationnelles, seront quelque peu désappointés : aucun élément nouveau n'apparaît de nature à élucider le mystère des origines de Kaspar Hauser.

    Le héros de cette narration y donne seulement plus de détails sur sa vie quotidienne au temps de sa réclusion. En fait, la légende de Kaspar, telle qu'elle était colportée par le public, s'était déjà agrémentée de développements beaucoup plus romanesques, si bien que la description de la réalité semblait plutôt terne par comparaison...

    Mais si le Bavarois étaient déçus, leur frustration devait être de courte durée car une nouvelle péripétie dramatique allait épaissir le mystère : le 7 octobre 1829, Kaspar échappe de peu à un attentat. Ce jour-là, le jeune homme est trouvé inanimé dans la cave de la maison Daumer. Il porte une large blessure au front, qui ne met heureusement pas ses jours en danger. On le porte aussitôt dans son lit. Ce tragique épisode ne sera pas élucidé, Kaspar est seulement capable de dire qu'il a été agressé par un " homme au visage noir " (c'est-à-dire un homme masqué)

     

    La ville entière est frappée de stupeur et de consternation. Chacun voit dans cet attentat la preuve que Kaspar a des ennemis en haut lieu. Ceux-ci veulent assurément empêcher à tout prix le jeune homme de divulguer les secrets de son passé. Il importe donc de prévenir toute tentative et de protéger la vie de celui qui est désormais le plus célèbre habitant de Nuremberg. C'est pourquoi Kaspar est transféré en un autre lieu, dont l'adresse est tenue secrète et où il est gardé nuit et jour par la police. 

    Ainsi s'achève pour Kaspar, la période la plus heureuse de sa vie, celle qu'il a passée chez le bon professeur Daumer. Pendant deux ans, il va désormais vivre dans la seule compagnie de ses anges gardiens policiers. Par ailleurs, les bons bourgeois de la ville commencent à récriminer : voilà une célébrité qui leur coûte cher, d'autant que cette garde spéciale est financée avec leurs impôts !

    Fort heureusement, une autre solution est alors envisagée, qui va peut-être éviter à Kaspar d'être loué à quelques cirque : Lord Stanhope, célèbre homme politique et historien anglais, qui a toujours montré le plus grand intérêt pour tout ce qui concerne l'étrange jeune homme, est désireux de l'adopter. Voilà qui réglerait l'épineux problème financier, à la satisfaction générale. Les hommes de loi préparent donc les documents qui confieront Kaspar à la tutelle temporaire de l'aristocrate anglais qui remboursera en échange à la ville les frais de son entretien.

    Stanhope, pour qui Kaspar ne semble être qu'un jouet à la mode destiné à divertir son entourage, l'emmène alors dans ses bagages et entreprend un petit " tour d'Europe " : il va présenter le " phénomène " dans toutes les petites principautés et les maisons royales où il séjourne tour à tour. Bien que Kaspar représente indéniablement une attraction de choix, dont la nouveauté n'est pas encore émoussée, le périple ne connaît pas le succès escompté.

    Certains membres de la famille royale bavaroise menacent même d'entamer des poursuites judiciaires si on continue à faire ouvertement allusion aux liens de parenté qui les uniraient à l'enfant trouvé.

    Kaspar et Stanhope se querellent fréquemment au cours de ce voyage, et l'engouement de l'excentrique Anglais commence à faiblir. Finalement, en 1833, Stanhope demande aux autorité de Nuremberg l'autorisation d'installer Kaspar à demeure dans la petite ville d'Ansbach, distante de 40 km, sous la garde de son ami le docteur Meyer. Les Nurembergeois, un peu hésitant à l'idée de trancher le dernier lien les rattachant encore à leur célèbre protégé, finiront cependant par accepter, peu désireux de contrarier un homme aussi influent que le Lord.

    S'ouvre alors pour Kaspar des mois moroses, sous la tutelle du docteur Meyer. Celui-ci, qui l'a instruit dans la religion protestante, commence à lui enseigner le latin et l'histoire, ainsi que diverses autres matières. Sans grand succès. Le garçon devient morose et renfermé ; le maître et l'élève ne s'entendent pas très bien. 

    Il est possible que Kaspar, ne se sentant plus le point de mire d'une foule d'admirateurs, ait simplement refusé d'apprendre. Quoi qu'il en soit, Meyer, rebuté, déclare que le jeune homme a l'âge mental d'un enfant de huit ans et que ses capacités intellectuelles ont été grandement exagérées par ses prédécesseurs. Lord Stanhope commence alors à se désintéresser de son pupille.

    Kaspar, quant à lui, se languit de Nuremberg et des amis qu'il y a laissés. Au cours de 1833, il y fera une brève visite, accomplissant ainsi son désir le plus cher avant d'être à nouveau le jouet d'un destin tragique...

     

     

     

     


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  • Kaspar Hauser - Le personnage

     

    Qui était cet étrange jeune homme, apparu pour la première fois à Nuremberg le 26 mai 1828 ? Immobile au milieu de la grand-place, dans un état de saleté repoussant, il tenait à la main une lettre. Était-il fou ou imposteur ?

    Kaspar Hauser ne tarde pas à devenir une célébrité et il est le principal sujet de conversation de la petite ville provinciale. Une foule de curieux s'attroupe devant sa cellule pour le voir manger, dormir ou satisfaire ses besoins naturels sans que cela paraisse le gêner le moins du monde. L'un des policiers lui ayant fait cadeau d'un petit cheval de bois, il s'en montre tellement ravi que ses nouveau amis lui en offrent aussitôt une demi-douzaine. Avec un tel afflux de visiteurs, Kaspar va très vite enrichir son vocabulaire.

    Au bout de quelques semaines, il est capable d'entreprendre une relation sommaire de sa vie passée devant les édiles de la ville. Il ignore qui il est et d'où il vient, n'étant véritablement " venu au monde " qu'en ce jour de Pentecôte 1828, à Nuremberg. Plus tard, il entreprendra d'écrire un petit essai autobiographique où il tentera de rappeler ses plus anciens souvenirs.

    Du plus loin qu'il se rappelle, il a toujours vécu dans une sorte de trou, assis sur de la paille : 

    " J'étais enfermé et je n'avais jamais vu un être humain. J'avais deux chevaux de bois et un chien et je jouais tout le temps avec eux, mais je ne peux pas dire si c'était tout le temps que je jouais ou pendant une semaine : je ne savais pas ce qu'étaient une journée et une semaine. Pour les vêtements que je portais, c'était un pantalon court et des bretelles noires, et une chemise, mais le pantalon et les bretelles,je les avais directement sur le corps ; et la chemise à part ça et le pantalon étaient déchirés derrière pour que je puisse faire mes besoins naturels. Je ne pouvais pas bien sûr enlever mon pantalon puisque personne me l'a appris...

    " Quand je me réveillais, là le pain et l'eau étaient près de moi, c'est comme ça que je commençais, que je buvais de l'eau et qu'après je mangeais un peu de pain, jusqu'à ce que je n'aie plus faim. Après je buvais le reste de l'eau. Là je commence à jouer, après j'enlève mes bretelles. Là il me fallait beaucoup de temps pour nettoyer un cheval ; quand un des chevaux était nettoyé, à ce moment, je mangeais encore un peu de pain ; et là j'avais encore un peu d'eau et je la buvais en entier, et après je faisais la deuxième toilette et ça me prenait encore beaucoup de temps, comme pour la première. Après j'avais très faim ; ensuite, je mangeais un peu de pain et j'aurais bien aussi bu de l'eau, mais là il n'en restait plus. Alors je reprenais dix fois la cruche dans la main et je voulais boire, mais je ne trouvais jamais d'eau dedans ; parce que je croyais que l'eau venait toute seule. "

    Kaspar Hauser - Le personnage

    Lorsque Kaspar leur fait ce récit, où il évoque encore les rares événements marquants de sa monotone existence, les notables de Nuremberg décident alors de le publier, sous une forme remaniée, à la troisième personne, dans un petit fascicule officiel pompeusement intitulé Bulletin Un, consacré à celui qu'ils appelaient " l'enfant de Nuremberg" : " Parfois, en s'éveillant, il s'apercevait qu'il portait une chemise propre ; il n'avait jamais vu le visage de l'homme qui venait ainsi... Il n'était jamais malade, jamais malheureux dans son trou...

    " Un jour l'homme pénétra dans son réduit et y dressa une table. Sur cette table était étalé quelques chose de blanc, sur lequel il traça des signes noirs au moyen d'un crayon qu'il prit entre ses doigts. L'homme recommença ainsi plusieurs fois et lorsqu'il fut parti, Kaspar essaya de l'imiter. A la fin, l'homme lui appris à tenir debout et à marcher et puis il l'emmena hors de son trou. De ce qui arriva ensuite, Kaspar n'a que des notions confuses, jusqu'à ce moment où il se retrouva seul sur la place de Nuremberg, une lettre à la main. "

    Kaspar Hauser - Le personnage

    Dès la parution de ce bulletin, la célébrité de Kaspar va franchir les limites de la ville. On voit aussi les premiers sceptiques se manifester : le jeune homme n'est-il pas un habile simulateur ? Comment expliquer autrement son singulier manque de curiosité envers l'homme qui le visitait dans sa tanière ? N'avait-il vraiment pas pu entrevoir une seule fois son visage en l'espace de seize ans ?A cette objection, les âmes romanesques répondent que le mystérieux gardien devait être masqué.

    De là à insinuer que Kaspar serait en réalité le fils illégitime de quelques aristocrate, il n'y avait qu'un pas. Voilà qui expliquerait que l'on ait tenu l'enfant soigneusement caché aux yeux du monde afin d'éviter un terrible scandale et que l'on ait ensuite libéré l'adolescent à un âge où son identité ne risquait plus d'être découverte. Et elle ne le fut effectivement jamais : aucune des enquêtes approfondies menées par la police aux environs de Nuremberg ne permit de découvrir la moindre trace des origines de Kaspar, et la piste fournie par le 6è régiment de cavalerie ne mena nulle part.

    Afin de subvenir aux besoins du jeune garçon, sa ville adoptive l'expose pendant quelques temps dans une baraque foraine, comme une bête curieuse devant qui défile toute la population. Puis les autorités municipales décident de le confier aux bons soins du professeur George Friedrich Daumer. Avec une patience et une bonté inégalables, ce philosophe et pédagogue distingué allait s’efforcer de combler les effrayantes lacunes de l'éducation de son nouveau protégé.

    Pour daumer, Kaspar est aussi un sujet d'expérience idéal, en ce qu'il représente un parfait exemple
    d'enfant " sauvage ", dont le développement s'est accompli hors de tout contact humain et sans aucune influence sociale. A l'époque, les savants se passionnent en effet pour les êtres dits primitifs et naturels, aussi Daumer notera-t-il soigneusement toutes les réactions de son pensionnaire.

    Kaspar Hauser - Le personnage

    A cet égard, il considérera comme un indice certain de primitivité ses sens extraordinairement développés. Non seulement son ouïe est particulièrement fine, mais il a encore la faculté de voir parfaitement dans l'obscurité, au point qu'il lui faudra un certain temps pour s'habituer à une lumière vive. Mais, par-dessus tout, il est doté d'un remarquable odorat : il est ainsi capable de suivre un animal à la trace, de même qu'il peut identifier les êtres humains à leur odeur. Il est même capable de reconnaître les différentes essences forestières à la senteur de leurs feuilles. Daumer note encore que Kaspar n'a pas la moindre notion des réalités matérielles les plus évidentes, ni le moindre rudiment des lois physiques élémentaires qui gouvernent notre univers quotidien. Il semble incapable de faire une quelconque distinction entre les organismes vivants et les objets inanimés : persuadé que l'horloge, avec son tic-tac familier, est un être vivant, il refuse obstinément de s'en approcher. Lorsqu'on le place devant un miroir, il regarde indistinctement derrière pour apercevoir celui qui y est caché. De même, il tente de se saisir de la flamme qu'il aperçoit au-dessus de la chandelle, sans comprendre pourquoi il se brûle. Quant aux animaux et aux objets, il leur prête les même réactions qu'aux humains, et il pense que les balles rebondissent parce qu'elles se sente d'humeur folâtre...

     Kaspar n'a cependant pas l'esprit obtus, loin de là, et il apprend facilement. Daumer est un excellent éducateur  et il obtient des résultats remarquables avec cet élève hors du commun. Le jeune homme se révèle donc intelligent, et de plus, il est servi par une remarquable mémoire visuelle, rarement prise en défaut. Il apprend ainsi très vite à lire, à écrire, à améliorer son élocution, à raisonner et même, à dessiner, si l'on en croit certains croquis assez bien venus qu'il nous a laissés.

    Kaspar Hauser allait bientôt devenir la coqueluche de la bonne société...

     

     

     


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    En ce début du XIXè siècle, Nuremberg, paisiblement endormie dans ses remparts, a bien oublié son ancienne splendeur médiévale. Il est loin le temps où les Hohenzollern étendaient leur main de fer sur la cité depuis leur imposante forteresse qui domine les vieux quartiers. Et il faudra attendre encore un bon quart de siècle pour que la révolution industrielle vienne secouer la torpeur de la deuxième ville du bucolique Etat de Bavière.

    Cette ville tranquille, qui incarne si bien l'Allemagne provinciale, va cependant être le théâtre d'étranges événements, qui vont passionner l'Europe entière. Mais revenons en ce dimanche de Pentecôte du 26 mai 1828.

    Ce matin là, un cordonnier qui effectue sa promenade aperçoit, alors qu'il passe par la place Unschlitt, un jeune garçon qui avance en titubant sur la chaussée ; il paraît âgé d'environ 17 ans et ne semble pas avoir conscience du monde environnant. Pensant que le jeune homme est souffrant, le cordonnier s'approche et lui demande s'il peut l'aider en quelque chose. Le garçon balbutie une réponse inintelligible, mais son interlocuteur constate alors qu'il tient dans sa main gauche une enveloppe adressée au capitaine du 4ème escadron du 6ème régiment de cavalerie. De plus en plus intrigué, le serviable artisan conduit alors son protégé au logis du capitaine, en guidant ses pas chancelants.

    Le capitaine est absent, mais son ordonnance fait entrer les visiteurs et leur offre des rafraîchissement. Fascinés, le soldat et le cordonnier ne quittent pas des yeux le jeune garçon qui se jette avidement sur le pain et l'eau, mais s'écarte avec répugnance de la viande froide et de la bière. Au retour du capitaine, le jeune homme s'anime quelque peu à la vue de l'uniforme et de l'épée, qui semblent le plonger dans un ravissement puéril, et il répété sans arrêt les quelques mots qui constituent apparemment tout son vocabulaire : " Veux être soldat comme mon père " et " Cheval, cheval "

    La fameuse enveloppe contient deux lettres. L'une est un simple billet, censé avoir été remis en 1812 par la mère du garçon à l'homme à qui elle l'avait confié. Il est écrit en lettres latines et ne comporte aucun signe de ponctuation : 

    L'ENFANT EST DÉJÀ BAPTISE
    IL S'APPELLE KASPAR
    UN NOM DE FAMILLE VOUS LE LUI
    DONNEREZ VOUS MÊME
    SI VOUS L’ÉLEVEZ SON PÈRE
    A ÉTÉ UN CHEVAU-LEGER
    QUAND IL AURA DIX-SEPT ANS
    ENVOYEZ LE A NUREMBERG
    AU 6è RÉGIMENT DE CHEVAU-LEGERS
    LA AUSSI SON PÈRE A ÉTÉ 
    JE VOUS PRIE DE L’ÉLEVER JUSQU’À
    DIX_SEPT ANS
    IL EST NE UN 30 AVRIL
    DE L’ANNÉE 1812
    PAUVRE FILLE JE NE PUIS 
    PAS NOURRIR L'ENFANT 
    SON PÈRE EST MORT

    La seconde lettre, non signée, est écrite en caractère gothiques avec d'assez nombreuses fautes d'orthographe et de grammaire et est supposée avoir été écrite en 1828 par l'homme qui a amené Kaspar à Nuremberg.

    1828
    Au très noble capitaine de cavalerie
    J'envoie à vous un garçon qui aimerait servir fidèlement son roi comme il l'a demandé. Ce garçon fut déposé à ma porte, en 1812, le 7 octobre, et je suis moi-même un pauvre journalier. J'ai aussi dix enfants à moi et sa mère ne m'a laissé l'enfant que pour son éducation, mais je n'ai pas pu questionner sa mère et jusqu'à maintenant je n'ai encore rien dit au tribunal qu le garçon m'a été déposé. Je me suis dit comme ça qu'il fallait que je fasse comme si c'était mon fils. Je l'ai élevé dans la religion chrétienne et depuis 1812 je ne l'ai pas laissé faire un pas en dehors de la maison pour que personne ne sache où il est élevé et lui-même ne sait rien de comment s'appelle ma maison ni du village, vous le lui pouvez toujours demander mais il ne peut pas vous le dire. A lire et à écrire je lui ai appris et il sait écrire mon écriture comme moi, et quand on lui demande ce qu'il veut être plus tard il dit qu'il veut être un chevau-léger comme son père l'a été et aussi s'il avait des parents, mais il n'en a pas eu, qu'il veut devenir un garçon savant, oui ! Vous n'avez qu'à lui montrer quelque chose, il le sait déjà. 

    Je l'ai seulement conduit jusqu'au nouveau marché et là il a su aller vous trouver tout seul. Je lui ai dit que si il devient un soldat je viens tout de suite et je lui cherche sa maison sinon j'aurais dû l'amener autour de mon cou.

    Très honoré Monsieur le capitaine vous ne devez pas du tout le maltraiter car il ne sait pas mon endroit où je suis, je l'ai conduit en plein milieu de la nuit et il ne sait plus où est la maison.

    Je vous présente mes respects. Je ne fais pas connaître mon nom car je pourrais être puni. 

    Et il n'a pas d'argent sur lui, et comme je n'ai rien moi-même si vous ne le gardez pas, vous devez le dresser ou le pendre dans la cheminée.

    (Sans signature)

    Le capitaine presse de questions, mais n'obtient que des réponses incompréhensibles. Il finit par déclarer que le garçon est idiot, ou bien qu'il s'est maintenu dans un incroyable état de primitivité et décide de le conduire au poste de police en tant qu'enfant trouvé. Là, interrogé à nouveau, Kaspar dévide les même bribes de phrases informes et sibyllines. Ne sachant qu'en faire, les policiers le logent dans une des cellules afin d'observer son comportement.

    Le jeune homme semble passablement vigoureux et l'un des officiers de police note que son teint, " loin d'être pâle et délicat, présente au contraire les couleurs de la santé ". Les mains de l'adolescent sont dépourvues de toute callosité, de même que ses pieds, qui sont par ailleurs écorchés et couverts d'ampoules. Aucune des pièces du costume ne peut fournir le moindre indice quant à son lieu ou sa famille d'origine : une paire de bottes bâillant aux coutures et grossièrement renforcées de clous et de fers à cheval, une culotte qui tombe en loques, une veste apparemment coupée dans une vieille redingote et un chapeau.

    Le geôlier constate bientôt les étranges habitudes de son nouveau pensionnaire : " Il pouvait rester assis des heures entières, sans bouger d'un pouce. Il n'arpentait pas le plancher. Il n'essayait pas de dormir. Non, il restait assis là, tout raide, sans même essayer de trouver une position moins inconfortable. De plus, il semblait préférer l'obscurité à la lumière et se déplaçait dans le noir avec autant d'aisance qu'un chat. "

    Un médecin est appelé, à qui l'on fait examiner Kaspar. Selon lui, cette curieuse propension à l'immobilité serait due à une formation des articulations des genoux. Cette déformation, pense-t-il, viendrait de ce que le garçon, dans son jeune âge, serait resté presque constamment assis, les jambe étendue devant lui, ce qui pourrait expliquer sa démarche incertaine et vacillante. Le patricien, toutefois, est formel : cet être n'est ni fou ni idiot, mais il a été monstrueusement privé de soins les plus élémentaire et les plus nécessaires au développement de sa personnalité, sur le plan tant individuel que social.

    Quelqu'un a alors l'idée de mettre entre les mains de Kaspar une feuille de papier et un crayon. Les résultats sont surprenants. Il couvre bientôt la feuille de lettres au tracé enfantin, formant toujours les trois même mots : Reiter (cavalier) et Kaspar Hauser. On en déduit donc que le nom du garçon est Kaspar Hauser et, bien qu'il refuse tout d'abord d'y répondre, c'est ainsi qu'on l'appellera désormais.

     

     

     

     


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