•  

    Lorsqu'ils frappent à la porte de Montsuaire pour réclamer des bonbons, Tom et ses copains déguisés en zombies ne savent rien de ce qui les attend... Commence alors un fabuleux voyage dans l'espace et le temps... Une quête fantastique et poétique des origines d'Halloween...

    " Tout a commencé quand ? En Égypte, il y a quatre millénaires, pour célébrer l'anniversaire de la mort du soleil ? Ou des millions d'années plus tôt, devant les feux nocturnes allumés par les hommes des cavernes ? Ou dans le ciel de Paris, là où d'étranges créatures sont venues se pétrifier pour devenir les gargouilles de
    Notre-Dame? "

    **********

    Magnifique conte fantastique, nourri de poésie et de magie. D'une plume fantasque et dynamique, il nous conte la Fête des Morts de son origine à nos jours au quatre coins du monde. On visite l'Egypte, les druides d'Angleterre, Notre-Dame de Paris et un cimetière Mexicain. L'amitié et le sacrifice sont valorisé.

    Piochant à travers les mythologies et les peurs communes, Ray Bradbury signe ici un conte fantastique génial. Ce roman, trop peu connu d'un des maîtres de l'imaginaire, est un véritable bijou d'écriture et de savoir. La fine richesse du style, assortie de chants et de poésies, nous emporte loin à la suite de Montsuaire, personnage inquiétant et insondable.

     Il s’agit avant tout d’une ode à cette fête et à notre nature humaine telle que Bradbury la percevait. 

    Huit enfants en quête de connaissance, mais également à la recherche d’un neuvième qui représente l’esprit d’Halloween tel que le concevait l’auteur, c’est très allégorique et cela donne à réfléchir.  

    Bien que les personnages principaux soient des enfants, que le récit soit court et enlevé, en plus d’être riche d’informations diverses, ce n’est pas vraiment une lecture pour un jeune public dont la lecture en serait totalement différente.

    Un roman court mais admirable.


    votre commentaire
  •  

     

    Un adolescent est initié aux mystère d'Elusis, sous la protection des deux déesses du cultes, Perséphone et Déméter

    Liés à des rites venus du fond des âges, les mystères d'Eleusis étaient principalement célébrés à deux époques de l'année, en mars et en septembre. A l'équinoxe de printemps, les petits mystères, qui duraient quatre jours, constituaient une cérémonie préparatoire pour les futurs initiés et avaient lieu à Agra, près d’Athènes, sur les bords de l'Ilissôs. Les grands mystères, célébrés au moment de l’équinoxe d'automne à Eleusis même, duraient en revanche une dizaine de jours. 

    Au cours de ces cérémonies, des objets sacrés étaient promenés en procession d’Athènes à Eleusis, située à quelque 10 stades (18,500 km) de la grande cité. La procession était souvent interminable : bien que les premiers participants quittassent Athènes à l'aube, les derniers, qui n'en partaient qu'au soir, devaient s'éclairer de torches et n'arrivaient à Eleusis qu'au matin suivant. Au cours des siècles, cette route fut jalonnée par les tombeaux de personnages importants. Des rites de purification collectives et des stations dans les grottes sacrées préparaient la grande journée du 21 septembre.

    Les initiés, ou mystes, assistaient, sur les gradins de la grande salle du culte, ou Telestêrion, à la représentation d'un drame sacré évoquant le mystère de Déméter et de Coré et dévoilant la vie dans l'au-delà et les arcanes du monde souterrain des enfers. Certains de ces rites secrets, réservés aux seuls initiés sont encore mal connu aujourd'hui. Il semble qu'au cours de l'une de ces cérémonies, les assistants partageaient des galettes de pain non levé frappées en relief à l’effigie de Déméter.

     

    Perséphone et Hadès

    S'appuyant sur l’existence de nombreuses sources minérales à Eleusis, Guichard, l'homme des "lignes d'Alaise", suggéra que certains des rites pouvaient avoir trait à la conservation des corps dans la saumure, en vue de les rendre imputrescibles avant l'inhumation.

    Nous avons déjà vu qu'il faisait dériver les deux noms d'Eleusis et d'Alaise du même terme hal, signifiant "sel", et nous savons que cet élément minéral joue un grand rôle dans ses théories à propos des toponymes similaires. Lorsqu'il recensa les quelques cinq cents localités apparentées à Alaise, il estima que la plupart de ses noms de lieux remontaient au Néolithique, et les plus récents tous au plus à l'âge du bronze.

    Au Néolithique, c'est-à-dire à une époque qui vit un extraordinaire essor démographique, qui coïncida avec les débuts de l'agriculture et avec le développement de l'élevage, le sel prend une importance capitale. Les besoins alimentaires en sel du chasseur sont couverts par la consommation du gibier abattu, mais l'éleveur doit trouver du sel pour son bétail. L'agriculteur doit s'en procurer pour compléter son alimentation. Cette substance devient indispensable pour la conservation des aliments, condition essentielle d'une existence moins précaire et garante de la survie durant les longs mois improductif d'hivers. Guichard pense même que l'absence de population dans les vastes zones désertiques d'Afrique, d'Asie et d'Australie est due à l'absence totale de sel.

     

    Les ouvrières des mines et des salines, entre Vosges et Jura, XVe et XVIIIe siècle

    D'après Guichard, l'emplacement initial d'Alaise aurait donc été choisi en raison de l'existence des sources salines naturelles de Salins-les-Bains, sources qui, au Moyen Age, apportèrent la prospérité aux seigneurs des lieux. Alésia signifierait ainsi : " où l'on a trouvé du sel " et Guichard insiste sur le fait que tous les autres Alaise ou toponymes similaires sont situés au voisinage de sources minérales et de gisements salins. Ainsi voit-on s'établir un véritable " réseau de sel ",  à une époque où ce minéral représentait un facteur essentiel du passage d'une existence nomade, liée aux aléas de la chasse, à un mode de vie agricole et sédentaire. Plus tard seulement se développèrent les sciences astronomique et topographique, qui permirent de fixer les premiers repaires de mesures géographiques.

    Les théories de Guichard peuvent nous sembler aujourd'hui un peu trop naïves et systématiques. N'oublions pas cependant que nombre de travaux plus récents sont venus confirmer bien des points sur lesquels le philologue français se révéla un précurseur remarquablement clairvoyant. Nous savons par exemple, que beaucoup de sépultures archaïque du nord de l'Europe, qui ont pu apparaître comme des imitations maladroites des célèbres tombeaux mycéniens remontant au XVè siècle avant J-C, sont en réalité antérieures de plusieurs siècles.

    Nous savons que les grands ensembles mégalithiques ont été rédigés bien avant les plus anciens des monuments grecs ou les pyramides égyptiennes. Nous savons aussi que des méthodes de calcul extrêmement sophistiquées ont été élaborées à cette époque : en Bretagne, près de mille ans avant que les rudiments des mathématiques n'aient fait leur apparition en Grèce, cette discipline avait atteint un développement considérable...

     

    Route du sel dans le nord de l'Europe en 1243

    Nous en savons également plus sur les mœurs des populations primitives qu'au début du siècle, époque à laquelle Guichard entreprit ses premiers travaux. De chasseur qu'il était, l'Homme passe généralement par un stade d'éleveur nomade avant de s'établir agriculteur. Le mode de vie nomade subsiste d'ailleurs quelquefois en même temps que la phase agricole : après avoir épuisé les ressources du sol par une culture et un pâturage intensifs, le groupe se déplace vers une nouvelle zone vierge. 

    Certains phénomènes démographiques pourraient effectivement être expliqués par l'abondance et le manque de sel : les hauteurs du Kenya, au climat relativement tempéré mais qui n'offrent aucune source de sel, étaient pratiquement désertes lorsque les premiers Européens s'y sont installés, tandis que la région voisine de la Rift Valley, stérile et torride, était littéralement envahie par les populations nomades et leurs troupeaux, agglutinés autour des nombreux lacs salés. En Ouganda, les eaux lacustres sont beaucoup moins salées et le sel est difficile à trouver à l'état naturel. Dans l'ouest du pays, il existe un lac d'origine volcanique où croissent des roseaux salés ; sur ses rives vit une tribu ayant appris à extraire le sel des plantes aquatiques par un procédé complexe de combustion et de lavage des cendres. Notons que, de toutes les peuplades d'Afrique orientale, cette tribu est la seule qui n'ait pas besoin d'assurer sa subsistance par l'agriculture, l'élevage ou la pêche : elle trouve facilement à troquer toutes les denrées qui lui sont nécessaires contre le précieux sel et mène par conséquent une existence moins laborieuse.

     

    Borne de pierres sèches sur la route du sel  dans la vallée de l'Aiguebrun, en Haute-Provence

    On peut penser de même que le sel a été pour les anciens habitants d'Alaise une source de prospérité et de loisirs qui ont permis le développement des sciences et des connaissances. Après les troubles qui ont ensanglanté le Congo dans les années soixante, le sel était devenu si rare qu'au Katanga l'on échangeait, poids pour poids, sel, gemme et diamants ! 

    Rappelons encore que, depuis les travaux de Guichard, de très nombreux menhirs et d'innombrables peintures rupestres ont été répertoriés au sud d'Alaise, aussi bien dans le Jura français qu'en Suisse. Il est probable que les pierres levées ou les représentations graphiques avaient un but rituel ou commémoratif, à moins qu'elles n'aient été érigées comme repères de signalisation afin de transmettre des informations codées. Les archéologues qui ont étudié les vestiges néolithiques de cette régions n'ont guère trouvé de témoignages d'une destination rituelle : ni restes funéraires, ni traces de festins ou de sacrifices, tout au plus des cendres et des pierres noircies par le feu.

    Ne peut-on imaginer que ces pierres levées et ces peintures rupestres aient été placées là, comme des poteaux signalisateurs ou des affiches, pour guider les voyageurs vers les précieuses sources de sel ? Ces gigantesques bornes ont-elles servi par la suite de repères géographiques bien particuliers ? Nous avons vu que la plus grande difficulté, en ce qui concerne les mesures de longitude, était de disposer d'un chronomètre suffisamment précis. Les pierres levées n'auraient-elles pas joué le rôle d'une sorte de télégraphe archaïque, piste jalonnée de grands feux permettant aux astronomes de s'assurer qu'ils relevaient la position des étoiles au même moment, même à une très grande distance ?

    En 1940, le géologue suisse A. Jayet fit une curieuse découverte à propos de ces pierres levées : il releva la trace d'un alignement s'étendant sur quelques 40 km, depuis Talloires, sur les bords du lac d'Annecy, jusqu’à Divonne, au nord du lac Léman. Si les français n'avaient pas eu de préoccupations plus pressantes, en cette année 1940, ils auraient pu constater que cette ligne, si on la prolongeait, passait très exactement par le mont Poupet...

    Un autre élément apparemment ignoré par Guichard et qui vient à l'appui de ses théories est le hiatus, la rupture sans transition entre le néolithique et l'âge de bronze. Hiatus que le professeur Colin Renfrew attribue à des catastrophes climatiques. On sait aujourd'hui que les eaux des grands lacs alpins sont montées de plus de 10 m en l'espace de quelques siècles. Ces inondations désastreuses, et les pluies persistantes qu'elles supposent, ont pu complètement anéantir une agriculture encore à ses débuts et détruire ainsi et détruire ainsi les bases locales d'une civilisation que Guichard pensait avoir redécouverte.

     


    votre commentaire
  •  

    Au cours d’une bataille contre les Turcs, Médard de Terralba, chevalier génois, est coupé en deux par un boulet de canon. Ses deux moitiés continuent de vivre séparément, l’une faisant le bien, l’autre mutilant tout sur son passage...

    **********

    Le vicomte pourfendu

    Depuis son horrible blessure, acquise pendant la guerre avec les Turcs, le vicomte Médard de Terralba est animé d'une furie pourfendeuse. A son image, il coupe en deux tout ce qui croise son chemin. Par ce geste barbare, il fait oeuvre bienfaisante, estimant que la moitié restante est « mille fois plus profonde et précieuse que la partie perdue » . Mais bientôt, certains témoignent avoir vu celui qui sème le mal partout agir avec bonté, puis revenir à ses anciens penchant. Seule  la jeune bergère dont il est amoureux est la seule à avoir compris la double nature de Médard.

    Tout comme le docteur Jekyll et Mister Hyde, Italo Calvvino traite du bien et du mal qui se cache en chacun d'entre nous, les deux cohabitant au sein du même corps. L'homme possède en lui le bien et le mal qui l'équilibre, l'un n'allant pas sans l'autre : c'est ainsi que le "mauvais vicomte" récolte la haine des villageois pour sa méchanceté et son injustice, tandis que l'autre moitié crée des tensions. L'homme n'est ni blanc, ni noir, il est gris. Il est capable de bonté comme de cruauté et il faut apprendre à maîtriser les deux pour vivre réellement heureux et en accord avec le reste du monde. 

    Italo Calvino - Le vicomte pourfendu

    Un conte philosophique et poétique dont l'humour n'est pas absent.
    Le fantastique et le merveilleux sont omniprésent. Un monde imaginaire de Calvino où des doigts coupés indiquent la route à suivre, où les lépreux vivent heureux et pourtant tout cela a les couleurs du réel.

    L'écriture est légère et grave à la fois, le rythme est rapide, on va vite au cœur du sujet. Un petit livre qui tout comme Stevenson avec son Docteur Jekyll et Mister Hyde fait mouche et nous fait réfléchir sur notre dualité

     


    votre commentaire
  •  

     

    La franc-maçonnerie instruisant les peuples (XIXè siècle)

    Avec 54 000 ouvrages ou articles publiés avant 1924, selon le recensement qu'on fit alors l'extraordinaire érudit allemand A. Wolfstieg, la franc-maçonnerie est sans conteste la société secrète dont on parle le plus et qui suscite le plus d’intérêt.

    Mais, en revanche, c'est sans doute celle que l'on connait le plus mal !

    Elle présente, en effet, la particularité de masquer et ses origines et ses buts, tant à l'égard de ses adeptes qu'à ceux qui n'en font pas partie.

    Aux uns, lors de leur réception, rien de précis n'est révélé sur ce plan ; il leur est simplement précisé qu'il leur appartient éventuellement , et à eux seuls, de tenter d'en percer, un jour, les mystères. Quant aux autres, l'imagination aidant, l'ignorance leur fait apparaître la franc-maçonnerie comme une puissance obscure, au pouvoir sans limites, aux buts inavoués ou inavouables, et qui s’efforce d'imprimer au destin du monde une direction conforme à des vues pour d'aucuns démoniaques ou machiavéliques, pour d'autres, au contraire, préfigurant l'univers idyllique d'une société meilleure, un monde sans conflits où, sans agir, tout ce que chacun entreprendrait désormais serait bien, juste, beau et parfait.

    Ainsi sont nées des séries de légendes les plus contradictoires sur les origines et la finalité de cette institution. Les plus folles aussi, puisqu'elles se nourrissent des élucubrations chimériques de détracteurs haineux ou des outrances et des complaisances naïves de thuriféraires crédules au dernier point. 

    Les Constitutions de James Anderson

    En usant de la méthode critique propre à l'étude de l'histoire des mentalités, il est possible, malgré tout, d'y voir un peu clair, de démêler le vrai du faux et de présenter sans préjugés les différentes hypothèses et les mythes qui sous-tendent les origines de la franc-maçonnerie.

    L’ambiguïté du terme de franc-maçonnerie réside dans le fait qu'il désigne en réalité deux choses sensiblement différentes : d'une part, une société corporative ("maçonnerie opérative") qui plonge ses racines dans le Moyen Age européen et dont l'existence est incontestable puisqu'elle repose sur des documents solides et irréfutables ; d'autre part, une société de pensée ("maçonnerie spéculative") qui s'affirme l'héritière directe de la précédente et prétend à la qualité de traditionnelle.

    Mais s'il y a bien une filiation incontestable de l'une à l'autre, les raisons et les modalités de la transformation de la maçonnerie opérative en maçonnerie spéculative demeurent tout à fait obscures. Et ce n'est que grâce à des récits légendaires que celle-ci peut appuyer son identité par rapport à celle-là et s'en affirmer la légitime continuatrice.

    La maçonnerie spéculative est née officiellement au jour de la Saint-Jean, en l'été 1717, par la fondation de la Grande Loge de Londres, réunissant quatre loges d'ancienne extraction mais toutes composées presque exclusivement de gentlemen et non de gens de métier.

    Très désireux de connaître comment et pourquoi leur ordre s'était métamorphosé, de simple organisation d'ouvriers bâtisseurs, en société de notables, mus par des aspirations éthiques, symbolistes et intellectuelles, les maçons londoniens décidèrent, lors de leur convent de 1721, de faire entreprendre des recherches et d'établir les origines exactes de l'antique institution.

    Pasteur presbytérien de son état et polygraphe par goût, un volontaire proposa ses services : James Anderson (1680 - 1739 ). Ils furent agréés et, deux années plus tard, le travail était achevé. Connu sous le titre de Constitutions, ce texte d'Anderson comprend trois parties : une partie historique, une autre sur les obligations des francs-maçons et la troisième concernant les règlements généraux. Les deux dernières sont la retranscription fidèle d'éléments tirés de sources authentiques, les Olds Charges (anciens devoirs), consistant en trois manuscrits datant, le premier du XVè siècle (manuscrit Cooke), le deuxième de la fin du XVIè siècle (manuscrit Plot-Watson) et le troisième des dernières années du XVIIè siècle (manuscrit Sloane). La partie historique est, en revanche, une adaptation profondément remaniée.

    Passionné de chronologie et hébraïsant érudit, Anderson était, en effet, tout le contraire d'un occultiste. Esprit étroit et fondamentaliste, incapable de ce fait de saisir dans une légende autre chose que son sens strictement littéral, il fut effaré des anachronismes criards et des absurdités historiques que contenaient les Olds Charges : on y parle d'Euclide, disciple d'Abraham, de l'introduction de la maçonnerie en Occident par "Peter Gower (Pythagore), Hellène notable" du rôle joué dans sa diffusion par "Charles Martel, roi de France", etc...

    Textes anciens de la Franc-Maçonnerie des Olds Charges

    Aussi, sans hésiter une seconde, il entreprit de refondre, il entreprit de refondre "en une généalogie raisonnable" les récits légendaires qu'il avait sous la main, na laissant subsister que ce qui ne choquait pas ses convictions et celles de son milieu, c'est-à-dire les références bibliques, en les remaniant de façon à les rendre conformes avec le texte de l'Ecriture.

    La trame des origines devient ainsi sous sa plume incroyablement simpliste : l'Humanité a cheminé, depuis la création, dans, par et grâce à la connaissance de la maçonnerie (art de bâtir, science de l'Univers et révélation divine), sous l'inspiration et le contrôle du dieu d'Israël, qui "l'a inscrite dans le cœur d'Adam, lequel l'a transmise à sa postérité". Noé et ses trois fils sont ainsi qualifiés de "maçons authentiques" Mais après la disparition qui suit l'échec de la tour de Babel, "l'art royal" dégénère et ne se conserve pur que dans la descendance d'Abraham.

    Temple de Salomon selon les indications de la Bible

    Aux yeux d'Anderson, l'histoire de la maçonnerie se confond désormais avec le récit biblique et son démarquage n'a même pas de signification ésotérique, puisque ce sont "les Israélites qui instruisent les Égyptiens dans la connaissance de la bonne architecture" et que, durant l'Exode, "ils deviennent, sous la conduite de leur grand maître Moïse, un peuple entier de maçons". La perfection de l'art maçonnique trouve son apogée dans la construction du Temple de Salomon, "chef-d'oeuvre inégalé", dont s'inspirent toutes les civilisations de l'Orient ancien, de même que celles de la Grèce et de Rome, "mais sans parvenir à dépasser la pâle imitation" !

    Pour la logique interne de sa "reconstruction historique", Anderson éprouve par instants, il est vrai, quelques embarras, dont il se tire non sans aplomb en attribuant à tous les personnages notables ou célèbres la qualité de maçons : "Nabuchodonosor, pour les jardins suspendus de Babylone", Pythagore, Euclide, Ptolémée Philadelphe (le bâtisseur du phare d'Alexandrie) et enfin Auguste, le fondateur de l'empire romain, pompeusement promu "grand maître de la Loge de Rome". 

    Avec l'apparition du Christ cesse d'ailleurs le rôle éminent jusque là attribué aux juifs, dont il n'est plus question désormais dans le destin et l'histoire de la maçonnerie. Chrétien de stricte observance, Anderson est convaincu du transfert de l'élection divine, à partir de cette date, au profit du christianisme , devenu le "nouvel Israël".

    Non sans une certaine incohérence par rapport à la thèse qu'il s’efforce de soutenir, la maçonnerie devient, un temps, païenne puisque "ce sont les légions romaines qui crées des loges dans les points les plus reculés de l'Empire". Mais une fois Rome tombée sous les coups des Barbares, tout réapparaît dans l'ordre logique.

    La maçonnerie s'implante de façon privilégiée dans l'Angleterre christianisée, y trouvant sa nouvelle terre d'élection. Protégée par les rois saxons et normands, elle y prospère. Et, à partir de la fin du XVè siècle, elle commence à recevoir en son sein des personnages éminents, qui ne sont pas gens de métier, les "maçons acceptés"

    Les trois degrés symboliques dans la franc-maçonnerie anglaise

    Disposant dès lors d'une documentation relativement sûre, Anderson ne  s'écarte plus des données historiques fiables. Certes, il tait les changements profonds intervenus dans l'institution maçonnique à l'époque des Tudor et de la Réforme. Mais il saisit bien son déclin, lors des guerres civiles du XVIIè siècle, et le rôle joué dans son réveil par Christopher Wren, et peut-être par le roi Guillaume III, "reconnu comme maçon par la plupart des gens", et dans sa mutation en société morale, "centre d'union et moyen de nouer une amitié fidèle entre des gens qui auraient pu rester à une perpétuelle distance".

    Mais tout cela ne parvient pas à faire oublier le manque de sérieux évident de l'ensemble de cette reconstruction historique. Aucun maçon raisonnable n'ajoute plus foi, d'ailleurs, à la légende née de l'imagination fertile du pasteur presbytérien. Très sévères, certains la considèrent même comme un tissus d'absurdités, doublé d'une volonté falsificatrice manifeste. Jugement sans nuance, et peut-être excessif, car l'on peut comprendre les raisons des erreurs fondamentales d'Anderson.

    Ignorant tout de la méthode critique, il a cru de bonne foi, en effet, que les Olds Charges étaient l'oeuvre des maçons opératifs eux-mêmes   ; que les incohérences qu'ils présentaient tenaient au fait qu'ils n'étaient écrits que par de simples ouvriers, peu versés par conséquent dans la connaissance précise du texte de la Bible ; et qu'il était, lui, de ce fait, légitimement fondé à rectifier ce qui lui apparaissait  comme le simple résultat de l'ignorance.

     

    Rituel d'initiation - gravure anglaise 1809

     

     

    Or tous ces textes ont été rédigés par des clercs, par des moines soucieux de donner une apparence chrétienne à des légendes hétérodoxes par rapport à leur foi et qui ne pouvaient donc qu'attirer sur les maçons la méfiance ou la répression des autorités civiles et ecclésiastiques.

    Si bien que quelques références bibliques déformées qu'il trouve dans les Olds Charges sont exactement le contraire de ce qu'il a interprété. Loin d'être imputables à une méconnaissance des Écritures, elles ne constituaient, en réalité, que des ajouts, des interpolations, des intrusions qui obscurcissent à le rendre incompréhensible.

    En agissant comme il l'a fait, Anderson a, inconsciemment peut-être, éliminé ce qui restait de spécifique et de fondamental dans les croyances des anciens maçons opératifs et dans l'héritage culturel et légendaire dont ils étaient porteurs.

    Le mal n'est pas irrémédiable, d'ailleurs. Les manuscrits des Olds Charges (outre les trois utilisés par Anderson, plus de 150 ont été découverts à ce jours !) permettent, en effet, sinon de reconstituer le mythe originel de l'institution maçonnique, du moins d'en saisir la version, partiellement édulcorée déjà, à laquelle les maçons avaient accès avant le travestissement opéré par l'illustre pasteur presbytérien.

    Tubal caïn

    La maçonnerie n'apparaît pas ainsi comme la manifestation de l'orthodoxie biblique. Toutes les variantes des Olds Charges s'accordent, en effet, à en attribuer la fondation à Caïn (le bâtisseur de la première ville) et à sa postérité : aux deux fils de Lamech, Jabel, l'inventeur de la musique, et Tubalcaïn, l'inventeur du travail des métaux et des arts du feu. La postérité de Seth, "le craignant de Dieu", n'y joue aucun rôle. Noé n'est même pas cité.

    De Salomon, il n'est que peu question et il n'occupe nullement la place centrale qu'il a dans le récit d'Anderson. Place, d'ailleurs, ambiguë par rapport à l'orthodoxie biblique, puisqu'il est présenté comme le plus grand et le plus parfait maçon, alors qu'à la fin de sa vie, rapporte l'Ecriture, il devint infidèle au dieu d'Israël !

    L'ensemble mythique opératif se rattache à des traditions les plus variées, de façon extraordinairement confuse : héllénico-orientales, avec la découverte par Pythagore et Hermès des colonnes antédiluviennes érigées à l'aube du monde ; britanniques également, ainsi que le suggère clairement la profusion de personnages locaux jouant un rôle considérable dans la diffusion de la maçonnerie en Angleterre au haut Moyen Age, comme les saints légendaires, Amphibal et Alban, et les rois Athelstan et Edwin.

     

    Transformant la franc-maçonnerie en une réalisation d'un vaste plan spirituel divin pour conduire le monde vers son salut et sa perfection, Anderson en a, en réalité, modifié radicalement la nature. Par la puissance émotive qu'elle soulevait, la légende a considérablement contribué à attirer dans la vieille institution non seulement l'élite aristocratique de l'époque, mais les groupes les plus divers, alchimistes, hermétistes, passionnés de la cabale, désireux de connaitre le mystérieux secret évoqué dans les Constitutions.

     

    Les rituels correspondant à cette Mort-Résurrection étaient appelé dans l'ancienne Egypte "La porte de la mort" . Dans les rituels maçonnique Osiris était remplacé par Hiram

    Dès 1724, avec la création du grade de maître, était consommée la rupture définitive avec les opératifs. Puisant chez les écrivains hellénistiques, dans le Talmud ou les targums, le courant occultiste met au point le scénario symbolique de la mort et de la résurrection d'Hiram, relevant ainsi la saveur rudimentaire des cérémonies et donnant aux gens de qualité le sentiment d'une plus haute spiritualisation et de buts plus élevés. De là dérive d'ailleurs l'introduction d'emblèmes jusqu'alors absents dans la franc-maçonnerie (la présence du soleil et de la lune dans les temples) et, surtout la fonction primordiale attribuée au chiffre 3.

    Dès cette date apparaît également un désir général de revaloriser les origines. A L'héritage opératif, ressenti comme peu grisant, tend à se substituer une fiction chevaleresque : le Royal Arch, dans la maçonnerie anglaise restée très sensible au légendaire biblique, et, surtout, dans le reste des pays européens, les multiples variantes de l'écossisme...

     

     


    votre commentaire
  •  

    Peu de livres auront accédé à une telle universalité, et aussi durablement, que les Aventures de Pinocchio. Et pourtant, rien ne prédestinait leur auteur à l'immortalité : c'est du reste à peu près le seul ouvrage qu'on lui connaisse aujourd'hui, et les circonstances qui l'on amené à prendre la plume pour donner naissance à l'un des personnages les plus célèbres de toute la littérature féerique sont rien moins que retentissantes.

    Il s'est trouvé simplement qu'un journaliste italien nommé Carlo Lorenzini, qui écrivait sous le pseudonyme de Collodi, avait de grosses dettes de jeu à éponger. Il s'est trouvé également que les directeurs du Giornale per i bambini désespéraient de le compter parmi les collaborateurs de ce magazine enfantin qu'ils venaient de fonder à Florence.

    Alors, le très dilettante Collodi dut se résigner : sans enthousiasme apparemment, mais motivé par l'espoir d'une substantielle rémunération, il envoyait bientôt le premier épisodeb de la Storia di un burattino, avec ce petit mot à l'attention de Guildo Biagi : " Je t'envoie cet enfantillage. Fais-en ce que tu voudras. Mais si tu l'imprimes, paie-moi convenablement afin de me donner l'envie de continuer. "

    Le premier épisode parut donc le 7 juillet 1881 et ce n'est qu'en 1883 que l'ensemble devait être réuni en volume, sous son titre définitif.

    Qui était donc cet écrivain toscan né en 1826 à Florence, et dont la personnalité s'est totalement effacée, aux yeux de la postérité, derrière sa créature ? Collodi appartenait à la génération des intellectuels italiens qui avaient lutté les armes et la plume à la main pour l'indépendance et l'unité de leur patrie, et qui avaient foi en une Italie généreuse et libérale.

    En 1848, Collodi avait témoigner d'une remarquable indépendance d'esprit en fondant un journal satirique, Le Lampion, expérience qu'il allait recommencer en 1853 avec le Scaramouche. Mais son tempérament frondeur et aussi un certain penchant à la paresse faisaient qu'à cette époque où il écrivait Les Aventure de Pinocchio, il ne se sentait guère à l'aise dans une Italie qui avait certes conquis définitivement indépendance et unité, mais qui étouffait quelque peu sous le carcan du moralisme réactionnaire et bourgeois.

    Aussi n'est-ce pas sans raison que l'on a pu considérer ses Aventures de Pinocchio comme un adieu nostalgique et amer à sa propre enfance et à ses idéaux trahis, et même comme une subtile et malicieuse invitation à la révolte et à l'anarchie... Collodi devait mourir en 1890, sans avoir eu conscience d'avoir donné au monde un impérissable chef-d'oeuvre.

    Récit féerique et conte moral, Les Aventures de Pinocchio illustrent parfaitement, selon Jacques Lourcelles, l'idée que se faisait Henry Miller du livre idéal, à savoir " Une oeuvre condensée, limpide, alchimique, mince comme une gaufre et absolument Hermétique ".

    Les péripéties tour à tour burlesques et terrifiantes que subit la marionnette de Collodi contée dans une langue précise, lumineuse et véritablement toscane, ont un effet de quoi séduire les amateurs d'énigmes structuralistes ou freudienne. Et certains ne se sont pas privés de gloser autour de cette oeuvre beaucoup plus étrange qu'elle peut paraître de prime abord, tel Gérard Genot, à qui l'on doit une fort intéressante Analyse structurelle de Pinocchio

    Rappelons pour mémoire quel est le principe narratif des Aventure de Pinocchio : un morceau de bois doué de vie et de parole est taillé en marionnette par un vieux bonhomme qui lui donne le nom de Pinocchio. Mais la marionnette fait montre d'un caractère singulièrement rebelle, et au terme de multiples aventures initiatiques, souvent cruelles, que Pinocchio acquiert une forme humaine. Le récit se termine ainsi "Comme j'étais drôle quand j'étais un pantin ! Et comme je suis content maintenant d'être un enfant comme il faut ! " Toute l’ambiguïté du conte "moral" de Collodi se trouve ramassée dans cette dernière phrase terriblement ironique.

    Car Collodi, qui écrivait pour les enfants de la bourgeoisie de Florence, ne s'était manifestement résigné qu'à contrecœur à faire un petit garçon "comme il faut" de son impertinente marionnette. Il y a en effet dans Les Aventures de Pinocchio une savoureuse apologie de la fantaisie enfantine, et tous les malheurs qui s'abattent sur la marionnette sont moins l'effet de son "incorrection" que de la méchanceté des adultes.

    A cet égard, Collodi s'inscrit bel et bien parmi les maitres de l'éducation libertaire, ce que le cinéaste italien Luigi Comencini a admirablement compris dans sa délectable adaptation cinématographique (1972) dont il convient de dire quelques mots. 

    Infiniment plus intelligent et plus profond que celui de Walt Disney, le Pinocchio de Comencini se distingue en premier lieu par l'originalité de la transposition à l'écran. Procédant à une astucieuse inversion du principe narratif, le cinéaste transforme Pinocchio en petit garçon, celui-ci redevenant marionnette chaque fois qu'il passe les bornes de la "bienséance" : "Grâce à ce petit stratagème, explique Comencini, j'ai pu faire appel à un gamin qui n'a rien de l'enfant compassé, prétentieux, de la fin du livre, à un vif-argent effronté, sympathique, comme le Pinocchio marionnette. Et j'ai conservé telle quelle sa lutte contre la fée qui veut le dresser pour faire de lui un petit garçon bien sage, alors qu'il voudrait simplement être un petit garçon tout
    court. "

    Ajoutons pour finir que le Pinocchio de Comencini fait revivre avec une exactitude bouleversante le très dur monde rural toscan auquel appartiennent les personnages, un monde que Collodi n'avait fait, mais sans aucune équivoque, que suggérer.

     


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires