• En 1744, l'impératrice Marie-Thérèse confiait le gouvernement des Pays -Bas à Charles de Lorraine. Celui-ci, logé à Bruxelles dans l'Hôtel de Nassau, qui était une demeure gothique inconfortable, désigna Jean Faulte, architecte et poète, pour l'aménager selon les goûts de l'époque. Les travaux commencèrent en 1957.

    Le duc dressa de sa main un plan qui montre ses bibliothèques, des cabines rassemblant des collections archéologiques et scientifiques, et surtout un laboratoire. Ce personnage attachant, se passionnait en effet pour l'alchimie à tel point qu'il fit équiper un autre laboratoire à côté de sa chambre à coucher ! Il en eut même un troisième, dans les jardins, qui avait été utilisé par l'apothicaire de l'ancienne cour.

    Son intérêt pour l'alchimie est confirmé par l'inventaire de ses biens, établi à sa mort. Outre l'équipement nécessaire à ses recherches, il fournit la liste des nombreux traités qu'il consultait. Quant à son fameux journal secret, il relate aussi bien le gibier abattu, ses gains et pertes au jeu, les maîtresses des nobles en vue, que ses achats de produits chimiques ou de matériel de laboratoire.
    Le duc y transcrivit des expériences sur l'or et l'argent, des recettes d'élixir, y nota des secrets révélés par d'autres, comme ceux d'un certain Manchini, médecin, ou de Frédéric de Harrsch.

    Le siècle des Lumières, le XVIIIè siècle, fut aussi celui des Illuminés. L'alchimie était devenue un divertissement de cour dans une société qui faisait bon accueil aux mages et théosophes. Le cas de Charles de Lorraine est, à cet égard, significatif, puisque cet habitué des cornues était aussi Grand-Maître de l'Ordre Teutonique et franc-maçon. Comme tel, en 1762, il avait installé dans la chapelle du palais, la loge de Saint-Charles, travaillant selon le rite de la grande loge Saint-André-d'Ecosse.
    De ce fait, sa cour fut fréquentée par des personnages hautement initiés, peut-être par le célèbre comte de Saint-Germain.

    A l'époque, celui-ci se faisait appeler sieur de Surmont d'après le lieu où, discrédité par Choiseul, il avait dû se réfugier en 1762. Il y poursuivait de mystérieuses recherches sur les matières colorantes. C'est en mars 1763 que ce personnage, qui se prétendait éternel, rendit visite, à Bruxelles, au comte de Cobenzl, ministre plénipotentiaire de l'impératrice auprès de Charles de Lorraine.
    Subjugué par ses connaissances étonnantes, Cobenzl fut immédiatement attentif à leur intérêt économique. Il fut convenu de les tester à Tournai où Surmont réussit une transmutation et quelques expériences de teinture plus prosaïques. Convaincu, Cobenzl désigna la veuve du banquier de Nettine, trésorière de Charles de Lorraine, pour l'avance des fonds nécessaires à l'établissement d'une manufacture. 
    Malheureusement, de Vienne, le chancelier Kaunitz fit suspendre l'opération.
    Dépité, Surmont partit pour d'autres cieux.

    Les préoccupations du duc et celles de son entourage permettent de croire que certaines décorations du palais, dont il fut sans doute l'instigateur, ont un sens caché : principalement celles de l'escalier d'honneur, qui était emprunté tant par les maçons de Saint-Charles que les disciples d'Hermès. Au pied de cet escalier, se dresse un Hercule en marbre blanc, chef-d'oeuvre signé par Laurent Delvaux en 1770. Comme l'indiquent sur sa massue les initiales C, les croix teutoniques et de Lorraine, il incarne le maître de céans, non seulement comme guerrier mais aussi comme alchimiste. En effet, le duc aimait comparer ses travaux à ceux d'Hercule, forgés d'ailleurs sur la rampe de l'escalier. En réalité, il était convaincu que les exploits du héros, comme toute la mythologie, n'étaient qu'allégories cachant les secrets de la pierre philosophale et de l'or qu'elle permettait d'obtenir. Un de ses contemporains, le bénédiction Antoine-Joseph Pernety, passa ainsi au peigne fin toutes les fables antiques. Comme d'autres alchimistes, il s’intéressa particulièrement aux travaux d'Hercule.

    Montant l'escalier, l'initié pouvait admirer cinq reliefs exécutés en stuc  vers 1764-65, sans doute par Carmillon. Pour les déchiffrer, il devait recourir à la "cabale linguistique", le langage secret des alchimistes. Fondée essentiellement sur des jeux de mots, elle ne s'embarrassait pas des règles actuelles de l'étymologie.
    Se voient successivement l'eau, la quintessence, l'air, puis, au palier supérieur, la terre et le feu. Était ainsi exprimé le fondement de la théorie alchimique : pour obtenir la pierre philosophale, l'adepte devait réussir la synthèse des quatre éléments, la "quinte-essence".

    Le relief de l'eau est organisé autour de deux symboles désignant le Christ, que l'alchimiste associait à la pierre philosophale : le chrisme (un X barré d'un I) et le poisson. Le X est, toujours en grec, l'initiale de Christ, de chimie, d'or et de creuset. Ce dernier, par son nom provenant de croix, rappelait que les métaux vils devaient y être torturés avant d'être transfigurés comme le Christ après sa passion.
    On retrouve une évocation de l'or dans le relief de l'air, par les fleurs solaires sur la queue d'un paon et la grande étoile régnant sur six petites (les métaux imparfaits).
    La pierre philosophale apparaît dans le relief du feu sous forme d'une sphère avec deux ailes représentant le soufre et le mercure dont elle-même et l'or étaient composés. Ces deux produits sont encore évoqués dans le relief de la quintessence par un coq, l'oiseau d'Hermès, dieu des alchimistes, et une branche de chêne. 
    L'alchimiste établissait certainement un rapprochement entre la galle apparaissant sur les feuilles de cet arbres, le nom du coq en latin (gallus) et celui du lait
    en grec (galla). Ce lait, symbole du mercure, est encore suggéré par un sein au-dessus de la porte menant, par la salle des gardes, au temple maçonnique. 
    Un angelot y chevauchant un sphinx porte un doigt à ses lèvres. Il invite l'initié à ne pas révéler le secret symbolisé traditionnellement par le sphinx.

     

     


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    Bram Stoker

    Dracula ! trois syllabes inquiétantes, chargées de mystère, que l'on ne peut répéter qu'en frémissant... Dracula, c'est le "vampire", le "prince des ténèbres", tel que Christopher Lee l'a immortalisé à l'écran. Dracula, c'est l'incarnation même du mythe du vampire, la créature universellement connue qui boit le sang de ses victimes terrorisées. Bien sur, à l'écran, ces victimes sont, de préférence, de tendres et jeunes créatures...

    Curieusement, on connait à peine, et le plus souvent pas du tout, le créateur de ce personnage littéraire hors du commun. C'est un Irlandais, Bram Stoker, qui naît en 1847 à Dublin, dans une famille modeste employés de bureau. Aucune bonne fée ne se penche sur son berceau : jusqu'à huit ans, le jeune Bram Stoker se débattra entre la vie et la mort. Seul une constitution de fer le sauvera des maladies qui l'assaillent...

    Il survit donc et se lance à corps perdu das la lecture. Il rêve en écoutant les contes égrenés par sa mère, une Celte passionnée d'étrange et de fantastique. Il fait aussi beaucoup de sport : l'enfant malingre est devenu un solide gaillard, barbu et roux, doué d'une vitalité peu ordinaire. 

    Bram Stoker touche un peu à tout : comptable le jour, il devient journaliste ou chroniqueur de théâtre la nuit. De fait, le théâtre est sa passion et il va se lier d'amitié avec un homme qui l'influencera de manière décisive : Henry Irving. En 1871, il découvre Carmilla, une oeuvre de Sheridan le Fanu, qui inspirera en partie son Dracula. 

    L'Angleterre de la fin du siècle vit à l'heure de l'étrange et du fantastique. Bram Stoker a l'occasion  de rencontrer, dans les milieux ésotéristes, quelques vampire personnalities, des originaux comme on en trouve tant à l'époque. Les sociétés initiatiques abondent. L'une d'elles, la Golden Dawn (« aube dorée ») le séduit tant qu'il s'y affilie. Il y retrouve une pléiade d'écrivains de la littérature fantastique, comme Arthur Machen, Algernon Blackwood, Sax Rohmer ou William B. Yeasts.

    Aujourd'hui encore, on connaît très mal les activités réelles de la Golden Dawn, même si on soupçonne cette société secrète, néo-païenne et magique, d'avoir exercé une influence considérable sur la littérature fantastique de l'époque. Voire sur les événements comme la montée triomphale du national-socialisme en Allemagne. Une chose est certaine : au sein de la Golden Dawn, on s'exerçait beaucoup à la magie opératoire (avec succès, paraît-il !) et aux pratiques occultes. Ecrit à cette période, l'envoûtant roman de Bram Stoker ne peut pas ne pas avoir été influencé par les activités de cette secte. Plus tard, l'auteur prétendra avoir reçu son inspiration... d'une mauvaise digestion. 

    En fait, Bram Stoker a d'abord puisé dans un important fonds de légendes populaires (principalement roumaines) et de récits troublants recueillis  au cours de l'histoire des vampires. Après tout, il est aujourd'hui prouvé que Dracula, voïvode tout-puissant de Valachie du XVe siècle, a bien existé. Selon certaines sources, il se serait appelé Vlad Drakul et aurait vaillamment défendu la Transylvanie contre les Moldaves et contre les Turcs. Non sans quelques cruautés très remarquées et très redoutées à l'époque, qui lui auraient valu le surnom de Drakul (« diable », en dialecte local).

    Plus tard le terme drakul est devenu synonyme d'esprit malfaisant, puis de vampire. Le nosferat est une variété particulière de drakul et Murneau s'est inspiré de ces mêmes légendes romaines lorsqu'il a porté à l'écran, sous le titre de Nosferatu, le Dracula de Bram Stoker. On en finirait plus de relever les différents noms donnés aux vampires dans les légendes de l'Europe centrale.

    Bram Stoker ne s'est pas contenté de les reprendre. Il a également innové : c'est à son Dracula que l'on doit la possibilité pour un vampire de se transformer en chauve-souris, ainsi que la croix et l'ail comme moyen de se protéger contre les entités buveuses de sang. Par la suite, le cinéma ne cessera de broder sur ces Thèmes.

    Le mythe de Dracula reste un des plus beaux de toute la littérature fantastique. Paru en 1897, le roman a immédiatement connu un grand succès populaire, ce qui a poussé son auteur à se consacrer entièrement à la littérature. Pourtant jamais Bram Stoker ne retrouvera le style et la pureté de son premier roman. Signalons tout de même deux œuvres qui renouent avec bonheur avec la veine de Dracula : Le Joyau des sept étoiles ( l'histoire de la résurrection d'une reine d'Egypte ) et Le repaire du ver blanc ( la survivance d'un ver monstrueux dans les souterrains d'un château )

    Miné par une maladie qui le frappe à nouveau après quelques années de bonne santé, Bram Stoker finira sa vie en 1912, au milieu de graves difficultés financières. A t-il voulu initier ses lecteurs à quelque grand mythe, comme il avait été lui-même initié à la Golden Dawn ? La question reste posée. Ses œuvres ont toujours raconté l'histoire éternelle de la lutte entre le Bien et le Mal, entre la Lumière et les Ténèbres. Une lutte aussi vieille que la vie, et qui n'aura pas de fin : incarnation redoutable et terrifiante du mal, le comte Dracula n'en finit pas de mourir et de ressusciter. Pour notre plus grande peut et... notre plus grande joie !

     


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    Le Paris occulte du XVIIIè siècle

    Nulle période, sinon la nôtre, n'est peut-être aussi paradoxale que le siècle des Lumières dans l'histoire de Paris. L'ère nouvelle de la raison ne s'étonne en rien de l'immortalité initiatique de Saint-Germain. Les encyclopédistes côtoient Cagliostro, le grand copte, et l'éblouissante Séraphita, son inquiétante épouse. Au cimetière Saint-Médard, c'est l'hystérie sur la tombe du diacre Pâris. C'est le plus sérieusement du monde que l'on cloue sur la porte cette extraordinaire inscription :

    De par le roy, défense à Dieu
    De faire miracle en ce lieu

    A vrai dire, surtout dans les hautes sphères de la société, on s'accommode fort bien de ce qui nous paraîtrait aujourd'hui contradictoire. On ne croit plus à Dieu. On préfère donc le Diable, plus libéral et plus excitant. Jusqu'à ce qu'il aille un peu trop loin et que son intrusion dans le siècle tourne au scandale ou à l'horreur...

    En 1706, Philippe d'Orléans, le futur régent du royaume, descend aux carrière de Val Gérard.
    Le Paris souterrain de l'époque était déjà un haut lieu de l'étrange et de la magie noire. Pour le duc et ses deux roués, Louis-Claude Fontenay et Victor-Maurice de Broglie, il s'agit d'évoquer le Diable dans ces anciennes carrières où il apparaît, dit-on, plus volontiers qu'ailleurs.

    Le neveu de Louis XIV s’intéresse depuis toujours à ces manifestations.
    " ... Sa curiosité, écrit de lui Saint-Simon, jointe à une fausse idée de la fermeté et du courage, l'avait toujours occupé à chercher à voir le Diable et à le faire parler. "

    Le vit-il à Montsouris ? Certains historiographes prétendent que, grâce à la conjuration dite du crapaud dans les grimoires, le futur régent et ses amis l'évoquèrent sous la forme d'un grand escogriffe barbu et à moitié nu dont le visage était atrocement balafré. Philippe avouera lui-même à Saint-Simon que la cérémonie, plusieurs fois tentée avec toutes les variantes en vigueur, avait toujours été assez décevante.

    Cela ne l'empêchera pas de croire très fort et jusqu'à la fin aux techniques de sorcellerie. Dans sa chambre du Palais-Royal, on retrouvera une cachette ménagée dans le mur où il gardait tous les grands grimoires de son temps, des manuscrits ésotériques, un squelette, plusieurs têtes de mort et tout l'attirail du nécromant...

    Le goût de Philippe d'Orléans pour l'occultisme opératif n'ira cependant jamais jusqu'aux exactions d'un autre grand, Charles de Charolais, le fils du Prince de Bourbon-Condé. L'homme est singulier. D'Argenson l'aîné, dans ses Mémoires, écrit de lui :

    " ... Sa branche est sujette à la folie et il alluma sa fureur par force vin pur, n'y mettant jamais une goutte d'eau. "

    La nuit, on entend d'étranges cris dans son hôtel de la rue de Bellefond des gémissements étouffés. Il en sort des odeurs insolites d'encens et de fumigations. Mais il y a tant de grands du royaume qui tâtent de la sorcellerie et des messes noires, le plus souvent orgiaques, que tout cela n'étonne pas trop les voisins et la police. "

     En avril-mai 1750, des émeutes ont éclaté à Paris, à la porte Saint-Denis et au Faubourg Saint-Germain en particulier. Des enfants disparaissent mystérieusement et ce sont les exempts du roi que l'on accuse de ces enlèvements. On soupçonne le pouvoir de les acheminer vers les Amériques, où il faut peupler les nouvelles colonies. La police enquête.
    Pour le lieutenant Berryer, avec lequel a été créé le Bureau de sûreté, qui deviendra par la suite notre actuelle Police judiciaire, cela sent la sorcellerie criminelle.

    Ses mouches remontent les pistes qui, toutes, aboutissent à l'hôtel de la rue de Bellefond. Depuis deux ans, le prince de Charolais est atteint d'une maladie de peau qui le fait atrocement souffrir. On a parlé de la lèpre. Toujours est-il que, peu confiant dans les apothicaires, il a mandé tous les sorciers et occultistes de sa connaissance. Un mage noir l'a assuré qu'il lui fallait prendre des bains rituels de sang humain. Comme il n'y a pas plus pur et donc plus efficace que celui des enfants, Charolais en fait enlever autant qu'il faut pour se livrer convenablement à ses répugnantes ablutions.

    Louis XV se contentera de l'éloigner de la Cour. Le sang des petites victimes aurait pu éclabousser davantage le pouvoir si l'on n'avait étouffé l'affaire. Charolais mourra dix ans plus tard à Montmorency, où il n'a pas abandonné ses activités occultes. Le Diable, disent les historiographes, était au rendez-vous de son enterrement, qui se fit "par un temps si épouvantable que les paysans croyaient sincèrement tous les démons de l'enfer déchaînés pour assister à ses funérailles"...

    Dans le Paris des années cinquante de ce siècle, les sectes, les sociétés secrètes et les cellules initiatiques de toutes sortes foisonnent. 
    Les mystérieux rose-croix qui affirment avoir réussi la transmutation alchimique, trouvé le secret de l'immortalité physiologique et, d'une façon générale, posséder tous les secrets de la cabale, sont dans la capitale. Ils s'y livreraient à des rites étranges au cours de cérémonies très fermées auxquelles rêvent d'avoir accès les aristocrates férus de magie et de sensations nouvelles.

    Le Comte de Saint-Germain, l'un des plus énigmatiques personnages de l'histoire, serait des leurs. Il a fait couler tant d'encre qu'il n'est pas plus nécessaire de revenir sur son cas que sur celui d'un autre mage insolite dont le charlatanisme est cependant plus avéré, au moins pour certaines de ses activités, Joseph Balsamo, qui se fait appeler comte de Cagliostro. 
    Mieux vaut s'attarder sur Casanova de Seingalt, moins mystérieux et significatif des paradoxes du temps.

    Vers 1750, il est arrivé depuis peu à Paris. Il se dit cabaliste rose-croix, et il semblerait que ses talents de sorcier guérisseur soient tout à fait réels.
    N'a-t-il pas guéri le comte de la Tour-d'Auvergne d'une sciatique irréversible en dessinant sur sa cuisse avec un onguent mystérieux le célèbre sceau de Salomon ? Il doit être aussi quelques peu alchimiste. On le voit partout jeter l'or à pleine mains, comme le comte de Saint-Germain. On dit aussi qu'il sait communiquer avec tous les esprits élémentaires et un bon nombre de démons qu'il convoque à son gré au cours d'évocations particulièrement spectaculaires...

    Voilà que la marquise d'Urfé, à laquelle l'a présenté le comte miraculé, s'entiche de lui. Elle est riche, et, tout alchimiste qu'il est, il a besoin de ressources pour mener le train de vie qu'il s'est fixé. En échange, il lui propose de réaliser un rêve dont on a aujourd'hui peine à croire qu'il ait pu habiter l'imagination d'une femme par ailleurs cultivée et du meilleur monde : Mme d'Urfé voudrait réaliser " l'hypostase de Paracelse ", ce qui, en termes moins sibyllins, signifie qu'elle désire avoir un enfant d'un esprit élémentaire ou d'un démon. Précisons qu'il s'agit d'un enfant dans lequel passerait son âme propre, ce qui lui assurerait l'immortalité et, par la même occasion, lui permettrait d'expérimenter le changement de sexe, puisqu'il serait loisible de le faire naître mâle à travers l'expérience !

    L'opération magico-cabalistique est mise en train. Mme d'Urfé a même couvert Casanova d'or pour qu'il lui trouve un poison très spécifique par lequel elle devra mourir quand naîtra sa masculine réincarnation. Entre-temps, l'occultiste est mêlé à une autre histoire de sorcellerie crapuleuse et d'avortement. Il a voulu rendre service à une de ses anciennes amies de Venise, Justinienne Wynne, qui a eu le malheur de se faire mettre enceinte par un autre alors qu'elle souhaitait se faire épouser par le célèbre financier de la Popelinière, le plus opulent des mécènes de l'époque. On attaque aussi Seingalt en justice pour maintes créances impayées... Il sera arrêté le 2 décembre 1759, et la marquise d'Urfé mourra, persuadée qu'elle porte en son sein l'enfant magique dans lequel elle doit se réincarner.

    Peu de gens aujourd'hui connaissent Casanova de Seingalt, escroc sans doute, mais peut-être vaguement inspiré et possesseur d'au moins quelques secrets de la tradition perdue Il existe cependant deux ou trois associations d'occultistes qui se réclament de lui. Rue Marbeuf, dans le VIII arrondissement, le centre de rénovation psychique enseignait encore la magie en utilisant le mythique sceau de Salomon qui avait remarquablement guéri le comte de la Tour-d'Auvergne. De nos jours, les adeptes du curieux mage vénitien sont davantage des tireurs d'horoscopes que de véritables détenteurs de science secrète. Ils font néanmoins partie de cette population mystérieuse, ou simplement insolite, de la capitale, que l'histoire officielle ne permet que bien rarement de soupçonner et qui agit pourtant dans l'ombre...

      En remplaçant avec plus ou moins de bonheur le Dieu de l'ancien régime et du clergé réfractaire, l'Etre suprême de la Révolution ne chassa pas le Diable et ses sorciers.

    Des fantômes hantent la place de Grêve, où se produisent depuis des centaines d'années les exécutions capitales. D'autres apparaissent toujours dans les carrières de Montmartre ou bien aux catacombes, où l'on a déjà transporté des charretées d'ossements en provenance des cimetières du Paris de jadis saturés et malsains. Mais c'est aux Tuilerie que sévit le plus célèbre d'entre-eux, celui qu'on appelle le "petit homme rouge".

     Il apparaît dit-on, à chaque fois qu'un malheur menace les habitants du palais. On l'a décrit de bien diverses manières. Tantôt c'est un diablotin sautillant et égrillard. Tantôt c'est un démon plus digne, faustien, en quelques sorte, bien qu'il soit moins terrifiant que le Méphisto du mythe allemand Mme de Campan, la suivante de Marie-Antoinette, l'a aperçu peu avant l'exécution de Louis XVI pendant les premiers jours d'août 1792. On dit même que la reine était présente lors de la manifestation du petit lutin pourpre. L'apparition n'a rien dit. Elle s'est contentée de grimacer et de paraître se moquer des deux femmes. Il reviendra pour annoncer la chute de Napoléon puis celle de Charles X.

    Qui aurait pu penser que Bonaparte, jeune militaire sans solde puis Empereur, ait fréquenté les sorciers et les astrologues.

    Bonaventure Guyon, un étrange professeur de mathématique céleste, et la grande mademoiselle Lenormand le reçurent pourtant. Ils lui prédirent son extraordinaire destinée puis le déclin de l'aigle. Et rien n'empêche de croire qu'il accorda foi à ces voyances. Il remercia en effet 'obscur Bonaventure en le nommant bibliothécaire du Palais et, en ce qui concerne la renommée de la cartomancienne de la rue de Tournon, il faut reconnaître que l'empereur et Joséphine furent pour beaucoup dans l'incroyable succès de mode qu'elle connut au début du XIXè siècle.

    Ce n'est certes pas le romantisme et ses implications multiples qui vont mettre en doute la suite de l'histoire mystérieuse de Paris. On peut même dire au contraire que tout l'occultisme florissant de la dernière partie du XIXè siècle et l'insolite de notre époque actuelle en vivent. Hugo fait surgir les fantômes du ventre de Paris et anime d'une existence étonnamment plausible les gargouilles de Notre-Dame. Dumas collectionne les histoires de revenants. Musset voit son double tout de noir vêtu.

    Et le 26 janvier 1855, à une grille de la rue de la Vieille-Lanterne, des passants découvrent le cadavre pendu de Gerard de Nerval, son  gibus noir en tête. Sue sa poitrine bleuie par un froid de - 18°C, dessinés à l'encre, des figures de la cabale et le célèbre pentagramme de Salomon...

     


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