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    Le char de la mort

    C'était un soir, en juin, dans le temps qu'on laisse les chevaux dehors toute la nuit.

    Un jeune homme de trézélan était allé conduire les siens aux près. Comme il s'en revenait en sifflant, dans la claire nuit, car il y avait grande lune, il entendit venir à l'encontre de lui, par le chemin, une charrette dont l'essieu mal graissé faisait : Wik! wik!

    Il ne douta pas que ce ne fût karriguel ann Ankou (la charrette, ou mieux la brouette de la Mort).
    - A la bonne heure, se dit-il, je vais donc voir enfin de mes propres yeux cette charrette dont on parle tant!
    Et il escalada le fossé où il se cacha dans une touffe de noisetiers. De là il pouvait voir sans être vu.

    La charrette approchait. Elle était traînée par trois chevaux blancs attelés en flèche. Deux hommes l'accompagnaient, tous deux vêtus de noir et coiffés de feutres aux larges bords. L'un d'eux conduisait par la bride le cheval de tête, l'autre se tenait debout à l'avant du char.

    Comme le char arrivait en face de la touffe de noisetiers où se dissimulait le jeune homme, l'essieu eut un craquement sec.
    - Arrête ! dit l'homme de la voiture à celui qui menait les chevaux .
    Celui-ci cria: Ho! et tout l'équipage fit halte.
    - La cheville de l'essieu vient de casser, reprit l'Ankou. Va couper de quoi en faire une neuve à la touffe de noisetiers que voici.
    - Je suis perdu! pensa le jeune homme qui déplorait bien fort en ce moment son indiscrète curiosité.

    Il n'en fut cependant pas puni sur-le-champ. Le charretier coupa une branche, la tailla, l'introduisit dans l'essieu, et, cela fait, les chevaux se remirent en marche. Le jeune homme put rentrer chez lui sain et sauf, mais, vers le matin, une fièvre inconnue le prit, et le jour suivant, on l'enterrait.

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    L'Ankou se sert d'un ossement humain pour aiguiser sa faux.
    Quelquefois il en fait redresser le fer par les forgerons qui, sous prétexte d'ouvrage pressé, ne craignent pas de tenir leur feu allumé, le samedi soir, après minuit.
    Mais le forgeron qui a travaillé pour l'Ankou ne travaille plus pour personne.

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    Le dernier mort de l’année, dans chaque paroisse, devient l’Ankou de cette paroisse pour l’année suivante.

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    L'Ankou

    On dépeint l’Ankou, tantôt comme un homme très grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, la figure ombragée d’un large feutre ; tantôt sous la forme d’un squelette drapé d’un linceul, et dont la tête vire sans cesse au haut de la colonne vertébrale, ainsi qu’une girouette autour de sa tige de fer, afin qu’il puisse embrasser d’un seul coup d’œil toute la région qu’il a mission de parcourir

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    L'Ankou

    Dans l’un et l’autre cas, il tient à la main une faux. Celle-ci diffère des faux ordinaires, en ce qu’elle a le tranchant tourné en dehors. Aussi l’Ankou ne la  ramène-t-il pas à lui, quand il fauche ; contrairement à ce que font les faucheurs de foin et les moissonneurs de blé, il la lance en avant.

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    L'Ankou

    Le char de l’Ankou est fait à peu près comme les charrettes dans lesquelles on transportait autrefois les morts.

    Il est traîné d’ordinaire par deux chevaux attelés en flèche. Celui de devant est maigre, efflanqué, se tient à peine sur ses jambes. Celui du limon est gras, a le poil luisant, est franc du collier.

    L’Ankou se tient debout dans la charrette.

    Il est escorté de deux compagnons, qui tous deux  cheminent à pied. L’un conduit par la bride le cheval de tête. L’autre a pour fonction d’ouvrir les barrières des champs ou des cours et les portes des maisons. C’est lui aussi qui empile dans la charrette les morts que l’Ankou a fauchés

     

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    L'Ankou

    Il ne faut jamais entrer pour la première fois dans une maison que l'on vient de faire construire sans y être fait précéder par un animal domestique quelconque, chien, poule ou chat.

    Quand une maison neuve est en construction, l'on n'a pas plus tôt mis en place la marche du seuil que l'Ankou s'y vient asseoir, pour guetter la première personne de la famille qui la franchira. Il n'y a qu'un moyen de l'éloigner : c'est de lui donner en tribut la vie de quelque animal : un œuf suffit, pourvu qu'il ait été couvé. Dans le pays de Quimperlé, on immole un coq et on arrose les fondations avec son sang. 

     

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    L'Ankou

    La ballade de l'Ankou 

    Vieux et jeunes, suivez mon conseil.

    - Vous mettre sur vos gardes est mon dessein ; - Car le trépas approche, chaque jour, - Aussi bien pour l’un que pour l’autre.

    - Qui es-tu ? dit Adam. - A te voir j’ai frayeur.- Terriblement tu es maigre et défait ; - Il n’y a pas une once de viande sur tes os !
    - C’est-moi, l’Ankou, camarade ! - (C’est moi) qui planterai ma lance dans ton cœur; - Moi qui te ferai le sang aussi froid - Que le fer ou la pierre !
    - Je suis riche en ce monde ; - Des biens, j’en ai à foison ; - et si tu veux m’épargner, - Je t’en donnerai tant que tu voudras.
    - Si je voulais écouter les gens, - accepter d’eux un tribut, - (Ne fût-ce) qu’un demi-denier par personne, - je serais opulent en richesses !
    Mais je n’accepterai pas une épingle, - Et je ne ferai grâce à nul chrétien, - Car , ni à jésus, ni à la Vierge, - Je n’ai fait grâce même.
    Autrefois, les “pères anciens” - Restaient neuf cent ans sur la brèche. - Et cependant, vois, ils sont morts, - Jusqu’au dernier, voici longtemps ! Monseigneur saint Jean, l’ami de Dieu ; - Son père Jacob, qui le fut aussi ; - Moïse, pur et souverain ; - Tous, je les ai touchés de ma verge.

    Pape ni cardinal je n’épargnerai ; - Des rois (je n’en épargnerai) pas un, - Pas un roi, pas une reine, - Ni leurs princes, ni leurs princesses.
    (Je n’épargnerai) archevêque, évêque, ni prêtres, - Nobles gentilshommes ni bourgeois, - Artisans ni marchands, - Ni pareillement, les laboureurs.

    Il y a des jeunes gens de par le monde, - qui se croient nerveux et agiles ; - Si je me rencontrais avec eux, - Ils me proposeraient la lutte.
    Mais ne t’y trompe point, l’ami ! - Je suis ton plus proche compagnon, - Celui qui est à ton côté, nuit et jour, - N’attendant que l’ordre de Dieu.
    N’attendant que l’ordre de Père Éternel ! …Pauvre pécheur, je te viens appeler. - C’est moi l’Ankou, dont on ne se rachète point ! - Qui se promène invisible à travers le monde ! - Du haut du Ménez, d’un seul coup de fusil, - Je tue cinq mille (hommes) en un tas !

     

    Pour ceux qui veulent voir la vidéo de cette page cliquez sur le lien ci-dessous : 

    "L'Ankou"


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    La figure d'Actéon pourrait constituer, dans la mythologie grecque, un avertissement adressé aux mortels de ne point trop se rapprocher de la sphère des dieux.

    Élevé par le centaure Chiron, le chasseur Actéon arriva par hasard à l'endroit, non loin de la ville d'Orchomène, où Artémis se baignait avec ses nymphes dans la fontaine Parthénios.

    Au lieu d'être saisi d'une peur sacrée et de se détourner aussitôt, il demeura pour observer la scène qui ne devait être perçue par aucun être humain. La déesse de la chasse, furieuse, le transforma en cerf et il fut aussitôt déchiqueté par ses propres chiens de chasse.

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    Pour comprendre cette scène, il ne faut pas oublier que, membre de la famille royale de Thèbe, Actéon est le neveu de Sémélé, amante de Zeus, qui périt foudroyée d'avoir regardé le dieu, comme elle le lui avait demandé, dans la splendeur de sa gloire ; il est donc aussi le cousin du fils de Sémélé, Dionysos, dieu de la souffrance, du sacrifice et du démembrement. Autrement dit, Actéon renvoie sans doute à la notion de mysterium tremendum, de mystère terrifiant, telle que l'avais  dégagée le philosophe Rudolf Otto à propos de la notion de
    sacré ; on ne peut découvrir l'essence de la divinité, qu'à ses risques et périls - et on risque toujours d'en être foudroyé comme l'avait été Sémélé, ou les anciens Hébreux qui osaient porter la main sur la sainte arche d'alliance.

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    Ce thème d'Actéon n'est pas sans renvoyer non plus à la " vision de la femme nue " telle qu'elle était pratiquée dans certains cercles hermétiques ou tantriques de la " main gauche " ( c-à-d selon la voie de l'énergie sexuelle ), épreuve décisive, à la fois psychique et spirituelle, où le candidat à l'initiation devait surmonter l'épreuve de découvrir dans toute sa puissance l'essence du féminin surréel.

    Le démembrement et le déchiquetage par les chiens renvoient alors au déchirement psychique et la disparition de la personnalité consciente dans le gouffre de la folie :

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    " Il existe beaucoup de gens dont on peut affirmer qu'ils sont fous, et qui font l'expérience du divin, et je ne contesterai pas l'authenticité de leur vécu, car je sais que ce genre d'expérience nécessite courage et solidité pour qu'on puisse lui résister. C'est pourquoi j'ai pitié de ceux qui en ont été anéantis, et je ne leur ferai pas l'outrage de prétendre qu'ils auraient trébuché sur un simple obstacle psychologique "
    (C.G. Jung, La Vie Symbolique

     


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    Au XVIIIe siècle, les crapauds sont l'objet de rituels barbares particulièrement prisés de l'élite : baptisé du nom de Jésus-Christ au cours d'une messe noire, un crapaud est souvent crucifié, la tête en bas, à l'issue de la cérémonie. Cette mode persiste au XIXe siècle.

    Bien entendu, au XX° siècle, les crapauds n'ont pas cessé d'être les victimes des sectes de toute origine. En 1938, aux environs de Saint-Rémy-de-Provence, un journaliste a pu assister à une cérémonie de sorcellerie au cours de laquelle une "sorcière" jetait un sort mortel à une personne en criblant d'épingles une poupée, puis en la trempant dans le sang d'un crapaud préalablement crucifié sur une Bible.

    Crapauds et superstition


    Dans le monde entier, le crapaud semble avoir inspiré une même répulsion. Au Togo, la tribu des Hos a coutume de choisir un bouc émissaire pour "expier" les péchés collectifs de la tribu : le crapaud est traîné tout autour du village, jusqu'à ce qu'il meure.

    Dans l'ancienne Perse, les zoroastriens considéraient le crapaud comme un symbole du mal et le traitaient par conséquent en animal à détruire.

    Ces superstitions restaient profondément enracinées dans les légendes et dans le folklore quotidien des campagnes européennes. Aucun animal n'a suscité autant de dégoût, pas même le serpent, rejeté par les chrétiens comme symbole de la tentation.

    Crapauds et superstition

     Curieusement pourtant, certains ont tenté d'en inverser la signification. Clovis, le grand roi des Francs, portait trois crapauds sur sa bannière de guerre. La tradition veut que ces trois crapauds se soient transformés en trois fleurs de lis, ce qui expliquerait le choix de la fleur de lis comme symbole du pouvoir monarchique français. On attribue à cette transformation miraculeuse la conversion du roi barbare à la nouvelle religion de l'Europe romaine.

    Pour beaucoup d'historiens, il faut prendre au sérieux l'origine
    " amphibienne " possible de la fleur de lis des bannières royales françaises...

    Crapauds et superstition


    En Roumanie, les crapauds ne sont jamais molestés, même si le peuple les craint et les évite. On dit d'un homme qui est capable de tuer un crapaud, qu'il est capable de tuer sa propre mère.
    En Cornouailles, non seulement le crapaud est respecté, mais il est même vénéré et considéré comme porte-bonheur. Dans les mines d'étain de cette région, voir un de ces animaux est un heureux présage.

    Toujours en Grande-Bretagne, dans la région de Cambridge, on apprécie ces amphibiens, qui détruisent les araignées, lesquelles ont pris leur place comme créatures de Satan ! On raconte également que les crapauds peuvent indiquer, par leur comportement, le temps, les orages ou la sécheresse. Cette croyance est à mettre en relation avec le folklore de la grenouille dans son bocal, qui fait office de baromètre en montant ou en descendant d'un perchoir en forme d'échelle...

    Crapauds et superstition

    Dans le Norfolk, il existe également une très ancienne tradition liée aux rites de la terre. Dans cette région, toujours réputée pour la qualité de ses chevaux de labour, les charretiers forment une corporation, presque une société secrète. On les appelle les toadmen ( " hommes aux crapauds " ).

    L'un de ces toadmen, Albert Love, a révélé les secrets de ses compagnons et leurs art de mener les chevaux. Selon eux, il faut prendre un crapaud dans les joncs, le tuer et le laisser sécher 24 h sur un buisson d'aubépines. Il faut ensuite l'enterrer dans une fourmilière et l'y laisser jusqu'à la pleine lune suivante.

    Il faut alors récupérer le squelette du crapaud et le jeter, au clair de lune, dans un ruisseau. Si les os remontent le courant, on peut les conserver. Sinon, le " charme " est à recommencer.

    Les manipulations ne sont pas terminées. On doit étuver les os qui ont remonté le courant, les réduire en poudre et diluer cette poudre dans une huile spéciale. Avec le mélange ainsi obtenu, on enduit la langue, la bouche, les naseaux et le poitrail d'un cheval. Celui-ci est alors l'esclave de son maître et lui obéit au doigt et à l'œil...

    Crapauds et superstition

    La survivance de ces pratiques immémoriales permet de mieux comprendre une partie de l'aversion irraisonnée des Européens pour les crapauds. Intégrés aux coutumes magiques préchrétiennes, ces animaux, plutôt utiles, sont devenus symboles de paganisme et pourchassés comme tels. Le fait qu'ils aient été largement employés par les sorciers, qui ne faisaient souvent que reprendre un certain nombre de rites païens, est un indice supplémentaire. On peut supposer que, du temps où les Européens vivaient en paix avec leurs dieux païens, les crapauds connaissaient également la paix ! Nous avons vu que, chez les Romains, ils pouvaient servir à montrer le nord !

    Crapauds et superstition


    Après tout, l'attitude populaire à l'égard des crapauds (massacre de ce qui est jugé impie, indifférence ou porte-bonheur) est sans doute révélatrice de la capacité de tolérance et de respect d'autrui d'une société ou d'une culture...


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