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    Les Chats suppôts de Satan

    La démonisation du chat, particulièrement du chat noir, a des origines essentiellement chrétiennes, comme le démontre incontestablement le vocabulaire dont elle use et les notions théologiques auxquelles elle renvoie, notamment l'équation fondamentale chat = Satan.

    Elle apparaît, d'autre part, au moment où le christianisme semble solidement implanté et raffermi dans les population d'Europe.
    Fait très significatif, par ailleurs, la diabolisation du chat et la persécution atroce à laquelle elle donna lieu sont l'oeuvre, non des populations frustres, mais des classes dirigeantes, essentiellement ecclésiastiques, lesquelles élaborèrent et affirmèrent la doctrine officielle du chat démoniaque, le compagnon maudit des sorcières et de leurs sabbats, qui fut la règle jusqu'au siècle des Lumières.

    Les Chats suppôts de Satan

    Et ce, pour deux raison : la volonté d'exterminer les vestiges païens demeurés encore vivaces dans la culture populaire ; d'autre part, la détermination farouche d'éliminer, en les satanisant, les divers courants marginaux, sectes hérétiques ou dualiste, ressentis comme une Contre-Eglise.

    Les Chats suppôts de Satan

    Assimilé à la fois à la figure de la Diane gallo-romaine ou de la Freya germanique, déesse de la fécondité mais encore très honorées à l'époque dans les campagnes, et aux avatars de l'Isis égyptienne, qu'étaient soupçonner de continuer à adorer les adeptes des cultes gnostique, le chat devint logiquement la victime toute désignée des peurs de l’intolérance et du fanatisme de l'orthodoxie religieuse en place.

    Le processus de démonisation se fit de façon progressive, et non sans un scénario rituel passablement ambigu. Fondé en 961 par le comte de Flandre Baudoin III, la cérémonie du " Kattestoet " est le meilleur exemple de ces tentatives préliminaires, dont l'imperfection saute manifestement aux yeux. C'était un sacrifice annuel de deux chats, institué pour proclamer publiquement le renonciation de tout un peuple à ces anciennes pratiques païennes.

    Les Chats suppôts de Satan

    Tous les 28 février, au son des cloches de la ville d'Ypres, carillonnant toutes ensemble, deux malheureuses bêtes étaient jetées vivantes du haut des tours du manoir de Korte-Mers et s'écrasaient sur le sol au milieu des vivats du peuple, présidé par ses autorités civiles et religieuses.

    La fête se poursuivit sans interruption jusqu'en 1578, date à laquelle les calvinistes, s'étant rendu maîtres pour un temps de la cité, l'abolirent, y voyant une cruauté inutile, mais aussi, derrière le masque d'une adhésion aux dogmes chrétiens.

    Effectivement, ils étaient dans le vrai. Car, si, au premier degré, la mise à mort des chats pouvait être interprétée comme une mise à mort symbolique du diable, ainsi que l'avait voulu le fondateur de la cérémonie, une analyse plus poussée permet de voir tout à fait autre chose dans le " kattestoes ". Deux choses doivent retenir l'attention : d'abord, il s'agit, non d'une extermination générale des chats de la ville, mais d'une exécution limitée à deux animaux ; ensuite, ce qui en constitue l'élément central et essentiel, c'est qu'il y ait du sang répandu.

    Les Chats suppôts de Satan

    Or, tout ceci est la caractéristique même de tous les rites sacrificiels propres aux cultes agraires de la fécondité. Certes, il faut que les victimes soient ressenties comme innocentes et par conséquent revêtues de sacralité. Si bien que les deux chats étaient censés périr pour revivre, laver les vivants de leurs souillures et régénérer le monde usé et vieilli !

    Le " Kattestoet " n'était pas sans présenter une certaine analogie ou entretenir une confusion avec le rite chrétien de la messe, répétition symbolique du sacrifice sanglant du Christ sur la croix. Ce qui donne du crédit à l'hypothèse, c'est qu'il se soit perpétué malgré les aléas historiques qu'il subsiste, de nos jours encore, sous la forme bien moins cruelles, il est vrai, d'un lancer de chats postiches.

    Avec l'entrée en scène des théologiens disparaît, en revanche, la signification équivoque de la répression du chat diabolisé. Bien sûr, sa figure n'apparaît pas immédiatement comme l'incarnation privilégiée de Satan.

    Les Chats suppôts de Satan

    Mais un siècle plus tard, le fantasme est définitivement établi et fixé. Le prélat anglais Walter Map, présente le chat comme l'incarnation même de Lucifer dans les cérémonies qu'ils attribuent aux Vaudois, c'est-à-dire, selon lui, a des sectateurs du démon qui se cachent sous l'appellation d'hérétiques.

    Selon les dires, l'apparition du diable s'effectuait de la façon suivante. Dans une salle, hermétiquement close, appelée par lui " synagogue ", surgissait soudainement un chat noir de taille monstrueuse et dont le regard avait pour effet de chasser immédiatement de la pièce toutes les lumières. Il faisait, alors, reconnaître sa véritable identité par ses adeptes en exigent qu'ils lui rendent hommage en le baisant sous la queue, puis donnait le branle à une orgie criminelle, dans laquelle tous les excès étaient permis.

    Les Chats suppôts de Satan

    Le plus grand théologiens de l'époque, le Français Alain de Lille, suivi de bien d'autres, donna sa caution morale à ces élucubrations. Il ouvrit même la voie à l'amalgame généralisé, soutenant que le chat était la figure centrale de tous les cultes dissidents sans restriction.

    Dans son traité Contre les hérétiques du temps, il va même jusqu’à récuser l'étymologie traditionnelle - et véritable - du terme " cathare "
    (signifiant " pur " ), affirmant qu'en réalité il dérive du bas-latin cattus, c'est-à-dire " chat " ! Par conséquent, concluait-il, les cathares sont bel et bien des adorateurs du diable !

    Les Chats suppôts de Satan

    A force d'être répétées, ces idées extravagantes finirent par être admises comme des vérités établies par l'ensemble de la population. Lucifer, prince des démons, s'incarne aux yeux de ses fidèles sous la forme d'un chat noir énorme, qui jaillit à minuit d'une statue placée au milieux du cercle magique formé par ses fidèles.

    La base mythique de ces billevesées semble être la légende créée autour de la personne de Saint Clément de Metz. Selon le récit hagiographique, la ville était jadis le théâtre de scènes d'hystérie collective. Dès que survenait juin, le peuple était pris d'envie irrésistibles et frénétiques de danses échevelées, que rien ne pouvait arrêter et qui se terminaient par un bacchanale générale et crapuleuse.

    Les Chats suppôts de Satan

    Un jour qu'il était de passage dans la cité, stupéfait de ce qu'il venait de voir, un pieux chevalier, saint Clément, décida de s'arrêter dans une auberge pour tenter de tirer au clair les raisons de cette folie étrange. Le soir venu, il aperçut soudain, dressé dans la cheminée de sa chambre, un gros chat noir qui le fixait de son regard flamboyant et lourd de menaces. Faisant front, saint Clément saisit son épée en faisant le signe de croix.

    Comme terrifiée, l'apparition disparut immédiatement, crachant des flammes et des blasphèmes. La ville reprit son apparence paisible et naturelle. Mais, poursuivit la légende, le Mal revenait immanquablement, dès que les mauvais chrétiens apparaissaient à Metz. Pour décourager le démon de persister dans ses maléfices fut institué le rite d'un autodafé félin.

    Chaque année, en juin, en grande pompe, devant le peuple et les autorités civiles et religieuses, treize chats ( le chiffre 13 étant considéré alors comme le nombre du diable ) étaient jetés vifs dans un gigantesque brasier allumé sur la place de l'esplanade.

    Les Chats suppôts de Satan

    La tradition attribuait l'origine de cette cérémonie de désenvoûtement collectif aux premiers siècles de notre ère. Son institution remonte en réalité au XIIIè siècle, à l'époque où sévissait en tant que grand inquisiteur du Saint Empire le sinistre et fanatique Conrad de Marbourg, célèbre par ses innombrables bûchers qu'il alluma dans la région rhénane entre 1231 et 1233.

    Le jet du chat dans le feu pourrait faire penser au rite gaulois, rapporté par César, de sacrifices d'animaux et de criminels enfermés dans des mannequins d'osier. Plusieurs raisons entraînent à rejeter cette origine de l'autodafé de chats. D'abord, il s'agissait chez les Celtes d'une cérémonie effectuée en l'honneur de Taramis, divinité céleste et solaire. Or ce culte a disparu dès l'époque gallo-romaine. 

    Les Chats suppôts de Satan

    D'autre part, au Moyen-Age, le chat et le satanisme relèvent de vestiges de cultes de la fécondité, donc agraires et telluriques, comme l'attestent les éléments orgiaques qui leur sont toujours associés. Enfin, les supplices en question se déroulent presque uniquement en terre de peuplement germanique, où l'existence de sacrifice par le feu n'a jamais été rapportée.

    La destruction par le feu est issue incontestablement de la tradition judéo-chrétienne, marquée profondément par le mythe apocalyptique qui voit dans le feu la punition infligée par le Ciel aux forces du Mal ( thème cosmique de la lutte des fils de la Lumière et des fils des ténèbres). Le fait qu'elle se généralise en tant que moyen de vaincre le démon, de préférence aux sacrifices sanglants, traduits, d'ailleurs, les progrès de la christianisation de la société médiévale.

    Contrairement à une idée qui a été trop longtemps répandue, l'existence d'un culte parallèle au christianisme et se manifestant sous la forme d'une sorcellerie organisée n'appartient qu'au domaine de la pure fiction. Dans sa structure, la démonisation du chat est demeurée un fantasme qui ne s'est jamais dissocié du schéma défini par la théologie des XIIe et XIIIe siècle.

    Les Chats suppôts de Satan

    Les aveux des sorcières, arrachés par les tortures de l'Inquisition, démontrent, en effet, même chez celles qui étaient persuadées servir réellement Satan, la nature chrétienne de leurs convictions, inversées bien sûr, puisque pour elles, le sauveur c'est le Diable et non le Christ. Il n'en reste pas moins que ces convictions étaient parfaitement authentiques.

    En revanche, il est vrai, il en est résulté une représentation démonologique de plus en plus diffuse. Progressivement, l'idée du pacte avec le diable a cessé d'être attribuée aux groupements spécifiquement hérétiques, donc constitués d'individus connus ou facilement identifiables. Elle disparaît totalement au XVI siècle, avec l'apparition de la Réforme et de la Contre-Réforme.

    Les Chats suppôts de Satan

    Confinée dans le domaine du surnaturel, la croyance dans la réalité de la sorcellerie n'en a pourtant pas été moins vive. La chasse aux sorcières et la démononisation du chat ont atteint leur maximum d'intensité aux XVIè et XVIIè siècles. Mais, parallèlement, cette démonologie complètement occultée, c'est-à-dire rejetée dans la fantasmagorie à l'état pur, resurgit sous l'aspect de croyance très anciennes, encore que très dégénérées par le syncrétisme et le cadre merveilleux dans lequel elles s'expriment.

    C'est la raison pour laquelle les récits les plus insolites, étranges et saugrenus sur les sorcières et les chats datent de cette époque. Le baptême du chat avait le pouvoir, disait-on, de provoquer le déchaînement des éléments.
    Jeté dans la mer, l'animal provoquait des tempêtes d'une violence inouïe. Enterré dans un champ, il rendait celui-ci stériles et pouvait même entraîner la mort de l'imprudent qui, innocemment, en foulant le sol de ses pieds. Mis dans les flammes, il envoûtait à distance ceux dont la sorcière prononçait les noms.

    Les Chats suppôts de Satan

    C'était lui, enfin, qui donnait à cette dernière le pouvoir magique de s'élever avec une grande rapidité dans les airs, grâce au fameux balai sur lequel souvent il montait en croupe.

    On racontait aussi qu'elles pouvaient se métamorphoser en chats - mais neuf fois seulement, c'est-à-dire le nombre triple de la Trinité ! - et ainsi exercer leurs méfaits impunément, ou fuir de façon inopinée un danger. L'idée que le chat était une sorcière, et inversement que celle-ci était un animal, s'est répandue dans toute l'Europe, avec une crédulité inimaginable, au moment même où régnait Louis XIV.

    Attaqué de nuit par trois chats, un habitant de Strasbourg eut la surprise, dit-on, de constater que les blessures qu'il avait faite pour se défendre aux trois animaux étaient identiques à celles dont souffrait , le lendemain, trois des plus respectables bourgeoises de la ville.

    Les Chats suppôts de Satan

    En Ecosse, un gentilhomme qui avait constaté des vols de vin dans sa cave décida de s'y cacher nuitamment ; il eut à faire face à une meute de matous déchaîné, et ne put s'échapper qu'en en blessant un grièvement ; le jour suivant, il apprit qu'une femme du voisinage agonisait, la jambe à demi amputée, c'est-à-dire, d'une blessure identique à celle du chat qu'il avait frappé.

    Au Pays basque, on était persuadé que des sorcières venaient, la nuit, voler le lait des vaches en empruntant la forme du chat.

    Le délire irrationnel fini par faire craquer le cadre rigide de la démonisation chrétienne du chat. Retrouvant le principe d'ambivalence que prête l'animisme aux puissances magiques, les gens crurent que l'animal pouvait à la fois servir à procurer des remèdes ou des maléfices. Orgelets et panaris frottés avec une queue de chat noir étaient censés guérir comme miraculeusement et, si l'on prenait soin d'en enterrer une devant le seuil de la porte, on était assuré que jamais la maladie ne pénétrerait dans la maison.

    Les Chats suppôts de Satan

    En Bretagne, au XIXe siècle, le recteur passait pour avoir le pouvoir de se métamorphoser en ombre de chat, et ainsi empêcher ses paroissiens de se livrer au péché !

    En revanche, un objet appartenant à quelqu'un et frotté sous le ventre du chat provoquait immédiatement une maladie incurable à son propriétaire. Quant à la graisse d'un chat tué, elle servait à fabriquer le sortilège le plus terrible, celui auquel même un saint ne pouvait échapper : la chandelle de l'Homme mort. Fondue et coulée autour d'une mèche de cheveu retirée à un cadavre - de préférence un pendu ! - , sa lueur foudroyait l'imprudent qui la regardait !

    Placé dans les murs, sous le plancher ou dans la solivure d'un édifice ou d'une demeure, le cadavre d'un chat fraîchement tué avait, enfin, la vertu d'en assurer une protection contre tous les mauvais coups du sort.

    La pratique semble être née en Angleterre, au XVII siècle, comme en témoignent les squelettes retrouvés dans la Tour de Londres, la cathédrale de Dublin, de nombreux château du Yorkshire et même dans l'un des murs de la citadelle de Gibraltar. Elle ne s'est éteinte, d'ailleurs, tout à fait, que dans les dernières années du XIXè siècle, ainsi que l'atteste une anecdote authentique, survenue en Cornouailles en 1890.

    Les Chats suppôts de Satan

    Lors de la construction d'une maison, une grève éclata parmi les ouvriers, et les maçons prévinrent qu'ils ne reprendraient le travail que si le maître d'oeuvre respectait la tradition d'emmurer vivant un chat dans les fondations.  Ami des bêtes et hostile à des usages aussi cruels que stupides, mais néanmoins habiles négociateur, celui-ci parvint à trouver un biais satisfaisant pour tout le monde. On substitua au chat un lièvre mort, et le travail reprit.

    Dieu merci, ce n'était pas le premier geste du processus de réhabilitation du paisible animal domestique...

                                                                                          Extrait de " Inexpliqué " 1981

     

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    Le Chat - La Légende

    Ni animal sauvage ni animal domestique, s'étant seulement laissé apprivoiser, le chat possède des rapports avec l'homme unique en son genre. Son instinct farouche d'indépendance, une dignité sereine et hiérarchique, une élégance et une grâce naturelle le distinguent des espèces depuis longtemps domestiquées.

    On est à peu près certain que, comme l'homme, il est né en Afrique, durant la période protohistorique, du croisement de deux sous-espèces félines par la taille et par l'aspect : le chat fauve - ou chat ganté - et le Chaus ressemblant un peu au lynx.

    Le Chat - La Légende

    C'est en Egypte semble-t-il, que l'apprivoisement fut réussi pour la première fois. De quelle manière ? Sans doute progressivement. Attiré peut-être par la chaleur des feux, l'animal s'habitua à la présence de l'homme et accepta sa compagnie. Dès le IIIè millénaire avant J-C, il figure en tout cas sur les fresques et peintures funéraires, il est représenté  par des statues de bronze datant de l'époque des premières dynasties pharaoniques.

    Le Chat - La Légende

    Des restes momifiés découverts dans de vastes nécropoles félines attestent l'existence de deux variétés apprivoisées par les habitants de la vallée du Nil : un chat ganté comme animal de compagnie et gardien des provisions du foyer contre les petits rongeurs, un type Chaus en tant qu’auxiliaire de chasse pour traquer le gibier pullulant dans les marais. Avantage certain sur les autres civilisations, son exportation était interdite.

    Elle eut lieu néanmoins, malgré les peines sévères édictées à l'encontre des contrevenants, et cette contrebande permit l'extension du chat apprivoisé progressivement à l'ensemble de la planète.

    Le Chat - La Légende

    Grâce à des croisements avec de petits félins indigènes restés à l'état sauvage, de nombreuses races pures ainsi apparaître et se multiplier, d'autant plus aisément que le chat possède une capacité de mutation générique très grande. Apparié, en Asie occidentale, aux chats sauvages des steppes, le chat d'Egypte serait à l'origine des variétés à poils longs, angoras ou persans.

    Le Chat - La Légende

    L'espèce siamoise résulterait de l'accouplement de chats du Bengale et d'ocelots de chine. Au Ier millénaire avant J-C, le chat est répandu dans ces divers pays. En Occident, en revanche, son introduction fut plus tardive. Elle est le fait des légions romaines. Et les différentes races actuelles proviennent de croisements complexes avec des chats sylvestre locaux.

    Entre-temps, dans son pays d'origine, l'Egypte, le chat faisait l'objet d'une promotion exceptionnelle qui le plaçait à l'intérieur du panthéon divin. Il ne s'agissait pas, comme on l'a cru longtemps, d'une zoolâtrie vulgaire. Impressionnés par les variations de la pupille qui donne à l'animal son regard énigmatique et expressif, capable, lorsque l’œil se dilate et s'arrondit, de capter toute la lumière, apte également, à l'instar du serpent, à soutenir avec une intensité fascinante le regard humain, les Égyptiens virent dans le chat une manifestation, accessible à l'homme, du principe divin suprême, l’œil solaire.

    Le Chat - La Légende

    De façon très significative, ils avaient d'ailleurs donné au chat le nom de " Mau ", terme signifiant également œil dans leur langage. Un mythe expliquait l'apparition de cet avatar divin.
    Déçu par la vilenie des hommes, l'antique dieu du ciel, Horus-Râ, décide un jour de les punir et, incarnant sa colère sous la forme de la lionne Sekhmet, il s'emploie à en détruire la race.

    Mais, accessible à la pitié et accordant son pardon, il décide d'arrêter sa fureur vengeresse et transforme Sekhmet par la puissance de son verbe en Bastet, la chatte, et, dégoutté de tout, se retire au ciel, laissant aux divinités émanées de lui, plus neuves et plus compréhensives des imperfections humaines, la charge de conduire désormais le monde.

    Le Chat - La Légende

    Incarnant la bienveillance divine, Bastet devint très populaire.
    D'abord divinité céleste et garantes de l'ordre du monde, elle évolue, lors du déclin de la religion solaire et du triomphe du culte osirien, en avatar d'Iris, la déesse magicienne qui, par la momification, permet la survie après la mort dans l'au-delà.

    Ses dévots avaient à cœur d'embaumer à leur frais tous les chats, qui étaient sa manifestation visible. Une seule métropole, celle de Beni Hassan, a révélé la présence de plus de 3 000 momies félines - une bonne partie ayant été d'ailleurs perdues, les Anglais, qui ne savaient pas de quoi il s'agissait, ayant expédié par bateaux entiers ces restes dans leurs pays natal pour être utilisés en tant qu'engrais !

    Selon le témoignage d'Hérodote, les fêtes annuelles de Bastet se déroulaient en mai dans le grand temple de Bubastis, dans le delta. Elles comptaient parmi les plus importantes des cérémonies religieuses de l'Egypte et attiraient des dizaines de milliers de fidèles, venus en barque des provinces les plus lointaines. Sur tout le trajet, et notamment à chaque halte, se formait une gigantesque sarabande, la foule s'adonnant à la danse rythmée au son de la flûte, s'enivrant de musique et de vin et se livrant aux débordements sexuels.

    Le Chat - La Légende

    Le sens de la fête est clair : il s'agit d'un rite de rénovation périodique du monde, la victoire des forces de la vie sur la mort, du printemps sur l'assouplissement de l'hivers. D'élément ordonnateur du monde, le chat devient donc une représentation exclusivement agraire de type orgiaque, qui caractérise le culte déclinant de Bastek. C'est ce qui explique peut-être l'hostilité qu'allait éprouver par la suite le christianisme à l'égard du paisible félin.

    Cette évolution réductrice n'a pas existé parmi les autres civilisations anciennes. En Extrême-Orient, en Indonésie ou au Cambodge, l'attribution de pouvoirs magiques au chat est nette, mais ne lui a valu nulle démonisation, par conséquent nulle mise à mort rituelle. Plongé dans une mare, aspergé d'eau ou obligé à traverser une rivière dans laquelle il avait été jeté, il était censé contraindre les génies de l'atmosphère à donner aux hommes la pluie qui se faisait attendre pour les récoltes.

    En Chine, en revanche, ont coexisté deux rites, l'un sacrificiel ( le chat tué et enseveli dans un champs étant censé garantir une bonne récolte pour l'année suivante ), l'autre de pure vénération. Très pragmatiques, les Chinois semblent d'ailleurs s'être montrés plus sensibles à son rôle de prédateur : le chat éliminait en effet les rongeurs nuisibles aux récoltes et dévoreurs des élevages de vers à soie.

    Le Chat - La Légende

    Considéré le plus souvent comme porte-bonheur, on lui attribuait le pouvoir d'attirer, selon sa couleur, l'or ou l'argent dans la maison où il avait élu domicile, et son départ signifiait l'irruption du malheur sur le foyer ( c'est la raison pour laquelle on l'attachait généralement à une laisse ). Capable d'augurer les catastrophes naturelles par son agitation ou le simple clignement d'un de ses yeux, il était à la Cour impériale l'objet des observations attentives des devins et des mages attachés à sa personne.

    Dans le monde indien, il symbolisait la béatitude de l'ascète, et son indifférence apparente à l'aspect immédiat des choses n'était que le signe d'une sagesse supérieure, d'où son rôle ambivalent de force tour à tour bénéfique et maléfique, lorsqu'il apparaît sous figure de monture de la Yogoni Vidâli, la destructrice et la régénératrice du monde usé.

    Le Chat - La Légende

    Outre son rôle utilitaire d'exterminateur des rats et des souris, il fut en Occident antique particulièrement attaché à la fonction guerrière. Certaines cohortes de légionnaires romains allaient au combat sous les couleurs rouge ou verte. Les peuples germaniques, notamment les Suèves, les Vandales ou les Burgondes, brandissaient, en revanche, des étendards portant un chat noir sur fond d'argent qui symbolisait la Liberté.

    Le Chat - La Légende

    Mis à part le Talmud, qui prête au placenta de chatte noire le pouvoir de faire voir les démons à celui dont on frotte les yeux, peu de tradition anciennes ont diabolisé le félin familier à l'homme. Les Celtes estimaient qu'au travers l’œil du chat, les fées observaient le monde terrestre. L'Islam a pour lui un préjugé favorable en souvenir de l'amour que le Prophète éprouvait pour cet animal.

    Il courait d'ailleurs au début du siècle, en Turquie, une légende, naïve mais ravissante, illustrant les sentiments de Mahomet à l'égard du chat, auquel il a donné la préférence sur les femmes en le mettant dans le paradis, d'où il les a exclues.

    " Le minet du Prophète était un jour, couché sur une manche de la veste de son maître, et il méditait si profondément sur un passage de la Loi de Mahomet, que l'heure appelait à la prière, n'osant le tirer de son extase, coupa sa manche pour ne pas le déranger. A son retour, il trouva son chat qui revenait de son assoupissement extatique et qui, voyant sous lui la manche que Mahomet avait coupée, reconnut l'intention de son maître pour lui. Il se leva pour faire la révérence, dressa la queue et plia son dos en arc pour lui témoigner plus de respect.

    Le Chat - La Légende

    " Mahomet, qui comprit à merveille ce que cela signifiait, assura au saint homme de chat une place au paradis. Ensuite, lui passant trois fois la main sur le dos, il lui imprima par cet attouchement la vertu de ne jamais tomber sur cette partie : de là vient que les chats retombent toujours sur leurs pattes. "

    Explication de leur agilité proverbiale dont l'ingénuité fait évidemment sourire ! Grâce divine ou simple héritage génétique, la gent féline allait toutefois avoir un sérieux besoin de cette faculté pour survivre aux malheurs qui fondirent sur elle, lors de sa démonisation après l'an mil.

                                                                                    Extrait de " Inexpliqué " 1981

     

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    Sur les trace de l'Australopithèque

    L'histoire de l'évolution des primates semble intimement liée aux importants bouleversements climatiques qui survinrent il y a une vingtaine de millions d'années. A cette époque, l'humidité des régions tropicales commence à diminuer progressivement, entraînant parfois de spectaculaires modifications dans le paysage : la forêt devient savane. Certains singes, plus téméraire et plus curieux que leurs congénères, n'hésitent pas à quitter leur refuge sylvestre pour s'aventurer dans ce nouvel environnement.

    Mais, dans ce milieu hostile, où rodent de puissants et féroces carnassiers, l'expérience ne tardera pas à tourner au désastre pour nombre de ces valeureux pionniers. Pour échapper à l'avidité des grands prédateurs, plus rapides, quelques simiens tentent alors de se dresser sur leurs membres postérieurs de manière à voir au-dessus des hautes herbes et à éviter toute attaque surprise.

    Sur les trace de l'Australopithèque

    Ainsi s'opère le passage de la quadrupédie à la bipédie, avec, entre autres conséquences, la libération des mains qui pourront alors servir à la fabrication d'armes et d'outils. Cette position entraîne par ailleurs un basculement progressif du crâne vers l'avant et, de ce fait, un accroissement du volume de la partie postérieure du cerveau.

    Cette hypothèse illustre magnifiquement la théorie de Darwin, montrant le rôle prépondérant de la pression sélective du milieu sur l'évolution. Seuls les singes les plus rusés, les plus intelligents, les mieux armés génétiquement, ont pu trouver les ressources nécessaires pour s'adapter et de survivre dans ce nouveau décor. Les autres furent, peu à peu, inexorablement éliminés.

    C'est ainsi que trois groupes d'hominidés se dégagèrent insensiblement de l'ensemble des singes : les Oréopithèques, les Gigantopithèques et les Ramapithèques.

    Sur les trace de l'Australopithèque

    L'Oréopithèque fut découvert en 1870 dans une roche extraite d'une mine de la région de Toscane. L'étude détaillée de sa morphologie permit aux spécialistes d'avancer que cet ancien primate, vivant près de 12 millions d'années fut un des tout premiers hominidés à adopter la position bipède. L'Oréopithèque, dont la taille n'excédait pas 1,20 m pour un poids de 40 kg, habitait les forêts et les marécages du Miocène supérieur, se déplaçant de branche en branche à l'aide de ses longs bras ou courant sur ses pattes postérieures dans les terrains un peu plus dégagés. Un autre squelette fossile de cet espèce fut mis au jour en 1958 par le Suisse J. Hürzeler.

    Sur les trace de l'Australopithèque

    En ce qui concerne le Gigantopithèque, seuls quelques fragments de mâchoires furent retrouvés en Chine dans des sites vieux
    de 2 à 10 millions d'années. Cet animal de taille exceptionnelle serait, de l'avis de certains savants, l'ancêtre de l' " abominable homme
    des neiges ", le mystérieux Yéti...

    Le troisième groupe, celui des Ramapithèques, est de loin le plus intéressant, dans la mesure où tous les éléments sembleraient le désigner comme l'ancêtre directe de l'homme actuel.
    Ces hominidés, dont on a exhumé les restes en Asie, en Europe et en Afrique, firent sans doute leur apparition il y a une vingtaine de millions d'années pour s'éteindre il y a seulement 7 millions d'années. L'étude de ces fossiles nous permet de penser que nous avons affaire à un animal pesant de 30 à 35 kg et probablement végétarien.

    Sur les trace de l'Australopithèque

    Il y a 12 millions d'années apparaissent enfin ceux que l'on peut à juste titre considérer comme les premiers hominidés : les Australopithèques. Et pourtant, la première trace que l'on puisse, sans ambiguïté aucune, attribuer à ces hominidés ne date que de 6 millions d'années au plus.
    Quant au plus récent de ces Australopithèques, un Australopithécus africanus âgé de 6 ans et découvert en 1924 par le célèbre naturaliste australien Raymond Dart, il vivait en Afrique du Sud il y a
    quelque 800 000 ans.

    A l'époque où vivaient ces australopithèques, il y a 2 millions d'années environ, naissait un autre hominidé, plus évolué, muni d'un cerveau plus volumineux, considéré comme le premier homme par la plupart des scientifiques contemporains : l'Homo habilis, le plus ancien représentant du genre Homo. (L'Homo habilis est lui aussi d'origine africaine : on en a retrouvé les traces en Afrique de l'Est, en Ethiopie et au Kenya, et en Afrique du Sud, à Sterkfontein. )

    Sur les trace de l'Australopithèque

    L'Homo habilis n'avait pas un régime de végétarien endurci comme les Australopithèques des bois avec lesquels il cohabitait, mais était incontestablement un omnivore.
    D'autres indices tendent à prouver que notre ancêtre déclencha la première révolution culturelle de l'histoire humaine : monticules de pierres servant à maintenir des poteaux qui auraient soutenu des abris, cailloux taillés pour en faire des outils, murets de roches disposés en arc de cercle comme pour constituer un paravent...

    Yves Coppens n'hésite pas à faire remonter l'apparition du langage, qui a dû jouer un rôle considérable dans les processus de transmission culturelle, à il y a 2 millions d'années. Toutes ces innovations amènent beaucoup de spécialistes à penser que l'Homo habilis aurait fort bien pu se servir de l'Australoithécus boisei comme d'un vulgaire gibier.

    Sur les trace de l'Australopithèque

    Chasseur ou non, cet homme primitif avait coutume de transporter la viande découpée loin du lieu de débitage, de manière à éviter les mauvaises rencontres ; il partageait ensuite son butin avec les siens. Tout en démarquant l'Homo habilis du reste du monde animal, ce genre de pratiques a sans doute contribué à resserrer les liens du groupe.

    Une intéressante hypothèse a été avancée par J.H. Fremlin, de l'université de Birmingham : selon cet éminent savant, la guerre aurait fort bien pu être à l'origine du développement  de l'intelligence.
    En effet, explique Fremlin, " il n'y a pas de limites utiles d'intelligence dans une compétition entre membres d'une même espèce. "

    Sur les trace de l'Australopithèque

    Cette classification, distinguant quatre formes parmi les hominidés fossiles qui vivaient il y a quelque 2 millions d'années, n'était pourtant guère satisfaisante. Certaines espèces présentent en effet des caractères de l'Australopithecus africanus mêlés à d'autres caractères, plus évolués, que l'on retrouve chez l'Homo habilis.

    Parmi ces fossiles un tant soit peu particuliers se trouve le squelette presque complet d'une femme d'une vingtaine d'années, prénommée Lucie par les paléontologistes. Des chercheurs que les restes découverts en 1974 sur un site vieux de 3 millions d'années, appartenaient à une nouvelle espèce dénommée pour la circonstance Australopithécus afarensis. Les fossiles d'Australopithèques, vieux de plus de 3 millions d'années, découverts en 1978 et 1979 sur un site en Tanzanie, appartiendraient eux aussi à la même espèce. Il semble que l'on tiendrait enfin le fameux " chaînon manquant " !

    L'homme ne va désormais pas tarder à se répandre sur toute la planète. L'homme habile, il devient alors astucieux. Le feu va faire de lui le maître du monde.

                                                                                   Extrait de " Inexpliqué " 1981

     


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    Ys, la Légende

    Ahès, la fille du roi Gradlon, est restée très près de son peuple et de ses croyances païennes. L'emprise grandissante du clergé chrétien sur son père et sur les affaires du royaume de Cornouailles la met mal à l'aise : elle décide de fuir Quimper, la capitale du roi Gradlon.

    Avant de partir, elle supplie son père :
    " Naguère, on trouvait à Quimper aise et liberté. Chacun portait habits et joyaux à sa guise et il m'advenait d'y rencontrer figures riantes, coiffures de fête et bandes joyeuses. Aujourd'hui, ce ne sont que robe de bure, crânes ras et grise mines. Les jeunes gens ressemblent aux vieillards. Gaïté n'a plus d'asile et vos moines, Seigneur, la mèneront en terre avant longtemps, au chant funèbre des litanies. Seigneur, je languis et je meurs. Bâtissez pour moi, au bord de la mer, une cité neuve, loin de vos forêts pleine d'ermites et de vos villes pleines de monastères. "

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Le roi Gradlon cède aux désirs de sa fille unique. Il lui construit " une grande ville située sur le bord de la mer, entre le cap de Fontenoy et la pointe de Croazon, où est, de présent, le golfe ou baie de Douarnenez et cette ville s'appelait Ys "

    La cité est magnifique : " Ys, protégée par une immense digue fermée de portes de bronze, ne vit pas précisément à l'heure chrétienne ni selon les mœurs préconisées par Corentin. Le roi lui-même aime y venir pour retrouver le visage de Malgwen, sa femme morte, la mère d'Ahès, et l'écho perdu de sa jeunesse.

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Gwénolé, le conseiller chrétien du roi Gradlon, tente bien de ramener la population dans le droit chemin de l'Eglise. Il lance de terrifiantes prédictions :
    " Vous avez bâti contre la mer, mais la mer est plus forte que vous. Elle vous envahira et elle submergera vos demeures. De même que vous avez bâti contre Dieu dans vos âmes, Dieu vous laissera"

    Les habitants d'Ys ne se soucient pas de ces paroles. Ils préfèrent suivre leur liberté retrouvée et leur belle princesse, qu'ils nomment Dahud, la "bonne sorcière". Malgré tout, celle-ci commence à être envahie d'un certain ennui : un seul objet lui est refusé, et c'est celui qui la tente le plus. Elle veut le pouvoir sur les écluses. Elle veut la clé d'or que détient le roi Gradlon.

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Elle sent aussi, insidieusement, le pouvoir des prêtres resserrer sa sombre emprise autour d'elle. Alors, par une nuit d'orage et de tempête, elle subtilise les clés du roi et déchaîne les vagues immenses de l'océan furieux. Car elle préfère " la mort subite à l'abjection de la mort lente " !

    Les eaux se ruent dans les plus bas quartiers de la ville. Les habitants hurlent. Gwénolé, averti par un songe se précipite au secours du roi et l'adjure de fuir dans l'instant. Au milieu de ses sujets pris de panique, Gradlon tente de retrouver sa fille, pour l'arracher aux eaux grondantes. A peine la trouve-t-il qu'il l'emporte sur la croupe de Morvac'h, son fameux coursier...

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Malgré toute sa force, Morvac'h ne peut rien contre la puissance des flots. Les lames rivalisent de vitesse avec lui. Par trois fois, Gwénolé enjoint au roi de rejeter à la mer le "démon" qu'il porte en croupe et dont les "péchés" alourdissent l'animal fabuleux.

    Gradlon ne peut s'y résoudre. Ahès est sa fille unique, née d'un amour parmi les plus grands que les hommes aient connus. C'est finalement le prêtre, qui, de sa crosse épiscopale, repoussera la fille du roi dans la mer. A l'instant même, la violence des flots déchaînés s'apaise. Le sacrifice est consommé !

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Née de la mer, Ahès est retournée à la mer. Là où s'étendait une cité merveilleuse roule une houle tranquille.

    Voici donc la forme pure de la légende de la ville d'Ys, telle que l'a retranscrite Albert le Grand, religieux de Morlaix, dans ses Vies des Saints de la Bretagne Armorique, qui datent du XVIIè siècle.

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Au XIXè siècle, cette riche matière ne pouvait que tenter les écrivains et les poètes. Pas toujours avec bonheur, mais on peut mettre à part la
    Submersion de la ville d'Ys, du Barzas Breiz. Même si elle est apocryphe, cette ballade a profondément marqué les esprits par sa beauté et son charme évocateur.

    Autour d'Ys, les légendes populaires ont continué à fleurir dont quelques unes font intervenir le célèbre enchanteur Merlin : celui qui est assez courageux pour tenter l'aventure peut trouver, au fond du palais royal d'Ys, qui reparaît à minuit lors de la Grande Troménie de Locronan, un anneau de coudrier. Cet anneau est porteur de tous les pouvoirs dont l'Enchanteur l'avait chargé avant de l'offrir au roi Gradlon. Mais attention ! Il ne faudra pas se laisser détourner par les richesses exposées, ni par les somptueuses et lascives créatures qui hantent les lieux :  aussitôt sonné le douzième coup de minuit, les eaux ne manqueraient pas alors d'engloutir leur proie...

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Une fois refermé le grand livre des légendes, il convient de s'interroger sur la réalité que peut cacher le conte. Où la tradition localise-t-elle la ville d'Ys ?

    Le site le plus probable se trouve dans le quart sud-ouest de la côte du Finistère.  Au large de Penmarc'h, les basses eaux découvrent ainsi des restes mégalithiques. Au siècle dernier, une messe était encore célébrée en pleine mer, au dessus de ces pierres sacrées des anciens Celtes !

    Une ancienne croyance affirme également qu'une allée d'arbres reliait Loctudy aux îles Glénan, à 12 km au large : on a retrouvé des troncs d'arbres en voie de fossilisation sur une grève, près de Loctudy... Ils étaient plantés en direction des Glénan.

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Dans la relation de son voyage au Finistère qui date de 1794, Gamby note : " C'est à la pointe de la Chèvre qu'on trouve les ruines anciennes dont j'ai parlé dans mon catalogue. C'est là qu'était, suivant la tradition, la superbe ville d'Ys, gouvernée par le roi Gradlon. "

    En 1836, dans la réédition de cette relation, le chevalier de Fréminville, grand amateur d' " antiquité " bretonnes, porte une note au sujet de la pointe du Raz :
    " Aujourd'hui, on en voit (des ruines) aucune trace, mais elle consistaient en une vaste enceinte carrée, construite en cailloutage noyé dans un ciment très dur. On trouvait fréquemment autour de cette muraille de pierre des pierres tumulaires, des cercueils en forme d'auge, des urnes, etc.., avec des inscriptions en caractères illisibles. On remarquait encore les traces de deux ou trois chemins ferrés, qui venaient de différentes directions et qui aboutissaient à ces ruines. Au surplus, si on ne peut affirmer avec certitude qu'elles eussent été celle de la fameuse ville d'Ys, on peut du moins reconnaître qu'elle se réunissent aux traditions les plus vraisemblables pour fixer la position de cette cité sur la pointe du Raz. "

    Constatons aussi que, Plouger, près du Raz, un reste de muraille porte le nom de Moguer a Is ( ou Ahès ), ce qui signifie " le mur d'Is ". On sait que les noms de lieux sont souvent ceux qui défient le plus l'érosion du temps et de la mémoire.

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    Pourtant plus qu'ailleurs, c'est à Douarnenez que l'on rencontre le plus d'indices troublants. Une des étymologie du nom de la ville ne
    la donne-t- elle pas pour la " nouvelle terre " (douar nevez ), ce qui laisserait entendre que l' "ancienne" est ailleurs, au fond des eaux ?
    De même, on a pu penser que Douarnenez pouvait être douar an enez,
    la " terre de l'île " ; on peut supposer que cette île aurait été engloutie au cours de la catastrophe.

    La submersion d'une cité dans les parages de Douarnenez n'a rien d'improbable. Au contraire ! Le littoral breton était constellé de petites cités, établissements côtiers gallo-romains dont les ports servaient de relais entre les pays du Nord, la Bretagne insulaire et les territoires de la Gaule romaine.

    Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

    On est encore plus frappé par l'observation des voies romaines
    du sud-ouest de l'Armorique. Au siècle dernier, on pouvait encore voir les vestiges d'une de ces voies se diriger de l'arrière-pays de Tresmallaouen droit vers le large ! Intrigué par ces marques et par celles d'une autre chaussée du même type, retrouvée près de Carhaix et surnommée dans la région Hent Ys ou Hent Ahès ( chemin d'Ys, ou chemin d'Ahès ), un érudit scrupuleux, M. de la Pasardière, a entrepris de relier les établissements romains identifiés et les tronçons de voies qui subsistaient en Armorique.

    On sait que les voies romaines étaient rectilignes, pour autant que le terrain le permettait. En Bretagne, le relief n'est guère accidenté. Or, curieusement, le réseau obtenu était des plus surprenants : les routes convergeraient nettement à 5 km en mer, au large de Douarnenez.

    Les Romains n'avaient pas l'habitude de joindre par leurs voies des points abstraits, mais des villes et des garnisons. Il faut donc conclure qu'il existait, dans ce secteur précis de la baie de Douarnenez, une cité.
    Mais s'agissait-il bien d'Ys, la ville rebelle au christianisme ? Une série d'éléments peuvent le laisser penser...

     Ys, la Légende de Dahud, la bonne sorcière d'Ys

                                                                                                                                                            Extrait de " Inexpliqué " 1981


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    Ys, la cité engloutie

    Le Menez Hom, aux formes si douces, est un ancien volcan. On sait qu'un volcan n'est jamais éteint... Aujourd'hui encore, la région bretonne enregistre des secousses telluriques qui, malgré leur faible intensité, n'en sont pas moins aussi fréquentes que celles que subit l'Auvergne !

    Certains effondrements de la terre dans la mer semblent bien dus à ces phénomènes. Doit-on leur attribuer la disparition d'une ville comme Lexobie, qui était pourtant la plus grande garnison romaine d'Armorique et que les historiens sont bien incapables de situer sur une carte ?

    Ys, la cité engloutie

    En 709, un grand cataclysme a secoué toute la côte nord de l'Armorique et a fait passer sous les vagues de l'océan tous les environs de la ville d'Aleth. Toujours en 709, les îles anglo-normandes ont été coupées du continent et 9 villages ont été perdus en mer.

    En janvier 1735, une tempête d'une incroyable violence s'est déchaînée dans la baie où s'abritait Saint-Etienne-de-Paluel : en se retirant, la mer a dégagé les ruines du villages et, le temps d'une marée basse, les riverains ont pu arpenter les anciennes rues rendues pour un jour à la chaleur du soleil.

    Ces changements de la ligne des eaux ont touché bien d'autres sites. A en croire les chroniques, au XIIIè siècle, la terre bretonne a tremblé à plusieurs reprises. Certaines secousses ont ébranlé le pays
    de Vanne " pendant quarante jours, si fort que les meubles s'entrechoquaient au point de se briser. "

    Ys, la cité engloutie

    L'ilots d'Er Lannic, dans le golfe de Morbihan, est là pour en témoigner : un double cercle de menhirs, aujourd'hui à demi submergés, laisse penser que les eaux se trouvaient une dizaine de mètres plus bas au moment où ils ont été érigés.
    L'archéologue James Miln a observé dans la baie de Quiberon, au siècle dernier, un alignement de menhirs que découvraient les basses eaux des plus grandes marées. Peut-être s'agissait-il des vestiges de la ville engloutie de l'île d'Aïse, que la tradition populaire situe entre Quiberon et Belle-Ile...

    Chez les peuples celtes, l'âme l'emporte souvent sur la raison. Fortement imprégnée de mythes, la mentalité celte rend hasardeuse la tentative de séparer l'imaginaire du réel, Chuchulain, Morgane, Artus, Merlin ou le roi Marc'h : les ressources de l'imaginaire celtiques paraissent infinies.

    Dans une civilisation dont l'un des traits fondamentaux a été de reconnaître pour tradition celle que les druides se transmettaient oralement, le passé se trouve réécrit en permanence.

    Ys, la cité engloutie

    Reconnaissons ainsi comme symboliques les nom des hameau de l'antique Brocéliande : ils affichent aujourd'hui sur de très concret panneaux routiers une évidente propension naturelle au mystère et au rêve : le Pont-du-secret, Néant-sur-Yvel, Folle-Pensée, le Val-sans-Retour...

    L'étude des contes bretons, ces véritables archives de la mémoire d'un peuple, ne fait que nous conforter dans le devoir d'accepter la vérité des légendes comme une des formes de la réalité. Le Barzac Breiz, cette odyssée mi-historique mi imaginaire des Bretons, représente bien une démarche qui fait accepter le mythe comme l'essence même d'une éternelle renaissance.

    Ys, la cité engloutie

    F. Le Roux et Ch. Guyonvarc'h nous ont livré la clé qui nous permettra peut-être de mieux comprendre le véritable secret de la ville d'Ys et de cerner d'un peu plus près le pourquoi des différentes formes prises par cette légende.

    Ils écrivent :
    " La civilisation celtique est antihistorique et n'a nul besoin d'archives. Le mythe, conçu comme une explication et une illustration des origines infiniment vivant dans la mémoire humaine, est valablement permanent et immuable. L'homme qui l'accepte et qui le transmet échappe par là à la fuite du temps. Il ne craint ni la mort, ni l'écrasement chronologique de l'histoire. "

    L'histoire de la ville d'Ys commence par une saga et fini comme un sermon de curé.

    Ys, la cité engloutie

    Parti guerroyer dans les pays de glace et du soleil de minuit, le jeune Gradlon, roi de Cornouaille, met le siège devant une imprenable forteresse. Siège difficile, meurtrier, qui s'éternise tant que les barons abandonnent leur roi. Celui-ci va renoncer à son tour quand une clarté déchire la nuit : Malgwen, la reine des glaces, apparaît avec ses armes royales. Elle est séduite par la vaillance de Gradlon. Celui-ci est fasciné par la beauté de la reine...

    Ils s'enfuient vers la petite Bretagne, emportant sur leur nef un fantastique coursier noir, d'une merveilleuse rapidité.
    C'est Morvac'h, le cheval de mer. Long est le voyage... Si long que Malgwen, la fée des mers glacées a le temps de concevoir et de donner la vie à une fille, Ahés. Hélas, à peine réincarnée, la reine meurt !

    Ys, la cité engloutie

    Dans son armure d'acier-bleu, le bouclier couvrant ses jambes et le glaive en travers du bouclier, son corps est rendu à la mer par Gradlon, fou de douleur.

    Ces premiers instants marqueront à jamais le destin d'Ahès.
    Pour Gradlon, par contre, le temps des errances est révolu. En perdant son épouse, il a perdu le goût de l'aventure. Pendant de longue années, il va se consacrer à son peuple et à sa fille.


    Ys, la cité engloutie

    Alors qu'il rend justice dans sa capitale de Quimper, une étrange affaire lui est soumise : un ermite chrétien venu de Bretagne est accusé par
    une " sorcière " d'avoir fait disparaître sa fille. Le future saint Ronan se disculpe et ressuscite la fille pour faire bonne mesure. Il quitte ensuite la Cornouailles.

    Le grain est semé dans l'esprit de Gradlon. Ce que Ronan a entamé, Corentin le parachève à la faveur d'une chasse infructueuse : le roi et sa cour, affamé, arrivent près de l'ermitage de Corentin, qui se livre à une sorte de multiplication des pains. Le roi se convertit et, pour être sûr
    " de suivre en toute chose la loi de Dieu ", prend comme conseiller Gwénolé, disciple de Ronan et abbé de Landevennec. Corentin reçoit l'archevêché de Quimper.

    Le roi n'a pourtant pas prévu l'antagonisme qui oppose immédiatement les hommes de Dieu à sa fille, Ahès, que le peuple surnomme Dahud,
    " le bonne sorcière ". Tous les élément du drame sont là, prêts à se nouer. Le destin tragique de la ville d'Ys est désormais irréversible...

                                                                                                                                   Extrait de " Inexpliqué " 1981


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